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À ce moment un long cri harmonieux et léger s'éleva derrière eux, venant de la haute falaise noire qui les surplombait. C'était un appel qui s'enflait peu à peu avec des trémolos défaillants, des reprises, pour se prolonger en un chant d'une seule note, qui ne semblait jamais vouloir finir, et où il y avait à la fois de l'extase et de la peine.

– Écoutez, dit Angélique, le chœur des louveteaux !...

Elle les imaginait tels que Cantor les avait décrits, les six louveteaux assis de chaque côté du grand loup, leurs naseaux ronds et rosés tendus dans un effort candide pour imiter leur père, et celui-ci renversant son profil tragique comme une pointe, vers la lune.

– On dirait que la forêt chante, murmura Angélique. Je ne sais pas si j'ai raison, mais je crois que je ressemble à Cantor. Moi aussi, j'aime les loups.

Il la regarda avec intensité, sensible à chaque nuance de sa voix, à chaque mot qu'elle prononçait.

« C'est étrange, rêvait-il, jadis je l'aimais follement, et pourtant, pendant des années, j'ai pu vivre loin d'elle, savourer la vie, et même goûter avec d'autres femmes le plaisir... Mais, maintenant, je ne le pourrai plus... On ne peut l'éloigner de moi sans arracher, en même temps, des lambeaux de ma chair... Sans elle, maintenant, je ne pourrais plus supporter la vie... Et comment cela s'est-il fait ?... Je ne le sais même pas...  »

À la pensée qu'on pourrait essayer de la lui ravir, non par la mort, mais de façon plus subtile, il serrait les poings, car si, de ce piédestal où il l'avait placée, créature de beauté et de lumière, elle était précipitée dans les enfers en le trahissant, il y tomberait avec elle, atteint et sapé dans ses forces vives, ivre de colère et de vengeance, au point d'oublier toute autre œuvre humaine et toute sagesse. À travers elle, les flèches qui le frapperaient seraient toutes empoisonnées.

Les sourcils froncés, il lui serrait doucement la main, tandis qu'elle se laissait envoûter par la nostalgique poésie de l'appel des loups. Puis le regard de Peyrac se détourna d'elle et se fixa au loin vers les fourrés ténébreux, comme si ses prunelles attentives venaient d'y découvrir un ennemi caché.

Ce fut alors que la chose se produisit. Une lueur trembla à l'horizon, vers le Sud, s'éleva en grandissant au-dessus des arbres et des montagnes jusqu'à dessiner un immense ovale lumineux où semblait se profiler une silhouette géante drapée de voiles, puis ces draperies virèrent au rosé, au vert, se superposant en une spirale tuyautée qui commença à se désagréger en faisant pleuvoir alentour de grands éclats luminescents.

– Qu'est-ce ? s'écria Angélique, saisie.

– Une aurore boréale, dit Peyrac.

Il expliqua, d'une voix paisible, que ce phénomène aux causes encore inconnues était fréquent en cette saison, dans ces parages. Angélique, qui était demeurée figée, respira.

– J'ai eu peur, j'ai cru un instant que nous allions être victimes d'une apparition céleste, nous aussi... Cela m'aurait... enfin, je crois que cela m'aurait beaucoup embarrassée !... Ils rirent tous les deux. Le comte de Peyrac se pencha et ramena autour d'elle les pans de son manteau, car un froid soudain paraissait monter des ravines. Il l'enveloppait avec soin, passant à plusieurs reprises ses mains sur ses épaules, puis, prenant entre ses paumes le visage frais de sa femme, il baisa longuement sa bouche. Des lueurs fugaces les illuminaient tous deux par intermittence, tandis que la pluie rosé et verte achevait de ruisseler sur les ténèbres du firmament.

Puis ils restèrent silencieux, pénétrés de la sensation indescriptible d'être deux, complices et amants, devant la vie, et tellement pénétrés de la valeur de ce qu'ils avaient reçu en ce monde avec l'amour qu'ils comprenaient qu'on les en jalousât. Une crainte furtive, par instants, les parcourait. Alors Peyrac étreignait plus fort Angélique contre lui. Tous deux, en regardant vers le sud, songeaient à un homme seul, étendu sur une couche de branchages pour un court repos. Quand sonnera minuit, il se relèvera et il ira, parmi la ronde susurrante des maringouins, s'agenouiller dans une cahute au sol de terre battue, devant un autel où veille une lampe rouge. À droite de l'autel, il y a une bannière qui représente quatre cœurs rouges à chaque coin et un glaive. Au milieu de l'autel, au-dessous de la croix, le mousquet de la Guerre Sainte.

La croix est de bois.

Joffrey de Peyrac songeait. Quelle forme prendrait la lutte sourde et obstinée qui avait commencé à se nouer entre eux et lui, sans qu'ils se soient jamais rencontrés ? Peyrac avait appris toutes les façons de combattre, et pourtant il avait l'impression que ce qui allait survenir ne ressemblerait à rien de connu.

Un espoir subsistait. Dans tout antagonisme, il existe un point de rencontre, une possibilité de se rejoindre...

Les valeurs engagées étaient assez élevées de part et d'autre pour que cette grâce leur fût donnée.

– À Dieu vat ! murmura-t-il.

FIN

1 Cf. « Angélique, marquise des Anges ».

2 Cf. « Angélique et le Roy ».

3 Cf. « Angélique se révolte ».

4 Phoque.

5 Maïs.

6 Cf. « Angélique et le Roy ».

7 De grâce, achetez-nous ! De grâce, achetez-nous !

8 Ces mœurs indiennes du respect de la femme, générales au début du XVIIe siècle, disparurent peu à peu devant l'exemple des Blancs et sous l'influence de l'eau-de-vie. Vers la fin du XVIIe siècle beaucoup d'Indiens ne se privaient pas de violer les femmes blanches.

9 Ma fille va mourir.