Выбрать главу

– Mais comment est-elle parvenue jusqu'ici ?

– Sur le Gouldsboro. Je l'ai trouvée à La Hève, où Phipps, terrifié, s'était débarrassé d'elle, préférant se priver de ses otages que de demeurer aux prises avec une telle tentatrice. Il m'était difficile de laisser des femmes dans ce lieu abandonné. J'ai dû les amener jusqu'ici, où elles avaient plus de chance de trouver un navire pour Québec.

– Et ça a été votre tour d'être aux prises avec la tentatrice ?

Peyrac sourit sans répondre. Angélique continua.

– Et c'est sans doute au cours de cette traversée qu'elle a subtilisé votre pourpoint. Par quelle divination diabolique savait-elle qu'elle pourrait un jour en jouer pour me désespérer, comment savait-elle que je viendrais l'affronter à Tidmagouche ?... Elle pressentait tout... Avant de quitter Gouldsboro, vous avait-elle donné rendez-vous à Port-Royal ?...

– À moi ? Un rendez-vous ? Qu'aurais-je eu à faire d'un rendez-vous avec cette sorcière ?

– Elle voulait me le faire croire.

– Et vous l'avez crue ?

– Ou-oui !... par moments.

– Et vous avez un peu tremblé à votre tour ?

Il souriait en la regardant dans les yeux.

– Vous ? La séductrice qui ne connut jamais de défaites même sur le cœur des plus grands monarques ou des tyrans les plus redoutables ?

– N'était-elle pas une rivale de taille ? Terriblement habile et armée, non ? Mieux armée que moi en bien des choses qui pouvaient vous complaire : le savoir, par exemple, et...

– Un savoir artificiel et touché de folie qui ne pouvait que m'inquiéter plutôt que m'attirer. Comment avez-vous pu douter, mon amour ? Comment avez-vous pu craindre quoi que ce soit de ma part ?... Êtes-vous si peu consciente de votre incomparable séduction et de votre envoûtant pouvoir sur moi ? Comment pourriez-vous avoir des rivales en mon cœur ? Quelle folie ! Ne savez-vous pas qu'une personnalité de femme authentique, à la fois mystérieuse et sans artifices, ce qui est un don rare, attache plus profondément la passion d'un homme, que les rouées ne se l'imaginent.

« Certes, l'attraction de la chair sur nous autres, hommes, n'est pas à mésestimer, et des moins sots peuvent se laisser prendre aux capiteuses saveurs d'un beau corps, mais, moi-même, déjà enchaîné au joug de votre beauté et de votre charme ensorcelant, qu'aurais-je été chercher auprès de cette femme, malgré ses incontestables atouts ? Aussi bien, elle a deviné, dès le début, ma suspicion... Et ne pouvant jouer des dits atouts sur moi, elle feignait de quitter Gouldsboro, devinant que c'était la méfiance qu'elle m'inspirait qui me retenait céans, puis, dès que j'avais tourné le dos, ayant mis la voile pour Saint-Jean, tranquillisé que j'étais par ce départ, elle revenait pour vous prendre dans ses filets, vous, mon amour, mon trésor le plus précieux. Vous voyez que moi aussi, tout méfiant que je suis, je n'ai pu déjouer toutes les ruses d'une créature aussi diabolique !

– Elle était effrayante ! murmura Angélique avec un frisson.

On n'en finirait pas, de longtemps, de recenser les pièges que leur avait tendus Ambroisine, ceux dans lesquels ils étaient tombés, ceux que, par miracle, et comme protégés invisiblement, ils avaient pu éviter... Et comment, poussée par sa jalousie et sa haine démoniaque, elle avait voulu faire mourir Abigaël, parce que Angélique l'aimait, soit en la privant de secours possibles pendant son accouchement – et elle faisait porter par ses complices de l'alcool à la vieille Indienne, ou la nouvelle qu'un parti d'Iroquois approchait afin d'éloigner maître Berne, et elle versait une potion stupéfiante dans le café d'Angélique, mais c'était Mme Carrère qui l'avait bu... Alors Ambroisine feignait aussi d'avoir été droguée pour détourner les soupçons.

