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« Pouvez-vous ignorer que cet homme convoitait ma femme... Et il est venu jusqu'ici pour essayer de la séduire... se l'approprier, l'enlever... Il est venu pour me la voler et l'outrager sous mon propre toit... Et je devrais accepter cette félonie ? Je devrais laisser son geste et ses passions impunis ?... S'il a été assez fou pour les tenter, qu'il paye sa folie !... C'est la loi !... Nous nous sommes battus en duel franc et régulier... Il est mort. Et sachez que quiconque osera convoiter mon épouse connaîtra le même sort, à quelque race ou nation qu'il appartienne.

Sa voix fléchit dans un silence pétrifié. Les regards allaient de lui, dressé dans son vêtement pourpre et magnifique, à celle qui était debout, au-dessus d'eux, dans la lumière mouvante des flammes, et qui leur apparaissait dans sa beauté exceptionnelle, avec l'auréole de ses cheveux lumineux et l'éclat de ses prunelles d'eau verte où passait en cet instant une expression effrayée... On sentit que les Français qui ne la connaissaient pas encore frémissaient comme sous un choc. Elle était bien aussi belle que tout ce qu'on en disait d'elle, la Dame du lac d'Argent ! Et sa vue subjuguait leurs esprits troublés. Ils restèrent stupides un long moment. Puis l'un d'eux passa la main sur son front.

– Dieu juste ! fit-il à mi-voix. Quel insensé !

Et, se tournant vers Loménie :

– Vous aviez raison...

Nul n'ignorait que Pont-Briand était amoureux de la femme étrangère du fond des bois. Il avait paru à demi dément...

Nicolas Perrot baissa la tête.

– Si les choses se sont passées ainsi, vous deviez agir ainsi, monseigneur. Vous le deviez... Pardon, pour mon ami !

Il ôta son bonnet de fourrure et resta incliné devant le corps.

« Pouvait-on imaginer race plus terrible et outrancière que celle de ces gens du Canada », se disait Peyrac. Il les voyait courant à travers l'hiver, couleur de linceul, avec ce cadavre rigide de l'ami à venger...

– Qu'êtes-vous encore venus faire chez moi, mes sieurs de la Nouvelle-France ? reprit Peyrac d'une voix empreinte d'amertume. Vous vouliez que Kata runk soit brûlé ?... Eh bien ! c'est fait ; vous êtes par venus à vos fins. Vous vouliez que mon nom soit effacé de l'Amérique septentrionale ou que je tombe sous le coup de la haine éternelle des Iroquois, qu'au moins je me range à vos côtés dans la lutte que vous souteniez contre eux. Mais là vos plans ont échoué.

– Monsieur, je n'ai jamais désavoué les promesses que je vous ai faites à Katarunk, protesta Loménie.

– Si ce n'est pas vous, ce sont vos frères. Maudreuil et surtout le jésuite qui était sur le Kennebec et ne voulait pas accepter les accords que vous passiez avec moi, un étranger... C'est lui qui a poussé Maudreuil et les Patsuiketts et, apparemment, le gouvernement de la Nouvelle-France ne s'engagerait en rien dans ce crime...

– Vous vous méprenez. Notre désir de faire alliance avec vous a été sincère et je vous en donne pour preuve que, dès que M. de Frontenac a su que vous étiez vivant, il m'a dépêché vers vous, malgré la saison peu clémente, porteur d'un message et de propositions nouvelles.

– Vous voulez dire qu'en quittant Québec vos intentions cette fois, à mon égard, n'étaient pas hostiles ?...

– Non ! aussi bien, nous ne sommes pas nombreux, vous le voyez bien.

Le comte jeta un regard sur les quatre hommes épuisés et les trois sauvages qui, malgré les soins prodigués, ne paraissaient pas se remettre.

– Que vous est-il donc arrivé ?

– L'expliquer est difficile. Nous avons l'habitude de ces expéditions hivernales. Tout a bien marché jusqu'à Mégantic. C'est là que nous avons trouvé les traces de votre duel et le corps de ce malheureux. Dès lors, un sort funeste s'est-il attaché à nos pas avec ce cadavre que nous portions ?... On eût dit qu'un sortilège s'abattait sur nous à mesure que nous approchions...

