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Enfin, en queue de groupe et paraissant pousser devant lui ce troupeau, un Indien solennel, balançant d'une main sa hache, de l'autre son tomahawk.

Le curieux cortège défila devant Angélique et Cantor sans prendre garde à leur présence. Les Indiens eux-mêmes paraissaient las.

Tout à coup, la jeune femme qui portait l'enfant tomba à genoux. L'Indien au mousquet revint sur ses pas et lui assena un bon coup de crosse entre les omoplates. L'enfant se mit à hurler d'une façon suraiguë. L'Indien, soudain furieux, attrapa le petit par la jambe et, après l'avoir balancé à bout de bras, le jeta dans la rivière. Angélique eut un cri.

– Cantor, vite !

Le jeune homme bondit, traversa la prairie en deux enjambées et plongea sous les yeux abasourdis de la bande. Angélique s'avançait à découvert. Elle avait la main sur son pistolet. Elle n'ignorait pas qu'avec les Indiens Abénakis ou Iroquois Te moindre incident peut tourner facilement au carnage. Mais tout aussi peut s'arranger le mieux du monde. Question de hasard et de diplomatie.

– Je te salue, dit-elle en s'adressant au chef. N'es-tu pas le grand sachem Scacho, des Etchemins ?

À la disposition de son collier de dents d'ours et des aiguilles de porc-épic vermillon plantées dans sa chevelure, elle avait identifié à quelle tribu il appartenait. Il répondit :

– Non ! Mais je suis son parent, Quandequiba.

« Dieu soit loué », pensa Angélique. Cependant, Cantor sortait de l'eau, ruisselant, tenant d'enfant qui suffoquait, crachait, mais n'avait pas eu le temps de perdre connaissance. La terreur remplissait les yeux bleus du petit et le rendait muet. Sa mère le saisit sauvagement et l'étreignit. Tous deux claquaient des dents, tremblaient avec tant de violence qu'ils n'aurait pu se tenir debout, mais restaient silencieux, sous l'effet d'une peur animale.

– Ce sont des Anglais, dit Cantor. Ce parti d'Abénakis a dû les capturer dans le Sud.

Les Etchemins, devant l'intervention inattendue, s'étaient groupés précipitamment autour de leurs captifs. Soupçonneux, ils attendaient un mot de leur chef pour déterminer si cette rencontre devait être mal interprétée. Le fait que la femme blanche qui venait de surgir des bois employait leur langue les disposait favorablement.

– Tu sais donc parler notre langue, toi, femme ? interrogea le chef, comme doutant de ses oreilles.

– Je m'y essaye ! Une femme ne peut-elle parler le langage des Vrais Hommes ?...

C'était le titre que la race Abénakis se donnait volontiers. Les Enfants de l'Aurore, mais aussi les Vrais Hommes. Les seuls par excellence. Les autres, tous les autres, y compris Algonquins et Iroquois, n'étant que chiens bâtards. Le chef parut apprécier qu'elle distinguât cette nuance et qu'elle fût également consciente de l'honneur d'employer un tel langage. Sa colère semblait écartée.

Dans le silence peuplé de froissements de feuilles et de chants d'oiseaux les deux groupes se regardèrent et se jaugèrent.

À ce moment, un des Anglais, celui qui était blessé et que son camarade avait déposé à terre, toucha le bord de la jupe d'Angélique.

– Vous ? Français ?

– Yes, répondit Cantor. We are French.

Aussitôt, tous les malheureux se rapprochèrent et se jetèrent aux pieds d'Angélique et de Cantor, les entourant et les suppliant :

– Pray, purchase us ! Pray, do purchase us !7... Ils s'accrochaient à eux de leurs mains glacées.

Ils étaient blêmes, le visage strié d'ecchymoses par la flagellation des branches dans la forêt. Les hommes portaient des barbes de plusieurs jours.

Les Indiens les regardaient avec mépris.

