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Tout à coup, il était là, sur le seuil, arrivé avec sa suite au-dehors, sans qu'on l'entende avec tous ces cris qu'on poussait à l'intérieur. Et, naturellement, il laissait passer devant lui, galamment, la pâle épouse effacée du fonctionnaire royal qu'il avait dû trouver abandonnée sur le seuil. À son sourire charmeur, on devinait qu'il devait lui débiter toutes sortes d'amabilités et il était probable qu'elle n'en avait jamais tant entendu de sa vie, car elle levait sur lui des regards de brebis effarée qui ensuite se portaient sur son époux se colletant avec Villedavray, et qui, tous deux, continuaient de vider leur querelle.

– Si vous ne vous obstiniez pas à loger de l'autre côté du Saguenay, vous auriez pu vous trouver là quand ont débarqué ces prétendus pirates, ce matin, dont je faisais partie, je vous en avertis, et l'on vous aurait présenté à Mme de Peyrac, disait Villedavray.

– Vous savez bien que l'air est meilleur là-bas, à la ferme du Haut-Clocher, pour la santé de ma femme.

– Alors ne vous plaignez pas d'arriver toujours en retard quand il se passe quelque chose sur votre juridiction.

Le marquis se tourna vers Angélique :

– Chère amie, permettez-moi de vous présenter le sieur Ducrest de Lamotte.

Il enchaîna, apercevant à son tour Joffrey :

– ... Et voici son époux, M. de Peyrac dont la flotte bat pavillon devant Tadoussac.

Apercevant son épouse près de cette sombre silhouette de condottiere masqué, le sieur Ducrest de Lamotte subit le second choc de sa journée. Son regard égaré allait de la tenue modeste d'Angélique à ce nouveau venu qui, lui, s'annonçait sans ambages comme un conquérant portant panache, solidement escorté de gens en armes. La cuirasse et les casques des Espagnols qui lui servaient de garde particulière en prenaient un éclat plus redoutable soudain.

Ce qui acheva de le terrifier, ce fut de voir sa pauvre femme introduite par Joffrey de Peyrac, qui lui disait :

– Ne restez pas ainsi dehors, madame. Puisque la compagnie se tient céans, entrez vous asseoir avec nous, je vous prie.

Dans un éclair il se représenta la malheureuse, déjà de santé si précaire, servant d'otage ou de bouclier à un cruel barbare de l'espèce des Morgan ou de l'Olonais, pirates réputés des mers chaudes.

Il s'écria :

– Monsieur, je vous en prie, ne lui faites point de mal. Je me rends, voici mon épée...

Chapitre 7

Peyrac dédaigna l'arme tendue.

– Monsieur, vous vous méprenez. Je n'ai que faire de votre brave épée. Remettez-la au fourreau et qu'elle y reste pour longtemps, c'est mon plus cher souhait. Sachez que je relâche en ami à Tadoussac, étant l'invité à Québec de M. de Frontenac, votre gouverneur. Voici au plus, M. Carlon, qui est mon hôte à bord du Gouldsboro et qui vous confirmera la pureté de mes intentions.

– Monsieur l'Intendant... balbutia Ducrest, se découvrant devant Carlon qui entrait à son tour.

Carlon était furieux mais pour une autre raison que celle de se voir présenter d'emblée comme un allié du comte de Peyrac. Cette histoire de chargement l'avait mis hors de lui.

– J'ai vu que mes chargements de planches, de mâts, de barils de blé et d'huile de loup marin et d'anguilles salées traînaient encore sur le port... Que signifie cela ! Vous saviez bien que c'était en partance pour la France...

– Les navires n'ont pas voulu s'en charger...

– Dites plutôt que vous étiez je ne sais où, le jour où ils sont passés.

– Vous aussi, vous n'étiez pas là, monsieur l'intendant, se rebiffa Ducrest, et vous m'aviez promis d'être présent pour le chargement du fret dès octobre...

– Je sais... J'ai été retenu en Acadie... des ennuis sans nombre et j'arrive ici, je trouve toute la marchandise amassée, qui se prépare à passer l'hiver sous la neige...

