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Angélique n'en rêvait pas moins de chandelles, plus fines et à la lueur plus blonde et plus forte.

– Vous devriez nous fabriquer des moules à chandelles, dit-elle au forgeron. On pourrait y couler de la cire d'abeilles, si l'on en trouve dans ces forêts.

– Le missionnaire qui était sur le Kennebec, le père d'Orgeval, dit Eloi Macollet, je sais qu'il fabriquait les chandelles vertes avec une cire végétale tirée d'une baie que les Indiens lui apportaient.

– Oh ! Voilà qui m'intéresse fort...

Elle s'entretint avec le vieux coureur de brousse, alla coucher Honorine qui n'en pouvait plus. Elle aida au service de table et à la fin elle était assez contente d'avoir réussi à ne pas laisser transparaître le tourment qui la rongeait.

Joffrey de Peyrac était-il dupe ? Par instants il lui semblait sentir peser sur elle son regard inquisiteur, mais il ne pouvait deviner ce qu'elle éprouvait et elle ne lui dirait rien... Non, rien. Mais, au moment de regagner leur chambre commune, Angélique éprouva une véritable panique. Elle regrettait ce soir de ne pas habiter un vaste château afin de pouvoir se retirer dans ses appartements en prétextant une migraine, afin de se dérober à sa présence, sinon à son étreinte.

Dans la chambre, elle s'agenouilla devant l'âtre, ranima le feu avec des gestes fébriles. Elle aurait plutôt souhaité qu'il fît très noir et que Joffrey ne pût voir son visage.

Toute la soirée, elle n'avait fait que soutenir une insupportable comédie. Envolés ses beaux raisonnements.

En réalité, rien ne passait.

Dans le lit elle se blottit tout au bord, le dos tourné, feignant le sommeil. Mais ce soir il ne respecta pas, comme elle l'espérait, sa fatigue. Elle sentit sa main sur son épaule nue et, n'osant pas lui donner l'éveil par une attitude inhabituelle, elle se tourna vers lui et se força à nouer ses bras autour de son cou.

Oh ! Pourquoi avait-elle donc tant besoin de lui ! Elle n'avait jamais pu l'oublier et l'amour qu'elle avait pour lui était tissé dans les fibres de son être. Qu'allait-elle devenir si elle ne pouvait se résigner ? Elle devait faire tout ce qu'elle pouvait pour qu'il ne se doute de rien.

– Distraite, belle amie ?

Penché sur elle, il avait interrompu ses caresses et l'interrogeait avec douceur. Elle se maudit de n'avoir pu lui donner le change.

– Distraite, n'est-ce pas ?

Elle le sentait aux aguets, et elle s'affola. Il n'admettrait pas qu'elle se taise. Il insista.

– Qu'y a-t-il ? Vous n'étiez pas vous-même, ce soir. Que se passe-t-il ? Dites-le-moi...

Elle jeta tout à trac.

– Est-ce vrai que vous allez avec les sauvagesses ? Que vous les avez pour maîtresses ?

Il ne répondit pas tout de suite.

– Qui vous a mis dans la tête une pareille sottise ? demanda-t-il enfin. C'est ce Pont-Briand, n'est-ce pas ? Il s'est jugé en assez bons termes avec vous pour vous donner ce genre d'avertissement. Ne croyez pas que je n'aie pas remarqué la passion que vous lui inspiriez ?... Il vous a fait la cour, n'est-ce pas ? Vous l'avez écouté ?

Les doigts se crispaient brusquement sur son bras et il lui taisait mal.

– Vous l'avez encouragé ? Vous vous êtes montrée coquette avec lui ?

– Moi coquette avec ce rustre ! s'écria Angélique en bondissant. Je préférerais être laide comme les sept péchés capitaux si cela pouvait me débarrasser des nommes de son espèce... Vous imaginez-vous que ce soit toujours la Faute d'une femme lorsque n'importe quel imbécile s'avise de lui faire des avances !... Et vous ?... Vous saviez que Pont-Briand me ferait des déclarations d'amour et vous êtes parti exprès pour voir comment je me conduirais, et si je n'allais pas sauter au cou du premier amant venu, comme vous vous figurez sans doute que je l'ai fait pendant ces quinze ans, alors que j'étais seule, toujours seule, tellement seule. Oh ! je vous déteste, vous n'avez aucune confiance en moi !...

