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– La mode est la mode, fit Binet, sentencieux. Les rois eux-mêmes doivent s'incliner devant elle. Or la mode est à la perruque. Elle donne de la majesté au visage le plus commun, de la grâce aux traits les moins engageants. Elle préserve les chauves du ridicule et les vieillards des coryzas, et elle prolonge pour tous deux l'âge des agréables conquêtes. Qui peut se passer de perruque désormais ? Tôt ou tard le roi y viendra. Et moi, François Binet, j'ai mis au point un modèle spécialement étudié pour Sa Majesté, qui lui permettra de porter perruque sans pour cela sacrifier sa chevelure ni la dissimuler entièrement.

– Vous m'intriguez, monsieur Binet.

– Madame, je ne confierai mon secret qu'au roi seul.

*****

Le lendemain, Angélique, ayant décidé qu'elle ne pouvait plus se passer de l'atmosphère de la Cour, prit le chemin de Saint-Germain-en-Laye, dont Louis XIV avait fait depuis trois années sa résidence habituelle.

Chapitre 10

Angélique mit pied à terre à l'entrée des jardins. Les abords étaient plus animés encore qu'à Versailles. Toute la petite ville participait à la vie de la Cour. Badauds, solliciteurs, fonctionnaires, domestiques allaient et venaient librement. La terrasse, longue de plus de cinq lieues, réalisée par Le Nôtre, s'allongeait dominant l'un des plus beaux panoramas de l'Ile-de-France.

À l'instant même le roi arriva dans son carrosse tiré par six chevaux isabelle blancs somptueusement harnachés, entouré de quatre cents seigneurs tous à cheval et le chapeau à la main. L'extraordinaire assemblée se détachait en multiples coloris sur les frondaisons rousses de la forêt, tandis qu'au loin s'apercevait la plaine aux tons bleu doux et vert cendré où brillait le cours ondoyant de la Seine.

Le marquis de La Vallière, l'un des premiers offrit à Angélique d'être son cavalier, puis le marquis de Roquelaure, Brienne, Lauzun, s'arrêtèrent. Ces messieurs étaient fort excités, discutant la dernière nouvelle à l'ordre du jour. Le roi avait fait venir son tailleur afin de lui donner des directives au sujet des fameux justaucorps bleus dont il voulait créer l'ordre très peu monastique, sinon très honorifique. Soixante gentilshommes seraient élus. Ils pourraient suivre le roi dans ses petits voyages de plaisir sans en demander la permission. Ils revêtiraient à cet effet l'uniforme qui serait aux yeux de tous l'éclatant témoignage de l'amitié que le souverain leur portait ; casaque de moire bleue, disait-on, doublée de rouge, brodée d'un dessin d'or et d'un peu d'argent, avec les parements et la veste rouges.

– Notre ami Andijos nous doit une agréable surprise, dit Lauzun. Je crois que sa faveur est au plus haut point et que nous pouvons nous promener ensemble sans scrupules. Connaissez-vous les grottes de Saint-Germain, ma beauté ?

Sur sa réponse négative il lui prit le bras et l'enlevant d'autorité à ses autres admirateurs, l'emmena voir ces curieuses grottes animées ou parlantes, qui dataient du bon roi Henri. Des artistes italiens, les Francinet, établis en 1590 comme « maîtres dans l'art d'utiliser les eaux pour l'embellissement des parcs et des jardins », les avaient peuplées de toute une mythologie mécanique que l'eau faisait comme vivre et parler. La première grotte était habitée par Orphée, qui jouait de la harpe. Des animaux paraissaient tour à tour, chacun poussant le cri de son espèce. La deuxième abritait un berger qui chantait, accompagné d'un chœur d'oiseaux. Dans la troisième, où l'on pouvait voir un Persée automate délivrant Andromède tandis que des tritons soufflaient dans leurs conques, Lauzun et sa compagne rencontrèrent Mlle de La Vallière et quelques-unes de ses suivantes. Elle était assise au bord d'un des bassins, laissant tremper ses doigts fins dans l'eau murmurante.

