– Mais un coiffeur est quelqu'un de très important, affirma Angélique, sérieuse. Et, à mes yeux, celui-ci l'est plus que tous les autres coiffeurs de Paris car c'est le mien. En outre il affirme posséder un secret qui permettrait à Votre Majesté de porter perruque sans pour cela sacrifier ni même cacher ses cheveux, qu'elle a fort beaux.
– Vraiment ? s'exclama le roi en s'arrêtant au milieu de l'allée. Comment cela est-il possible ?
– Le sieur François Binet m'a dit qu'il ne confierait son secret qu'à Votre Majesté, seul à seul.
– Le diable m'emporte si j'ai la patience d'attendre jusqu'à demain pour connaître la solution du problème ! Je suis sans cesse à me poser la question : Couperai-je ? Ne couperai-je pas ? Mais, si cet artiste – dont j'ai entendu dire grand bien d'ailleurs – a trouvé vraiment le moyen de concilier ces deux extrêmes, ma parole, je le ferai duc !...
Riant, avec cet entrain auquel il se laissait aller dans ses moments de détente, Louis XIV fit signe à son premier gentilhomme, lui remit le placet de Binet et lui donna des ordres pour qu'on fît venir le perruquier à Saint-Germain.
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En regagnant, vers le soir, son logis parisien Angélique éprouvait une joie puérile d'avoir ainsi obtenu si rapidement sa première requête. Elle se sentait presque toute-puissante, tout en devant s'avouer que ses propres affaires n'étaient guère avancées. Elle avait pris part à une collation suivie d'un petit bal, parlé avec une infinité de gens, exécuté un nombre incalculable de révérences et perdu 100 livres au cours d'une petite partie – assise – de lansquenet. Néanmoins, le lendemain et les jours suivants elle reprenait le chemin de la Cour. Elle ne voyait plus Philippe nulle part. Les échos lui avaient appris qu'il avait été envoyé pour une inspection de quelques jours en Picardie. Était-il en disgrâce ? Non, car le Grand Louvetier avait revêtu l'un des premiers la fameuse casaque bleue tant briguée. Angélique avait vu aussi le marquis de Louvois. À ses demandes d'échanges d'affaires, le ministre avait levé les yeux au ciel et commencé à exposer la situation ridicule et désastreuse dans laquelle il se trouvait. Certes il était propriétaire, et depuis longtemps, des bénéfices des transports entre Lyon et Paris. Mais ne voilà-t-il pas qu'un fieffé coquin, un nommé Collin, avait eu l'audace de demander ce même privilège et que le roi le lui avait accordé. Il se trouvait maintenant dans l'obligation de traiter avec un damné valet de bas étage, soit pour se faire rendre ses droits en accordant audit Collin un substantiel dédommagement, soit en partageant avec lui, soit en abandonnant tout. Naturellement ce Collin appartenait à la maison de Mlle de La Vallière, ce qui rendait la situation épineuse vis-à-vis du roi. Louvois s'étendit longuement et avec maussaderie sur cette désagréable affaire et en oublia les compliments qu'il avait préparés pour la ravissante marquise dont la beauté, l'air à la fois sagace et ingénu, commençaient à hanter ses rêves.
Le marquis de La Vallière, que la longue conversation avec Louvois avait rendu nerveux, vint trouver Angélique, des reproches aux lèvres, mais se dérida lorsqu'elle lui demanda s'il avait réussi à « angliciser » son Français mort à Tanger et dont il convoitait les biens. Oui, cette naturalisation posthume était en bonne voie. Les services de renseignement du marquis de La Vallière lui avaient révélé une origine écossaise dans l'ascendance du pauvre comte de Rotefort.
Et les biens du vice-bailli de Chartres étaient-ils tombés dans son escarcelle ? Haussant les épaules, Jean-François de La Baume Le Blanc, marquis de La Vallière, laissait entendre à la fois qu'il était parvenu à ses fins et que la part obtenue ne suffisait pas à son appétit.
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Par deux fois Péguilin de Lauzun réussit à entraîner Angélique dans un coin tranquille avec le dessein très avoué de lui prendre quelques baisers. Sans avoir l'air d'y toucher, elle s'informa de M. le duc de Mazarin. Ses scrupules religieux l'avaient-ils entraîné à se défaire enfin d'une de ses charges au profit de M. de Lauzun ?
