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– Rien à faire, dit-il avec accablement. Le roi est si furieux contre vous que je m'étonne de vous voir encore à la Cour. Il ne veut pas entendre parler de votre intervention.

– Ne vous avais-je pas averti ?

Elle présenta son frère le Révérend Père de Sancé. M. Colbert, quoi qu'il s'en défendît, n'était pas sans méfiance envers les membres de la compagnie de Jésus. Son esprit madré y reconnaissait des intelligences à sa taille et capables à l'occasion de lui faire échec. Mais son visage s'éclaira lorsqu'il comprit que le jésuite apportait de l'eau à son moulin. Mis au courant de la situation, Raymond de Sancé ne la prit pas au tragique.

– Je crois saisir la cause principale de l'irritation du roi à ton égard. Tu refuses de lui donner la raison de ta visite là-bas.

– Je ne la donnerai à personne.

– Nous nous en doutons, je connais ta tête carrée, ma chère Angélique. Si tu l'as refusée au roi, pourquoi espérer que tu seras plus indulgente à notre égard ? Trouvons-en une plausible et qui explique tant bien que mal ton attitude inqualifiable... Voyons... Mais j'y songe, pourquoi ne pas mettre en avant ces raisons que je t'exposais tout à l'heure ? Tu te seras rendue à Suresnes sur ma demande afin d'établir un contact avec le Père Richard, dont la situation délicate l'empêche de me recevoir ouvertement parmi ces musulmans soupçonneux. Qu'en pensez-vous, monsieur Colbert ?

– Je pense que l'explication est habile si elle est habilement présentée.

– Le Révérend Père Joseph, de notre Ordre, est aumônier du roi. Je vais le trouver sur l'heure. Qu'en penses-tu, Angélique ?

– Je pense que ces jésuites sont vraiment des gens remarquables, comme disait mon ami le policier Desgrez.

Ils la quittèrent à grands pas, et elle s'amusa à suivre du regard, tout au long de la galerie, dont les planchers de bois précieux les reflétaient, la silhouette trapue de l'homme d'État près de celle, élancée, du religieux.

Les passants étaient devenus subitement rares.

Angélique s'avisa qu'elle mourait de faim, et que sans doute l'heure était tardive. Toute la Cour s'était rendue au dîner du roi. Elle décida qu'elle allait s'y rendre aussi, mais continua de rêver en regardant son éventail.

– Je vous cherchais, dit près d'elle une voix féminine presque craintive.

À la vue de la Grande Mademoiselle, Angélique n'en revenait pas. Quel événement transformait ainsi le timbre autoritaire de la petite-fille d'Henri IV ?

« C'est vrai, son mariage ! » pensa-t-elle en s'empressant d'exécuter une révérence. Mademoiselle la fit asseoir près d'elle et lui saisit les mains avec émotion.

– Ma chère petite, vous savez la nouvelle ?

– Qui ne la sait et qui ne s'en réjouit ? Que Votre Altesse me permette de lui adresser mes vœux les plus sincères de bonheur !

– Mon choix n'est-il pas heureux ? Dites-moi, peut-il y avoir un autre gentilhomme possédant comme lui une telle valeur alliée à tant de génie ? Ne le trouvez-vous pas charmant ? N'avez-vous pas pour lui une grande amitié ?

– Certes oui, fit Angélique en se souvenant de l'incident de Fontainebleau.

Mais la mémoire de Mademoiselle était courte et ses propos sans arrière-pensée.

– Si vous saviez dans quelle impatience et dans quelles transes je vis depuis que le roi a donné son assentiment !

– Pourquoi donc ? Rassurez-vous et réjouissez-vous sans ombre. Le Roi ne peut revenir sur sa parole.

– Je voudrais en être persuadée comme vous, soupira Mlle de Montpensier.

Sa tête altière se penchait avec une douceur inconnue. Elle avait toujours la poitrine aussi belle qu'au temps où le peintre Van Ossel faisait son portrait pour l'envoyer aux princes prétendants d'Europe. Sa main était gracieuse et ses yeux d'un joli bleu reflétaient une lumière naïve et éblouie de jeune fille à son premier amour.

Angélique lui sourit.

– Votre Altesse est en beauté !

