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Ceci ne calma nullement l'irascible.

– Votre mari ! Oui-da ! Il m'a joué encore un beau tour là-bas.

Angélique le pressa de questions. Il avait donc vu son mari ? Il n'avait rien vu du tout. Le brouillard était là, s'ajoutant à sa malchance, alors qu'il guettait avec tant de constance ces damnés officiels de Québec, bloqués dans la rivière. Ce brouillard lui avait caché les manœuvres de la petite flotte de Peyrac. Comment s'étaient-ils arrangés tous pour lui filer au nez et à la barbe ? Ces maudits Français ! Un butin et une prise de combat qu'il s'était juré de ramener au Massachusetts à titre d'échange avec les intraitables de là-haut, de Québec, ce féroce Canada, à titre de vengeance aussi, le sang de tous les massacrés de la Nouvelle-Angleterre réclamant justice...

Il parlait un peu confusément comme les gens taciturnes qui n'ont pas l'habitude de se raconter ou de s'expliquer. Son ressentiment n'en était que plus violent, bouillonnant en lui sans trouver d'issue à ses rancœurs accumulées.

– Ils ont tout ruiné là-bas... ces sauvages venus du Nord avec leurs maudits prêtres papistes, établissements ruinés, colons massacrés, on les arrête difficilement.

– Je sais. J'y étais moi-même, il y a quelques semaines. À Brunschwick-Falls et je n'ai échappé que de justesse. Vous savez que j'ai réussi à sauver quelques-uns de vos compatriotes et à les ramener en sûreté à Gouldsboro ?...

– Alors pourquoi le comte de Peyrac m'empêche-t-il de combattre ces fauves, de me saisir au moins de leurs têtes carnassières puisque j'en ai l'occasion ?

– Pour arrêter la guerre ?... mon pauvre ami ! Vous n'ignorez pas que c'est lui aussi qui a empêché le baron de Saint-Castine d'y entraîner ses Etchemins, comme il en recevait l'ordre formel de Québec. Autrement, ce n'est pas seulement les établissements de l'est du Kennebec qui auraient brûlé mais tous ceux des îles et des rives du Maine et de la Nouvelle-Écosse. La guerre ne s'est arrêtée que grâce à lui mais la moindre étincelle peut entraîner une catastrophe pire encore contre laquelle toute son influence ne pourra plus rien...

– Mais il faut pourtant mettre au pas ces maudits papistes ! hurla Phipps, désespéré. Si nous ne rendons pas coup pour coup, ils finiront par nous exterminer, si nombreux que nous soyons. Quelle situation ! Là-haut cette poignée de fanatiques dans leur neige et leurs forêts, et nous ici dix fois plus nombreux mais comme des moutons bêlants... Moi, je ne suis pas de cette espèce. Je suis né au Maine. Je leur apprendrai que ces lieux m'appartiennent et j'y consacrerai ma vie s'il le faut ! De toute façon, je ne peux rentrer à Boston les mains vides. Rien à faire... Port-Royal va payer pour Saint-Jean... Il me faut des otages et aussi cette charte du roi de France...

Il cherchait des yeux où la trouver...

– Ah ! Ce coffre là-bas peut-être ?...

Angélique reconnut, dans le coin de la salle où on l'avait déposé à son arrivée, le coffre aux scalps de Saint-Castine. Elle s'interposa vivement.

– Non, pas ce coffre ! Je vous prie. Ce sont mes affaires personnelles.

Elle le devança, pour aller s'y asseoir résolument.

– Je vous demande de ne pas le forcer, monsieur, dit-elle avec fermeté. Mon mari et moi nous sommes bons amis des Anglais, puisque nous tenons même nos droits sur nos terres du Grand Conseil du Massachusetts, mais il y a des gestes que nous ne saurions admettre sans être obligés de porter plainte à leur sujet, considérant celui qui les commettrait comme un pirate sans foi ni loi, n'agissant pas au nom de son gouvernement. Écoutez-moi, dit-elle le voyant déconcerté, asseyez-vous et calmez-vous. (Elle lui désignait un escabeau devant elle.) J'ai une proposition à vous faire qui, je pense, arrangera tout...