– Vous non plus il me semble ! Que viennent faire les sauvagesses là-dedans ?

La colère d'Angélique était tombée.

– Oh ! Je suppose qu'il a dit cela pour me blesser, se venger de ce que je le repoussais.

– Il a essayé de vous prendre dans ses bras, de vous embrasser ?...

L'ombre lui dérobait le visage de Peyrac, mais Angélique devina qu'il ne devait pas être rassurant. Elle minimisa les choses.

– Il a insisté et je l'ai un peu... malmené. Ensuite il a compris et il est parti...

Joffrey de Peyrac respirait très fort.

Pont-Briand avait essayé de l'embrasser, il en était sûr maintenant ! Il avait posé ses lèvres sur les siennes avec la brutalité des soudards.

Lui-même n'était pas sans responsabilité dans cette affaire. S'il ne s'était pas éloigné volontairement, comme l'en accusait Angélique, n'avait-il pas joué inconsciemment avec la situation créée par l'arrivée de Pont-Briand ? Laisser agir les événements pour contrôler une expérience. Mais on ne joue pas avec le cœur et la sensibilité d'une femme comme avec des cornues, des alambics et d'inertes minéraux. Il est vrai que parfois il doutait d'elle en secret. Il le payait maintenant.

– Est-ce vrai ? murmura-t-elle, d'une voix plaintive qu'il ne lui connaissait pas. Est-ce vrai que vous allez avec les sauvagesses ?

– Non, mon amour, fit-il avec force et gravité. Qu'aurais-je à faire de sauvagesses alors que je vous ai ?...

Elle poussa un bref soupir et partit se détendre. Joffrey de Peyrac s'en voulait profondément. Où donc Pont-Briand avait-il pu aller chercher une invention aussi basse ?... Parlait-on d'eux au Canada ? Qui parlait d'eux ?... Il se pencha vers Angélique pour essayer de la reprendre contre lui. Mais bien qu'elle eût été rassurée sur la prétendue infidélité de son mari, l'humeur d'Angélique à son égard demeurait rétive.

Elle essayait de se ressaisir, mais elle avait eu mal trop longtemps. Elle avait abandonné trop d'espérances pour parvenir à les rassembler aussitôt. Surtout elle avait évoqué trop de souvenirs, trop de visages repoussants... Entre autres celui de ce Montadour qui ressemblait à Pont-Briand... Voici qu'elle se rappelait subitement son nom, maintenant du nom de l'ogre roux... Montadour... Montadour...

Et quand son mari voulut la reprendre dans ses bras, elle se crispa. Peyrac ressentit un violent désir d'égorger Pont-Briand et toute la gent militaire et masculine avec lui. Ce qui s'était passé n'était pas qu'une escarmouche sans importance dont une femme expérimentée se tire sans dommage, comme il l'avait pensé.

L'incident avait rouvert des plaies à peine cicatrisées en cette blessée de la vie. Ce fut l'un des courts moments où l'homme et la femme s'affrontent, toutes leurs forces contraires hérissées l'une contre l'autre, dans une sorte de haine farouche et irrémédiable, avec de sa part à elle le recul devant la soumission, de sa part à lui de désir de la vaincre pour la refaire sienne, parce que, s'ils ne pouvaient se rejoindre ce soir, l'esprit fugace et un peu mystérieux d'Angélique risquait de s'éloigner encore et de lui échapper.

Il sentait les mains délicates de sa femme peser contre ses épaules dans un spasme pour repousser et il ne l'en serrait que plus étroitement, incapable de la lâcher et de s'écarter d'elle. Car si l'esprit d'Angélique errait loin de lui, dans une, solitude aride, son corps était présent, tout proche de ses lèvres et Peyrac n'échappait pas à l'attirance de sa beauté, même si cette chair se rétractait sous ses baisers, si ce recul l'irritait et en même temps exaspérait sa faim. La convoitise, qui, de tout temps, a porté l'homme à la conquête de la femme, est parfois une force encombrante. Elle pesait sur ses reins et le poussait à des impulsions de violence qu'il avait de la peine à maîtriser.