Le marquis de Lauzun lui fit sa cour et la jeune femme lui répondit avec enjouement. Rompue depuis sa jeunesse aux règles de la conversation, une longue habitude du monde avait eu raison de sa timidité et de la honte qu'elle ne pouvait s'empêcher d'éprouver depuis qu'elle était devenue au su de tous la maîtresse du roi. Elle souffrait de paraître, mais demeurait aisée et gracieuse. Son regard glissa vers Angélique avec intérêt.

– Mlle de La Vallière attire l'affection mais pas le dévouement, fit remarquer celle-ci, tandis qu'elle continuait sa promenade sous le couvert des galeries de verdure. Lauzun ne releva pas ses paroles.

Il l'examinait du coin de l'œil. Elle poursuivit son raisonnement :

– Ces valets et ces pique-assiette qu'elle entretient sans le savoir et presque sans le vouloir, sont prêts à l'abandonner au moindre mauvais vent. Il n'y a certainement pas eu dans l'Histoire de favorite moins exigeante pour elle-même et qui cependant donne autant l'impression de piller le Trésor Royal. Les protégés de Mlle de La Vallière représentent un fléau. On les retrouve partout, les dents longues, tendant la main et insatiables.

– Vos petites idées sur les petites coteries de la Cour me semblent déjà assez claires pour votre petite expérience, dit Lauzun. Attendez ! fit-il en s'arrêtant, et levez les yeux vers les arbres, s'il vous plaît.

Angélique s'exécuta sans comprendre.

– Admirable ! soupira Lauzun. Vos yeux deviennent alors verts et liquides comme une eau de source. On s'y rafraîchirait.

Il lui baisa les paupières. Elle l'écarta d'un léger coup d'éventail.

– Ne vous croyez pas obligé de jouer au satyre parce que nous sommes en forêt.

– Il y a pourtant longtemps que je vous adore.

– Votre adoration est de celles dont on fait les bonnes amitiés. Je voudrais que vous la mettiez à mon service pour me permettre d'acquérir une charge à la Cour.

– Angélique, vous êtes une enfant beaucoup trop sérieuse. On vous montre de beaux joujoux mécaniques et vous les regardez distraitement en songeant à vos devoirs d'école. On vante vos beaux yeux et vous parlez charges et emplois.

– Qui n'en parle pas ici ?

– On parle aussi des beaux yeux !... Et de l'amour, dit Lauzun en passant un bras câlin autour de sa taille.

Elle ne voulut pas l'entendre et le précéda pour entrer dans la quatrième grotte, où Vulcain et Vénus voguaient ensemble sur une coquille argentine. Il y avait foule, et comme elle s'approchait elle reconnut le roi.

– Ah ! voici la charmante bagatelle, fit celui-ci en l'apercevant.

Angélique exécuta sa première grande révérence de la journée. Elle la renouvela pour Monsieur et Madame, qui étaient également présents.

Le roi s'étant mis à parler avec le marquis de Lauzun elle se mêla au groupe des dames et des courtisans et les suivit pendant la promenade à travers les jardins. Peu après Péguilin revint, la prit par la main et la conduisit près du roi.

– Sa Majesté a deux mots à vous dire...

Angélique fit une nouvelle révérence et resta à hauteur de Sa Majesté tandis que le gros de la suite se maintenait à quelque distance.

« Encore deux apartés de ce genre et je vais voir doubler le nombre des solliciteurs à mes portes », pensa-t-elle.

– Madame, dit le roi, depuis notre dernière entrevue à Versailles nous avons eu maintes fois l'occasion de nous féliciter des vues très justes, très sages et très nouvelles que vous nous aviez exposées. Et nous avons pensé que nous vous en avions bien mal remerciée. Si vous avez quelque faveur à nous demander c'est avec le plus grand plaisir que nous y soucrirons.

– Sire, Votre Majesté a déjà eu la bonté de s'intéresser à l'avenir de mes fils.

– Cela va de soi ! Mais n'auriez-vous pas une requête plus précise à m'adresser ?

Angélique pensa aussitôt à la demande de Binet et tira de son corsage le placet violemment parfumé aux essences de Provence du perruquier-coiffeur.

– Un coiffeur ? dit le roi surpris. Je vous parlais d'une requête de plus d'importance.