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– C'est parce qu'il va y avoir la guerre, dit-elle. Si on fait la bataille, je veux être en soldat.

– Mais si l'on fait la fête, il faut être en princesse. Regarde-moi, je serai en robe.

– Toi, tu es la Démone, rétorqua Honorine imperturbable. Ils t'attendent.

Elle ajouta d'un ton pénétré :

– Tu dois être belle !

Honorine ne perdait jamais une miette de ce qu'on disait autour d'elle. Angélique en resta coite. Dieu merci ! Honorine n'avait pas été à Gouldsboro pendant l'été maudit. Ambroisine, qui n'avait pas hésité à s'attaquer par jalousie au petit chat, aurait cherché à nuire à l'enfant tant aimée. À cette pensée, Angélique trembla de peur rétrospective. Elle prit sa fille dans ses bras et la serra sur son cœur.

– Mon trésor ! Oh ! mon Dieu, il ne t'est rien arrivé, quel bonheur !

– Alors, cela ne te fait rien que je sois habillée en garçon ? demanda Honorine, surprise.

– Si, je regrette, mais tant pis, je ne veux pas que tu sois malheureuse... Je pense seulement que... Peut-être que M. de Loménie-Chambord va être déçu... de ne pas te voir dans tous tes atours, un jour solennel comme celui-là.

L'argument parut porter. Honorine avait un faible pour M. de Loménie-Chambord. Elle hésitait visiblement. Angélique eut une inspiration.

– Et pour la révérence, tu la feras seule si tu préfères.

Elle avait deviné. En vérité, Honorine exécrait l'idée de faire sa révérence au gouverneur en compagnie imposée de ce jocrisse de Chérubin. Elle le connaissait. Il serait bien capable de la faire trébucher au bon moment et tout l'effet serait manqué.

Elle jeta un regard hautain et triomphant à son petit compère qui se glissait dans la pièce d'un air de chaton maraudeur. On s'amusait bien ensemble mais, dans les circonstances graves, Chérubin n'avait aucun sens des devoirs de sa charge.

Et puisqu'elle était la fille de M. de Peyrac, pourquoi l'affubler d'un polichinelle pareil ?

Elle s'avancerait donc seule avec sa robe bleue et M. de Loménie serait très content de la voir si belle.

Profitant de ce qu'elle avait l'air songeuse, Yolande commença à l'habiller et Honorine se laissa faire.

À l'intérieur de la pièce, un changement subtil s'opérait.

La clarté des chandelles et des lampes pâlissait.

Brusquement, regardant vers les vitres du salon, Angélique les vit couleur de pourpre, miroitantes et changeantes comme si, derrière leur verrerie opaque, eût couvé un feu subit.

– Seigneur ! L'incendie maintenant !

Elle se précipita vers les fenêtres et les ouvrit avec fracas.

Elle demeura suffoquée autant par l'air glacial qui s'engouffrait à l'intérieur, que par le tableau merveilleux qu'elle avait sous les yeux.

Le navire était resté à l'ancre à l'emplacement où la veille au soir, à côté de Peyrac, elle avait vu les lumières de la ville s'échafauder dans l'ombre.

Maintenant c'était l'aurore. Ce qu'elle avait pris tout à l'heure pour un reflet d'incendie, ce n'était que l'éclat du soleil levant surgissant et éclaboussant Québec de teinte rose pâle ou de rouge carmin par étincelles rapides et changeantes. Dans la pureté du matin, il en faisait une ville de cristal. Les clochers ouvragés des églises paraissaient d'argent pur. Les toits neigeux entraperçus la veille dans la nuit étaient couleur de dragées.

De paisibles filets de fumée blanche s'échappaient des cheminées et enrobaient la ville d'un halo irisé à travers lequel elle apparaissait comme une cité de contes de fées, douce et rêveuse.

À ses pieds, l'eau du fleuve était bleue de lin, un bleu candide, pur comme un ciel d'été.

Angélique avait parfois rêvé de Québec, mais elle ne l'avait jamais imaginé, c'était un rêve.

– Honorine ! souffla-t-elle, viens, mon cœur, viens voir la ville...

Elle prit la main de son enfant dans la sienne. Elle éprouva une joie indicible à tenir cette petite main potelée dans la sienne, tandis que toutes deux, en silence, s'émerveillaient de l'image offerte. Par bouffées, on entendait le carillon des cloches, mais l'on était trop loin pour distinguer les habitants. La ville, comme déserte, leur offrait un visage pur et tendre.

À ce moment, Joffrey de Peyrac entra, suivi du tailleur et de ses aides qui portaient les trois parures : l'azur, la pourpre et la dorée, et de Kouassi-Ba coiffé de son turban à aigrettes, et soutenant sur un coussin un coffret de palissandre serti en son milieu d'un rang de grosses perles. Ouvert, il laissait apercevoir un amoncellement de colliers, de bracelets, de diadèmes de perles ou d'or.

Joffrey de Peyrac eut son grand geste de magicien qui ordonne les métamorphoses.

– Voici les robes, dit-il, et voici les bijoux ! Que ta fête commence !

FIN

1 Cf. « Angélique et le Nouveau-Monde ».

2 Cf. « La tentation d'Angélique ».

3 Mœurs indiennes. Dans la nuit, le galant se glissait près de la couche de sa belle en tenant un petit brandon enflammé, une allumette. Si la jeune fille soufflait l'allumette, c'est qu'elle était consentante. D'où l'expression.

4 Cf. « Angélique et le Nouveau-Monde ».

5 Cf. « Angélique se révolte ».

6 Allusion au baron Simon de Montfort originaire de Montfort-L'Amaury qui en 1208 mit à feu et à sang le Languedoc pour en extirper l'hérésie cathare.

7 Cf. « Angélique et la Démone ».

8 Cf. « La tentation d'Angélique ».

9 Cf. « Angélique et le Roi ».

10 Cf. « Le chemin de Versailles ».