– Wapassou est un lieu interdit.

– Nos sauvages le savaient. Ils avaient peur. Ils se sont affaiblis, et nous-mêmes, nous sentions que nous perdions nos forces un peu plus chaque jour. Il nous était impossible de rebrousser chemin sans courir à une mort certaine. Enfin, nous n'avions plus qu'un espoir, c'est d'arriver malgré tout à votre poste. Mais, après l'effort que nous avions dû fournir pour franchir les cataractes, la fatigue nous a abattus, inconscients, et... Comment avez-vous pu nous trouver à temps ?...

On ne lui donna pas de réponse.

– Comment avez-vous pu nous trouver ? répéta l'un des Français en les regardant avec suspicion.

– C'est la nuit de l'Épiphanie ! répondit Peyrac avec un sourire caustique.

Et il fixa l'homme longuement d'une façon énigmatique.

– Les choses ne tournent pas toujours comme nous le voulons, reprit-il. Vous avez quitté Québec, je veux bien le croire, avec l'intention de me joindre en toute... neutralité, pourrais-je dire ? En chemin, votre esprit, ému du spectacle de votre ami mort, s'est fait plus belliqueux et vengeur. Mais l'hiver est un ennemi plus féroce que moi, et, en fin de compte, vous êtes bien aises de m'avoir trouvé ici pour vous garder de lui. Décidément, nos rencontres semblent devoir se faire chaque fois sous le signe d'une certaine ambiguïté. Dois-je vous considérer comme des prisonniers, des otages en considération des projets de vengeance que vous avez nourris contre moi, ou comme des hôtes, du fait de vos intentions premières ?

Une fois encore le groupe des Français parut se consulter du regard et l'un d'eux, qui était un homme bien bâti et d'une certaine distinction, prit la parole.

– Je me présente. Je suis le baron d'Arreboust, premier syndic de la ville de Québec, et je peux vous confirmer les paroles de M. de Loménie comme quoi nous avons été chargés par M. le gouverneur Frontenac de vous joindre dans des intentions pacifiques. Il avait à cœur de vous présenter un projet qui... Mais nous pourrons peut-être en converser plus tard, dit le pauvre baron en frottant ses doigts gourds où la circulation revenait et qui devaient le faire souffrir atrocement.

Il jeta un regard vers le cadavre de l'officier canadien qui, déjà rongé par les morsures de la bise et du gel, et jeté parmi l'éclat des lingots, paraissait symboliser, en une image funèbre et fulgurante, la vanité des biens de ce monde.

– Étant donné les circonstances qui vous ont poussé à tuer cet homme, nous voulons bien considérer qu'il n'y a pas eu de votre part acte d'hostilité envers la Nouvelle-France, encore que nous ne puissions nous empêcher de déplorer tant de brutalité. M. de Loménie et moi-même, qui avons longtemps vécu dans ces communautés restreintes des premiers temps de la colonie, nous n'ignorons pas qu'il faut une discipline stricte pour empêcher le démon de luxure de se déchaîner, mais nous avions la prière...

– Je ne tiens pas couvent ! dit Peyrac. Moi, j'ai la poudre et la corde... et l'épée pour les gentilshommes...

– Il n'y a pas de sainteté en vous.

– Non ! Dieu m'en garde !...

Ils se dressaient l'un contre l'autre comme prêts à prendre les armes. L'ironie violente et paradoxale de la réponse les scandalisait. Lui aussi ressemblait bien à ce qu'on en avait conté : le démon noir, auprès de la démone, les bravant de son visage grimaçant et de son regard étincelant.

La tension s'accentua jusqu'à devenir insupportable.

Angélique descendit les degrés de l'estrade et s'avança vers eux.

– Venez vous asseoir auprès du feu, messieurs, dit-elle de sa voix harmonieuse et calme. Vous êtes épuisés...

Voyant que le comte de Loménie défaillait, elle l'entoura de son bras et le soutint.