– Aussi bien, ne désespérez pas, Monsieur. Tous les navires n'ont pas encore fait voile vers l'Europe.

– Folie ! Ils veulent se faire éventrer par les glaces.

Le Maribelle a été retenu. On avait entendu dire, on craignait que... une flotte pirate... et c'est un navire du Roi armé de trente canons.

L'intendant se laissa tomber sur un banc avec un geste qui signifiait que tous ces détails étaient piqûres de mouches à côté de la situation qu'il était obligé d'assumer.

– Sottises ! répéta-t-il, ce navire sera sacrifié pour rien, M. de Peyrac s'amène sous Québec avec cinq bâtiments qui totalisent bien plus de trente canons.

Je croyais que vous répondiez de ses intentions, chuchota le fonctionnaire effrayé.

– Qu'est-ce que je peux faire d'autre ?...

– Allons, ne me désavouez pas, cher ami, s'écria gaiement Peyrac. Je vous l'ai dit, je suis prêt à vous racheter votre cargaison. J'en ferai usage pour l'entretien de mes hommes et de mes équipages. Car je ne veux demander à la Nouvelle-France que l'hospitalité du cœur.

– N'empêche que ce matin vous avez arraisonné, sans scrupules, un bâtiment de commerce français.

– Le Saint-Jean-Baptiste ? Parlons-en, s'écria Villedavray se mêlant à la conversation. Vous savez comme moi que René Dugast est le plus sacré filou auquel on puisse avoir affaire et qu'avec Boniface Goufarel à Québec, la moitié de ses marchandises vous serait passée sous le nez. Remerciez plutôt M. de Peyrac de vous avoir permis de perquisitionner à son bord. Je suis sûr que vous ne vous êtes pas privé d'aller y regarder de tout près et que vous pourrez ainsi l'épingler avant que tous ses trésors, parfums de Paris, liqueurs précieuses, se vendent sous le manteau et à votre barbe par les soins de ce vieux madré de Boniface et de sa femme Janine Goufarel. Monsieur l'intendant, si vous percevez vos taxes de douane cette année, croyez-moi ce sera grâce à...

De l'index, à plusieurs reprises, il désignait Peyrac avec énergie et poursuivait à voix basse :

– ... Il paraît qu'il y a à bord du Saint-Jean-Baptiste quelques tonneaux de vin de la région de Beaune et de Dijon. Des meilleurs rouges comme vous le savez. Vous qui vous plaignez, Monsieur de Peyrac, de n'avoir pas de bons vins pour régaler vos invités, vous devriez profiter de l'aubaine.

– Voilà les encouragements que vous lui donnez. Comme si ce n'était pas déjà assez qu'il ail pris sur lui de consigner l'équipage et les passagers à bord, et parmi eux j'ai ouï dire qu'il y a un très haut personnage dont on tait le nom et qui est envoyé en mission personnelle par le Roi. S'il se plaint...

– À qui ?... riposta Villedavray, excité. Nous sommes entre nous. Que ferions-nous d'un haut personnage en ce moment ? Nous sommes tous bien assez « hauts personnages » comme cela, et ce monsieur de Versailles n'a pas à venir mettre le nez dans nos affaires. Nous serons bien assez ennuyés d'avoir à le subir tout l'hiver à Québec et puisque c'est M. de Peyrac qui prend la responsabilité de nous en priver aujourd'hui, réjouissons-nous.

Durant l'échange de ces propos, Angélique s'était présentée à Mme Ducrest de Lamotte et l'avait fait asseoir dans leur cercle. Retrouvant Mlle Bourgeoys, Mme de Lamotte se rasséréna. On échangea des nouvelles. Prenant à part Catherine-Gertrude, Angélique s'informa de ce qu'on pourrait offrir à l'assemblée, mais Yann lui fit signe et elle vit que leur maître d'hôtel était déjà là avec quelques-uns des aides et qu'on avait fait venir des tonnelets : alcool, des fiasques de rhum et des pâtisseries. Elle s'émerveilla.