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La reine était aux mains de ses femmes, qui la paraient et la coiffaient pour les fêtes du soir. Sur une console étaient ouverts les écrins contenant certains bijoux de la couronne. Marie-Thérèse les essayait tour à tour : carcans de diamants montés sur or ou sur vermeil, pendants d'oreilles faits d'un seul diamant taillé en poire chacun d'une grosseur presque unique au monde et qu'on disait venus des Indes, bracelets, diadèmes. Angélique, après avoir accompli de multiples révérences et baisé la main de la reine, se tenait un peu en retrait. Elle songeait à l'Infante qu'elle avait vue le soir de son mariage avec le roi, à Saint-Jean-de-Luz. Où étaient les pâles cheveux de soie blonde gonflés par les postiches, les lourdes jupes à l'espagnole tendue hiératiquement par le vertugadin démodé ? La souveraine était maintenant vêtue à la façon française, mais ces modes n'allaient pas à sa silhouette replète. Son teint délicat, très blanc et rose, jadis conservé par l'ombre des palais madrilènes, s'était couperosé. Elle avait facilement le nez rouge. On était étonné de la majesté naturelle de cette pauvre petite personne si désavantagée. Malgré sa piété et son peu d'esprit elle possédait de l'enjouement. Son humeur était bien espagnole dans ses colères jalouses et la passion qu'elle vouait au roi. Elle aimait les divertissements de la Cour et les petits potins, et la moindre attention du roi la ravissait naïvement.

Apercevant le regard d'Angélique fixé sur elle, elle dit, désignant le carcan de diamants qui étincelait sur sa poitrine et ses épaules :

– Il faut regarder là... et non pas là, acheva-t-elle en montrant son visage avec un sourire humble.

Dans un coin, des nains jouaient avec les griffons favoris de la reine. Barcarole adressa à Angélique un clin d'œil complice.

Il y eut ensuite promenade dans les jardins car le temps était doux, l'heure aussi. Puis avec l'arrivée des flambeaux un grand remue-ménage secoua la Cour, chacun se hâtant à sa toilette.

Angélique put revêtir la sienne dans l'antichambre des filles de la reine. Mme de Montespan lui fit remarquer que les bijoux qu'elle avait apportés étaient trop modestes pour la soirée. Il n'était plus temps d'en envoyer quérir d'autres à l'Hôtel du Beautreillis, à Paris. Deux orfèvres lombards, attachés à la Cour, lui furent expédiés sur-le-champ avec leurs écrins ; moyennant une « modique » redevance ils louaient quelques heures des parures, d'ailleurs fort belles ; toute une liasse de papiers à signer les garantissaient du risque de voir leurs augustes clientes filer on ne sait où avec leurs bijoux d'emprunt. Angélique signa, et délestée de la « modique » redevance qui s'élevait pourtant à deux cents livres ( !) – avec cela elle aurait pu s'acheter au moins deux bracelets de valeur – elle descendit jusqu'à la grande galerie du rez-de-chaussée où était dressé le théâtre. Le roi avait déjà pris place. Les rigueurs de l'étiquette ne laissaient pas un siège disponible. Angélique dut se contenter de percevoir les éclats de rire des spectateurs des premières places.

– Que pensez-vous de la leçon que nous donne M. Molière ? dit une voix à son oreille. N'est-elle pas des plus instructives ?

La voix était si affable qu'Angélique crut rêver en reconnaissant Philippe, dressé près d'elle à sa façon d'apparition, dans un habit de satin rose broché d'argent que seuls son teint de dragée et sa moustache blonde pouvaient lui permettre de porter sans paraître ridicule. Il souriait, Angélique s'efforça de répondre avec naturel :

– La leçon de M. Molière est certainement des plus drôles, mais de l'endroit où je suis j'avoue que je n'en conçois rien.

– C'est un grand dommage. Laissez-moi vous aider à gagner quelques rangs.

Il lui passa un bras autour de la taille et l'entraîna. On leur faisait place volontiers. La faveur de Philippe, connue de tous, rendait les gens empressés à leur égard. De plus son rang de maréchal lui accordait de grandes prérogatives, comme celle de pouvoir faire entrer son carrosse dans la cour du Louvre ou de s'asseoir devant le roi. Cependant sa femme n'en bénéficiait pas.

Ils purent se placer très facilement sur la droite de la scène. Il fallait rester debout mais on entendait à merveille.

– Nous voilà à point je crois, dit Philippe. Nous voyons le spectacle et le roi nous voit. C'est parfait.

Il n'avait pas retiré sa main de la taille d'Angélique ; au contraire, il inclinait encore son visage vers le sien et elle sentait contre sa joue le frôlement soyeux de sa perruque.

– Est-il absolument nécessaire que vous me serriez d'aussi près ? demanda-t-elle sèchement à voix basse, ayant décidé que, toute réflexion faite, cette nouvelle attitude de son mari ne pouvait être que suspecte.

– Absolument nécessaire. Votre méchanceté a trouvé habile de mettre le roi dans son jeu. Je ne veux pas que celui-ci doute de ma bonne volonté. Ses désirs sont des ordres.

– Ah ! c'est donc cela ? fit-elle en le regardant.

– C'est cela... Et continuez à me fixer ainsi dans les yeux quelques secondes. Personne ne doutera plus que M. et Mme du Plessis-Bellière se sont réconciliés.

– Est-ce très important ?

– Le roi le souhaite.

– Oh ! Vous êtes...

– Tenez-vous tranquille.

Son bras était devenu un véritable cercle de fer, bien que sa voix restât mesurée.

– Vous allez m'étouffer, espèce de brute !

– Voilà qui me ferait grandement plaisir. Patience, cela viendra peut-être. Mais ce n'est ni le jour ni l'heure... Tenez, voici Arnolphe qui fait lire à Agnès les onze maximes du mariage. Prêtez l'oreille, Madame, je vous prie.

*****

La pièce qui se jouait n'avait pas encore été présentée en public. Le roi en avait la primeur. On voyait en scène Arnolphe, qui sur le point de convoler en justes noces, remettait à sa jeune femme un long grimoire.

...Et voici dans ma poche un écrit important.

Qui vous enseignera l'office de la femme.

J'en ignore l'auteur ; mais c'est quelque bonne

âme Et je veux que ce soit votre unique entretien.

Voyons un peu si vous le lirez bien.

Molière jouait le rôle d'Arnolphe. Son spirituel visage savait refléter les sentiments tatillons et soupçonneux d'un bourgeois à l'esprit un peu court. La femme du comédien, Armande Béjart, était également à sa place sous les traits d'Agnès, jeune beauté soi-disant ignorante et sotte. D'une voix fraîche et docile elle lisait : Celle qu'un lien honnête

Fait entrer au lit d'autrui

Doit se mettre dans la tête

Malgré le train d'aujourd'hui

Que l'homme qui la prend ne la prend que pour lui.

– Je vous expliquerai ce que cela veut dire, répliquait Arnolphe. Mais pour l'heure présente il ne faut rien que lire.

Elle ne se doit parer

Qu'autant que peut désirer

Le mari qui la possède

C'est lui que touche seul le soin de sa beauté...

Angélique écoutait distraitement. Elle aimait bien la comédie, mais sentir Philippe si proche la troublait.

« Si cela pouvait être vrai », songeait-elle, « qu'il me tînt ainsi contre lui, sans rancune et sans souvenirs de nos dissentiments. »