– Vraiment ? Comme vous êtes bonne de me dire cela. Mon sentiment de bonheur est si grand qu'il doit se refléter sur mon visage. Mais je tremble que le roi ne reprenne sa parole avant l'établissement du contrat. Cette sotte de Marie-Thérèse, et mon cousin d'Orléans et sa peste de femme se sont ligués pour ruiner mes projets. Ils font de grands cris toute la journée. Puisque vous m'aimez, essayez de détruire leurs raisonnements auprès du roi.

– Hélas ! Votre Altesse, je...

– Vous avez une grande influence sur l'esprit du roi.

– Mais qui peut se vanter d'avoir une grande influence sur l'esprit du roi ? s'écria Angélique cédant à son irritation... Vous le connaissez ! Vous devriez savoir qu'il n'obéit qu'à son propre jugement. Il écoute les avis mais s'il prend une décision ce n'est pas parce qu'il s'est laissé influencer, comme vous dites. C'est parce que, selon lui, cette décision est la bonne. Ce n'est jamais le roi qui est de votre avis, mais vous qui êtes de l'avis du roi.

– Alors vous refusez d'intervenir pour moi ? Je vous ai pourtant aidée de mon mieux jadis, lorsque vous vous êtes trouvée embrouillée dans cette histoire de votre premier mari qu'on accusait d'être sorcier.

Voici que Mademoiselle recommençait à mettre ses grands pieds dans le plat ! Sa mémoire n'était pas si courte...

Angélique faillit briser son éventail à force de le retourner nerveusement entre ses doigts. Elle promit enfin avec précipitation que si l'occasion s'en présentait elle chercherait à connaître le sentiment du roi sur cette affaire. Puis elle demanda la permission de se retirer afin de commander un potage et un petit pain, car elle était à jeun depuis la veille, n'ayant pu trouver le temps de boire même un verre de vin après la messe.

– Vous n'y pensez pas ! dit la Grande Mademoiselle en lui prenant le bras pour l'entraîner. Le roi va recevoir le doge de Gênes et sa suite dans la salle du Trône. Ensuite il y aura bal, loterie et grand feu d'artifice. Le roi veut que toutes les dames soient là pour lui faire honneur. Et particulièrement vous. Sinon nous risquons de lui voir la mine aussi furieuse qu'hier quand vous étiez partie courir je ne sais où.

Chapitre 7

En dormant elle vivait un rêve qui lui revenait souvent depuis quelque temps. Étendue dans l'herbe d'une prairie, elle avait froid. Elle essayait de se couvrir avec les herbes mais elle s'apercevait tout à coup qu'elle était nue. Alors elle se mettait à attendre avec inquiétude le soleil, guettant les nuages très blancs qui passaient paresseusement dans un ciel très bleu. Enfin elle sentait sur sa chair la caresse d'un rayon. Elle se détendait. Un sentiment de bienêtre et de bonheur extraordinaire l'envahissait jusqu'à l'instant où elle s'apercevait que ce n'était pas un rayon de lumière qui lui causait cette impression chaleureuse, mais une main posée sur son épaule. Aussitôt elle avait froid de nouveau et elle se répétait : « Naturellement il fait froid puisque c'est l'hiver. Mais pourquoi l'herbe est-elle verte ? » Et elle continuait à se débattre contre le froid de l'hiver et l'herbe verte de l'été, jusqu'à ce qu'elle s'éveillât grelottante et se frottant l'épaule où la sensation d'une paume chaude et douce persistait.

Cette nuit-là elle s'éveilla encore et ramena sur elle en claquant des dents les couvertures que son agitation avait jetées à bas du lit. Elle avait si froid qu'elle hésita à appeler l'une des demoiselles de Gilandon qui couchaient dans la pièce voisine pour lui demander de faire une flambée.

L'appartement qu'elle occupait à Versailles comprenait deux chambres et une petite salle de bains, dont le dallage de mosaïque, incliné vers le centre, permettait l'évacuation des eaux. Angélique conçut le projet d'aller se réchauffer en prenant un bain de pieds à la fleur de thym. L'eau de la bouilloire posée sur un réchaud à charbon était entretenue tiède. Elle écarta les courtines de l'alcôve et chercha du pied ses mules de satin bleu fourrées de duvet de cygne. Chrysanthème aboya.