Dominant les lamentations et les supplications, Angélique essaya de persuader le chef de se rendre avec eux jusqu'au fort, où de vaillants guerriers comme eux trouveraient repos, tabac et sagamite. Mais les Indiens secouèrent la tête négativement. Ils avaient hâte, disaient-ils, de parvenir à la rivière Saint-François et de gagner par là le village qu'ils avaient sur les bords du Saint-Laurent. Plus tard, ils emmèneraient leurs prisonniers à Montréal pour les vendre un bon prix. Et tout d'abord les Blancs de ce fort Wapassou n'étaient-ils pas amis des Anglais ? La Robe Noire l'avait dit !

Ils devinrent menaçants. Angélique prit la précaution de s'appuyer au tronc d'un arbre et elle vit que Cantor en faisait autant. Un coup de tomahawk par-derrière est vite arrivé ! Tout en se reculant avec toujours la grappe des malheureux captifs accrochés à elle, Angélique continuait de discourir assistée de Cantor, moitié en français, moitié en abénakis. Elle leur parla de Piksarett, de Mopountook et du vieux Massawa avec lequel l'Homme du Tonnerre avait fait alliance.

De nouveau ils parurent tentés, curieux.

– Est-ce vrai que l'Homme du Tonnerre fait sauter la montagne ? demandèrent-ils. Est-ce vrai que les Iroquois se sont enfuis devant lui ?

Angélique disait :

– Oui, l'Homme du Tonnerre faisait sauter la montagne. Non, les Iroquois ne s'étaient pas enfuis. Simplement, les Iroquois avaient fait alliance avec l'Homme du Tonnerre, car celui-ci avait payé le prix du sang au delà de tout ce qu'on n'avait jamais vu.

– Est-ce vrai, demandaient les Abénakis, qu'il y avait dans les présents aux Iroquois des perles rouges comme le sang, jaunes comme l'or et translucides comme la sève qui coule de l'arbre, des perles inconnues des autres traitants ?

– Oui, c'était vrai, qu'ils viennent donc jusqu'au fort. Ils les verraient de leurs propres yeux.

La pluie se mit à tomber doucement sur les feuilles.

Un cri grêle s'éleva, une sorte de miaulement de chat... Les Indiens éclatèrent de rire devant les mines stupéfaites d'Angélique et de Cantor. Content de les étonner à leur tour, l'un d'eux sortit d'une espèce de sac qu'il avait en bandoulière un petit être rouge et nu qu'il présentait par les pieds et qui se mit à s'égosiller avec toute l'énergie d'un nouveau-né mécontent. Une des femmes alors, en pleurant, parla. Elle s'adressait à Cantor car elle avait constaté qu'il comprenait bien l'anglais.

– Elle dit que c'est son enfant. Qu'il est né il y a six jours, dans la forêt...

– Seigneur ! murmura Angélique. Il faut absolument décider les Indiens à venir jusqu'au fort afin de donner quelques Soins à ces pauvres gens.

Enfin, multipliant les promesses de perles, de tabac, de munitions pour le mousquet, de couvertures splendides, ils réussirent à convaincre les Indiens. Durant le trajet, tandis que Cantor soutenait l'homme blessé, celui qui était valide racontait son odyssée.

Ils étaient tous habitants d'un petit hameau de l'intérieur, des « habitants des frontières », comme les désignaient ceux du rivage. Biddeford, près du lac Sébago. Le fort gardait à l'intérieur de ses palissades une trentaine de familles. Mais certains fermiers plus indépendants, comme les William, s'étaient installés au-dehors. Lui-même, Daugherty et son fils, le jeune Samuel, étaient « engagés » dans cette famille. En arrivant un matin avec son fils pour prendre son travail, à peine la porte de la maison s'ouvrait-elle qu'on avait vu surgir des fourrés un groupe d'Abénakis qui devaient s'y être cachés la nuit et qui attendaient une occasion de ce genre pour pénétrer dans l'habitation.

En un tournemain, les sauvages se saisirent de tous ceux qui se trouvaient là, arrachant les enfants de leurs lits, ce qui expliquait pourquoi ces pauvres petits étaient pieds nus et vêtus d'une seule chemise, ainsi que Mistress William elle-même qui venait juste de se lever. Ils raflèrent tout ce qu'ils purent trouver de vêtements, d'ustensiles, de provisions, et entraînèrent tout le monde en courant jusqu'à la lisière de la forêt.