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– J'aperçois déjà Armand, dit Mme de Maudribourg. Il a encore grossi, le pauvre homme, la chère doit être trop bonne à Port-Royal.

On pouvait s'attendre à de grandes scènes de retrouvailles. Les Filles du roi agitaient déjà leurs mouchoirs, mais certains hommes, armés de mousquets, hélaient.

– Êtes-vous anglais ? Répondez !

On commença à s'expliquer à quelque distance et quand la chaloupe aborda chacun était au fait.

Tandis que Marie-la-Douce, Delphine, la Mauresque, Henriette, Jeanne Michaud et les autres, ainsi que leur inséparable Armand, se jetaient aux pieds et au cou de leur « bienfaitrice », une femme distinguée, encore jeune, bien que le visage déjà fané et marqué, sans doute par de trop nombreuses maternités, vint au-devant d'Angélique. À sa toilette bourgeoise, sobre mais qui ne manquait pas d'élégance, à sa coiffure à la française qu'elle ne protégeait que d'un petit carré de dentelle retenu par une épingle ornée d'un camée, Angélique devina que c'était Mme de la Roche-Posay.

– Je suis heureuse de vous connaître enfin, dit-elle à Angélique avec aménité. Nous avons toujours eu de bons échanges avec Gouldsboro. M'apportez-vous des nouvelles de mon mari ?

– Hélas non, je suis venue moi-même dans l'intention de vous poser la même question.

– Ils finiront bien par revenir, soupira Mme de la Roche-Posay avec philosophie. Les affaires de la Baie ne vont jamais sans beaucoup de palabres ? Nos époux ont appris la patience avec les Indiens, mais nous qui les attendons du haut de notre promontoire, nous trouvons parfois le temps long.

Mme de Maudribourg remercia chaleureusement la châtelaine d'avoir pris soin de ses ouailles en son absence. Angélique vit jouer sur la physionomie de leur hôtesse la même surprise qu'ils avaient tous éprouvée à Gouldsboro en découvrant sous les traits d'une aussi jeune et jolie femme la bienfaitrice des Filles du roi.

Elle les conduisit jusqu'au manoir, moitié de pierre, moitié de bois, qui avait été construit sur le site de l'ancienne habitation de Champlain et où résidait la famille propriétaire.

Dans la grande salle, une rangée d'enfants bien peignés, gentiment vêtus, attendaient. Ils saluèrent les arrivantes, les filles d'une révérence, les garçons d'un salut impeccable.

– Mais l'on se croirait à la Cour, s'exclama Angélique, devinant qu'elle avait devant elle la nombreuse progéniture du marquis de la Roche-Posay, bien stylée par leur gouvernante, Mlle Radegonde de Ferjac.

Celle-ci se rengorgea. Elle réunissait en sa personne tous les signes de l'éducatrice pour nobles familles, certainement elle-même d'origine hobereaute remontant à Saint Louis et tombée dans la pauvreté comme eût pu être la tante Pétronille qui avait élevé et éduqué tous les enfants de Monteloup. D'un âge incertain, sèche, vraiment laide, sévère, elle ne paraissait cependant pas méchante, comme l'avait suggéré Castine.

– Je vous félicite pour vos élèves, lui dit Angélique. En nos contrées, c'est un vrai miracle de rencontrer des enfants de France aussi bien élevés.

– Oh ! Je ne me fais pas d'illusions, soupira Mlle Radegonde de Ferjac. Dès que ces garçons seront grands, ils courront les bois et les sauvagesses, et ces filles, il faudra les envoyer au couvent ou en France pour les marier.

– Moi, je ne veux pas aller au couvent, dit une gentille fillette de huit ans à l'air éveillé, je veux aussi courir les bois.

– Elle n'a en tête que de marcher pieds nus, soupira la gouvernante en caressant les cheveux bien édifiés en boucles de sa pupille.

– J'étais ainsi quand j'étais enfant, sourit Angélique, et je crois qu'elle s'entendrait bien avec Honorine.

– Qui est Honorine ?

– Ma petite fille.

– Quel âge a-t-elle ?

– Quatre ans.

– Pourquoi ne l'avez-vous pas amenée avec vous ?