Phipps la considérait avec méfiance. Angélique frémissait à l'idée qu'elle était assise sur trois cent cinquante scalps arrachés à des crânes anglais par les sauvages Abénakis. Il lui semblait, avec horreur, que leur odeur faisandée s'infiltrait à travers les interstices du coffre. Mais son autorité eut raison des réticences de l'irascible puritain anglais.

Il s'assit et comme il était resté trempé de sa baignade, une mare d'eau commença à s'étendre autour de lui, qu'il considéra tristement.

– Écoutez, reprit Angélique persuasive, que voulez-vous au juste ?... Des otages ? Par lesquels vous pourrez faire pression sur Québec afin d'obtenir le juste respect de vos traités ou pour échanger avec les prisonniers qui ont été emmenés en captivité dans le Nord par les Abénakis et les Canadiens ?... Or ici, il s'agit d'Acadiens, vous ne l'ignorez pas. Des Français, certes, mais qui sont tellement abandonnés de leur gouvernement et de l'administration royale qu'ils commercent avec Boston et Salem pour ne pas périr... Soit, je l'admets, vous pouvez emmener Mme de la Roche-Posay et ses enfants, mais qui s'en préoccupera à Québec ?...

Phipps le savait. Il y avait déjà songé. Soucieux, il poussa un profond soupir, et dénoua son collet de linge blanc pour l'essorer avec mélancolie. Puis il vida ses bottes de peau de phoque l'une après l'autre.

– Alors, que me proposez-vous ? soupira-t-il derechef.

– Ceci. Il est arrivé récemment ici, à Port-Royal, une grande dame française très riche et très considérée, accompagnée de jeunes femmes qu'elle devait amener à Québec, en vue de les marier avec des officiers et de jeunes seigneurs canadiens. On les attend encore en Canada, car son navire a fait naufrage dans nos parages. On ne sait que faire d'elles. Je vous propose. Emmenez-les toutes ! Cette noble dame a tant d'alliances que sa capture peut émouvoir jusqu'au roi de France lui-même et de toute façon elle est si riche que, même après la perte de son navire, vous pourrez encore obtenir d'elle une importante rançon. Et je crois même (Angélique se pardonnait intérieurement de donner un petit coup de pouce à la vérité) qu'il y a parmi les dames qui l'accompagnent la fiancée d'un haut personnage de Québec...

Les yeux durs de l'Anglais se rétrécirent sous l'effort de la réflexion. Il fronça le nez, renifla.

– Mais s'il se rendait à Québec, comment ce vaisseau a-t-il pu échouer sur nos côtes ? interrogea-t-il, car en tant que marin la chose lui paraissait suspecte.

– Les Français ne savent pas piloter, dit Angélique légèrement.

Comme William Phipps partageait cet avis, il n'insista pas.

Un de ses hommes, apportant la charte qu'ils avaient trouvée dans le bureau du commis greffier de l'établissement, acheva de le rasséréner.

– C'est bon, dit-il, je m'en tiendrai là. Mais j'emmène aussi le soldat. C'est de bonne guerre. Il m'a blessé deux hommes...

*****

L'embarquement de la duchesse de Maudribourg, de son secrétaire Armand Dacaux, de la duègne Pétronille Damourt, de ses Filles du roi, du capitaine Job Simon et de son mousse survivant, tous deux portant la licorne de bois doré, emmenés en captivité à Boston, par les Anglais, s'accomplit sans incidents, et dans la semi-indifférence générale.

Les Acadiens de Port-Royal étaient heureux de s'en tirer à si bon compte. Dès qu'ils avaient compris que le vent tournait et que les choses s'arrangeaient, ils étaient revenus avec de la pelleterie, des fromages et des vivres, légumes et fruits, les proposant aux matelots dans l'espoir d'obtenir de la quincaille anglaise qui était excellente et très appréciée. Le troc marchait bon train sur la plage. Une roue de fromage contre une boîte de clous, etc.

Personne ne prenait garde au départ des otages que les Anglais, pressés par la marée, bousculaient quelque peu.

Seules, Angélique et Mme de la Roche-Posay, satisfaites, l'une et l'autre à part soi, de s'en tirer à si bon compte, s'empressèrent de remettre aux Filles du roi des paniers de victuailles afin de les aider à supporter la traversée.