Les joues rouges d'excitation, Péguilin lui dit que oui et que non. C'était un vrai casse-tête, mais sur le point d'aboutir. M. le duc de Mazarin s'était en effet démis de sa charge de grand-maître sur la prière de Madame de Longueville, qui avait dessein de la faire acheter pour monsieur son fils. Mais le traité venant d'être conclu, lorsque Mme de Longueville avait demandé l'agrément du roi, celui-ci avait dit que la transaction ne lui convenait point, qu'il n'avait pas su que M. le duc de Mazarin voulût s'en défaire. M. le duc de Mazarin avait dit alors qu'il ne voulait plus la vendre. Le roi s'était mis en scrupules à son tour de la lui laisser. Il avait fixé lui-même le prix, résolu d'en faire faire les fonctions par M. de Louvois et que celui qui en aurait le titre n'agirait que pour les actions de guerre. Et il avait proposé à M. de Lauzun de quitter sa charge de général des dragons et de prendre celle, effective, de grand-maître... Comme Mme du Plessis pouvait s'en douter, Lauzun s'était senti blessé de devoir remplir une charge dont les fonctions seraient exercées par M. de Louvois. Il avait supplié humblement Sa Majesté de lui donner une place auprès de sa personne dans laquelle il pût agir selon qu'il le jugerait à propos. Que s'il prenait celle de grand-maître il aurait des démêlés avec M. de Louvois. Le roi avait loué les sentiments de M. de Lauzun et voulant lui donner des marques d'une plus grande confiance, il lui avait remis la garde de sa personne entre les mains et pris résolution de lui donner une charge de capitaine des gardes du corps. En conséquence il avait fait le comte de Ludre, grand-maître. Celui-ci avait donné sa charge de premier gentilhomme à M. de Gesvres, qui s'était défait de celle de capitaine des gardes du corps du roi entre les mains de M. de Lauzun. Qui avait donné sa charge de colonel-général des dragons à M. de Roure. Lequel s'était défait de celle qu'il avait dans les chevaux-légers et dont le prix avait servi à récompenser M. le duc de Mazarin de sa charge de grand-maître.
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Voilà comment Angélique entendit la chose. Les mains jointes sur ses genoux et l'air appliqué elle fit ses classes, apprenant d'une part les arcanes compliquées des intrigues et de l'autre que le plus habile système de défense d'une jolie femme qui veut fuir des hommages trop empressés consiste à lancer l'audacieux dans le récit de ses espoirs et de ses ambitions pratiques. Étonnée, elle s'apercevait qu'en cette Cour qu'on disait si galante, l'amour passait parfois après l'intérêt et, comme l'aurait conté le fabuliste La Fontaine, le petit dieu Éros devait souvent se retirer bredouille devant le couple redoutable que formaient la Fortune aveugle, montée sur sa roue, et Mercure aux pieds ailés.
Le roi orchestrait tout ce ballet compliqué avec une conscience pointilleuse jamais lassée, attentive. Il « avançait » tous ceux qui servaient autour de sa personne. Il fallait être vu et revu. Une insolence coûtait moins cher qu'une absence.
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Elle apprit peu après que Binet avait reçu la charge de premier perruquier du roi. Il s'était acquis la reconnaissance de son souverain en lui présentant une perruque qui comportait des ouvertures par lesquelles Sa Majesté pouvait faire sortir d'amples mèches de sa propre chevelure. Ainsi le roi n'aurait pas à sacrifier sa parure naturelle, tout en profitant cependant des avantages et des commodités de la perruque. Toute la Cour voulut se faire coiffer par lui ou porter des perruques de sa création. On ne s'estimait à la mode qu'après être passé entre ses mains. Les élégants créèrent un mot nouveau.
– Que pensez-vous de ma « binette » ? se demandaient-ils au passage.
Chapitre 11
Aux premières neiges, qui furent précoces cette année-là, toute la Cour s'en fut à Fontainebleau. Les paysans de la région avaient réclamé l'appui de leur seigneur, le roi de France, pour venir les aider à se débarrasser des loups, qui leur causaient de grands ravages. À travers la campagne immaculée, sous le ciel gris et bas, la longue file de carrosses, de fourgons, de cavaliers et de coureurs à pied s'ébranla.