Et plus tard, retournant visiter Abigaël, elle versait un poison dans la tisane qu'elle savait préparée par Angélique pour l'accouchée.

Voici que l'homme aux épices et son Caraïbe, débouchant de la forêt sur la grève de Tidmagouche, éclairaient l'affaire de la taie écarlate. C'était lui qui avait vendu à la duchesse de Maudribourg le poison violent qu'elle avait versé dans la tisane. Il avait un peu de tout sur lui, cet homme ! Joffrey de Peyrac détermina qu'il s'agissait non d'un extrait de plantes mais de l'arséniate de fer.

Il avait aussi aidé de ses lumières à la fabrication du cordon de mèche explosive qui avait fait sauter l'Asmodée.

Apprenant tout cela, Villedavray voulait arrêter le pirate. Mais il apparut que cet errant des antipodes avait lui aussi été quelque peu victime de la démone et de ses complices sataniques. Pourchassé par eux parce qu'il en savait trop long et comprenant que, comme Clovis, il y allait de sa vie, il avait erré misérablement dans la forêt pour leur échapper ; il était à bout de forces.

– C'est bon ! accepta le gouverneur de l'Acadie. J'ai eu le hamac de son Caraïbe et sa pierre verte. Je lui laisserai la vie.

Le pauvre diable se coucha sur la plage les bras sous la nuque, son esclave olivâtre accroupi à côté de lui, et attendit le Sans-Peur, qui devait venir le rechercher par là vers l'automne, et le ramener aux îles.

Ce fut Phipps qui arriva le premier. L'Anglais se risquait dans les dangereuses eaux françaises pour essayer de joindre le comte de Peyrac.

Il avait entendu dire que celui-ci se rendrait à Québec pour négocier la situation du Maine et il était porteur de la part du gouverneur du Massachusetts de diverses recommandations à cet égard. Il était également chargé d'enquêter sur la mort du pasteur anglais qui avait été tué à Gouldsboro par un Jésuite.

Enfin il ramenait le soldat français Adhémar. Les puritains s'étaient déclarés incompétents à statuer sur le sort d'un tel personnage. Il était aussi difficile de le juger que de le pendre. Autant le refiler en douce aux Français.

Adhémar débarqua en héros. En revanche, Phipps avait perdu beaucoup de son mordant. Craintif, il regardait de tous côtés avec appréhension, et les affirmations qu'il se trouvait ici en territoire neutre et n'avait à craindre aucun coup de main des Canadiens, ne suffisaient pas à le rassurer. Il ne se rasséréna que lorsqu'il eut appris incidemment la fin de la duchesse et qu'il ne courrait plus aucun risque de se retrouver en face d'une femme aussi inquiétante.

Cette fin tragique avait affecté profondément le propriétaire du lieu, Nicolas Parys. Le vieux bandit avait mal accusé le coup qui le frappait dans ses visées sur la fortune de la duchesse de Maudribourg, et, qui sait ? dans la passion sénile qu'elle lui avait inspirée.

Il blanchit en deux jours, se voûta, brada ses terres au comte de Peyrac en quelques accords hâtifs, et malgré les protestations de Villedavray qui faisait remarquer que le gouvernement de Québec devait être mis au courant de ces tractations, et les cris de son gendre qui parlait d'héritage et de droits de succession : « Canso, c'est assez pour toi, gros lard », lui jeta-t-il – il descendit une dernière fois la grève de son royaume d'Amérique par un matin venteux qui annonçait l'arrière-saison, afin de s'embarquer sur le morutier breton.

La brise était aigre, ce matin-là. Et l'on s'impatientait devant le môle, de voir le gouverneur-marquis de Villedavray et le vieux Nicolas Parys chuchoter sans fin à l'écart, têtes rapprochées et nez à nez comme au confessionnal. Enfin ils en terminèrent avec cette conversation qui devait être, si on en jugeait à leurs mines, d'une extrême importance.