– Parce qu'elle est restée à Wapassou.

Il fallut répondre à un très grand nombre de questions sur Wapassou et Honorine.

Durant ce temps des serviteurs étaient entrés, déposant sur la longue table de bois toutes sortes de plats garnis de victuailles et des pichets de boissons.

Des chandeliers d'argent étaient allumés aux extrémités de la table.

– C'est parfait, Radegonde, dit Mme de la Roche-Posay avec satisfaction.

– Est-ce pour nous, tout ce déploiement ? interrogea Angélique. Nous sommes confus de vous causer tant de peine.

– Il le faut, dit la gouvernante péremptoire. Ces enfants ont trop rarement l'occasion de se produire dans le monde. Dès que j'ai su qu'on avait entendu la chaîne d'ancre d'un navire dans le port, j'ai fait habiller les enfants et mis en route les cuisines.

– Et si ç'avait été l'Anglais ?

– Nous l'aurions accueilli à coup de boulets, lança un pétulant petit garçon.

– Mais tu sais bien que nous n'avons plus de munitions, lui reprocha une de ses sœurs aînées.

– Oh ! un soldat français, s'écrièrent-ils tous en découvrant Adhémar. Quelle chance ! Si l'Anglais arrive, nous aurons quelqu'un pour nous défendre.

Ils coururent à lui et lui firent fête.

– Vous nous apprendrez à tirer le canon, n'est-ce pas, soldat ? lui demandèrent les garçons.

– Combien de temps restez-vous avec nous ? interrogea Mlle Radegonde tournée vers Angélique et Ambroisine. C'est que dans deux jours nous donnons une petite fête en l'honneur de l'anniversaire du débarquement de Champlain en ce lieu. Nous jouerons une pièce de théâtre, il y aura festin...

Chapitre 2

Il n'était pas là. Elle avait toujours su qu'il ne serait pas là ! Joffrey ! La paix de Port-Royal lui tomba sur les épaules comme une chape de plomb. Une idée la traversa, fugitive et terrifiante.

« Un piège ! un nouveau piège !... » Colin avait raison de ne pas vouloir me laisser partir...

Tout lui parut suspect. Le calme du soir, la sérénité biblique des habitants, le rire des enfants, l’affabilité de Mme de la Roche-Posay. On lui cachait quelque chose. On savait ! Elle seule ne savait pas. C'était irrespirable.

Elle était venue donner tête baissée dans un piège ; qui le lui avait tendu ?...

Elle écouta Mme de la Roche-Posay répéter qu'elle était sans nouvelles de son époux et se plaindre une fois de plus que ces messieurs en prenaient un peu trop à leur aise, prenant prétexte de la situation politique pour abandonner leurs épouses...

Que voulait-elle lui faire entendre ?

Angélique, au cours du souper, tendit l'oreille à ces plaintes, cherchant à deviner les mots, le sens caché, la menace ou la mise en garde...

La châtelaine disait que M. de Peyrac voyait grand, qu'elle craignait que son mari ne s'illusionnât, que tout cela pour un établissement français se solderait par une nouvelle incursion des Anglais venant les piller et les ruiner par représailles et que, naturellement, cela arriverait en l'absence du marquis et lorsqu'on serait tout à fait à bout de munitions pour se défendre.

– M. de la Roche-Posay ne vous a-t-il pas laissé entendre combien de temps durerait cette expédition au fond de la Baie Française ? demanda Angélique qui, elle aussi, se répétait dans le désir d'obtenir quelques bribes d'espoir.

– Pas plus que le vôtre ! gémit la marquise, je vous le dis ! Les messieurs ont autre chose en tête que nos inquiétudes.

Angélique se persuadait qu'il y avait dans ses paroles un sous-entendu ou un avertissement qui lui échappait.

Elle remarqua qu'Ambroisine de Maudribourg au cours du repas, contrairement à son habitude, ne cherchait pas à accaparer la conversation et à la mettre sur un sujet scientifique qu'on ne lui aurait certes pas disputé, mais, au contraire, restait silencieuse. Elle ne prononça pas un mot, mangeant du bout des dents, avec une expression d'anxiété et même d'angoisse sur son visage pâle.