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Elle la regarda de nouveau en face.

– ...Qu'il vous aime, Angélique.

Angélique feignit l'indifférence.

– Ce n'est un secret pour personne que le roi m'a fait arrêter et emprisonner. Belle preuve d'amour vraiment !

Mme Scarron hocha la tête. Il ne lui aurait pas déplu d'en savoir davantage. Mais, à cet instant, on entendit grincer les essieux d'un carrosse au-dehors. Des coups impatients furent frappés à la porte et peu après la voix impétueuse d'Athénaïs retentit dans le vestibule. Très pâle, Françoise voulait dissimuler Angélique dans une penderie. Mais cette dernière protesta. La maison était exiguë et manquait de recoins.

– Ne soyons pas ridicules. Que redoutez-vous ? Je vais m'expliquer avec elle. Aussi bien il n'y a jamais eu d'hostilité déclarée entre nous.

Elle s'effaça un peu. Mme de Montespan entrait, toutes voiles dehors. Avec violence elle jeta devant elle sur un guéridon son éventail, son réticule, une boîte de pastilles, ses gants et jusqu'à sa montre.

– C'en est trop, dit-elle : Je viens d'apprendre qu'il l'a rencontrée l'autre jour dans la grotte de Thétis...

Elle se retourna et aperçut Angélique. Sans doute l'image de sa rivale était-elle gravée bien nettement dans son esprit car, pendant quelques secondes, on vit qu'elle se croyait victime dune hallucination. Angélique en profita pour prendre l'offensive.

– J'ai mille excuses à vous faire, Athénaïs. J'ignorais, en entrant dans cette maison, que je forçais votre porte. Je voulais voir Françoise, dont les allées et venues m'intriguaient et je l'ai suivie jusqu'ici.

Mme de Montespan était devenue pourpre. Ses yeux lançaient des éclairs. Elle flambait de rage contenue.

– Croyez-moi, insista Angélique, si j'affirme que Mme Scarron a tout fait pour m'empêcher de pénétrer votre secret. Il est entre bonnes mains. Je suis seule fautive.

– Oh ! je vous crois, s'écria Athénaïs avec un éclat de rire métallique. Françoise n'est pas assez sotte pour commettre sciemment des bévues de ce genre.

Elle se laissa tomber dans un fauteuil et tendit vers la jeune veuve deux pieds chaussés de satin rose.

– Otez-moi cela ! Ils me torturent.

Mme Scarron s'agenouilla devant elle.

– Vous me ferez monter une bassine d'eau de benjoin tiède. Ses yeux revinrent vers l'intruse.

– Quant à vous... on vous connaît, sous vos airs de sainte nitouche. Curieuse comme une concierge, jusqu'à fouiner, espionner partout. Trop commune pour payer un laquais à ces petites besognes. Le métier d'entremetteuse que vous pratiquiez jadis dans votre chocolaterie vous remonte au nez.

Angélique se détourna et marcha vers la porte. Puisque Athénaïs en venait tout de suite aux injures, mieux valait rompre. Elle ne la craignait pas. Mais elle avait une horreur maladive des scènes entre femmes où l'on se lance au visage mille accusations vraies ou fausses qui laissent de venimeuses blessures.

– Restez !

La voix impérative l'arrêta. Il était difficile de résister à un certain ton Mortemart. Angélique elle-même se sentit vassale. Mais elle se redressa. Puisque l'autre voulait croiser le fer, on le croiserait. La situation serait plus nette. Très calme elle attendit, son regard vert impénétrable tombant sur la marquise de Montespan dont Mme Scarron achevait de dérouler les bas de soie. Il y avait une légère nuance de mépris dans les yeux d'Angélique, et dans l'attitude une grâce lointaine détachée de tout, qui n'appartenait qu'à elle. Mme de Montespan de rouge devint blême. Il ne lui servirait de rien, elle le savait, d'abaisser sa rivale. Sa voix s'altéra.

– « L'in-com-pa-rable dignité de Mme du Plessis-Bellière, fit-elle sourdement. Ainsi doivent marcher les reines. Et ce mystère qui l'environne et semble l'isoler parmi nous... ». Voici comment le roi parle de vous. « Avez-vous remarqué, me dit-il, comme elle sourit rarement. Et pourtant elle peut être gaie comme une enfant. Mais la Cour est un endroit triste ! » La Cour est un endroit triste !... Voilà les âneries que vous faites dire au roi. Voilà comment vous l'avez séduit : par votre air absent, vos naïvetés, vos mines dégoûtées. Son mystère, lui ai-je dit un jour, est d'avoir traîné on ne sait où avant son mariage avec du Plessis et d'avoir vendu ses charmes dans des bouges innommables. Savez-vous ce qu'il a fait ? Il m'a giflée.

Elle éclata d'un rire hystérique.

– Il était temps qu'il me giflât. Le lendemain on vous trouvait couchée avec ce bandit asiatique aux longues moustaches. Ah ! j'ai bien ri... Ha ! Ha ! Ha !

Le royal poupard, réveillé en sursaut, se mit à hurler. Mme Scarron alla l'enlever du berceau et le porter à sa nourrice. Quand elle revint Mme de Montespan pleurait à chaudes larmes dans son mouchoir, son rire ayant dégénéré en sanglots.

– Trop tard ! hoqueta-t-elle. Son amour a résisté à ce coup, que je croyais fatal. En vous punissant il se punissait, et je n'ai eu qu'à supporter le contrecoup de son humeur exécrable. À croire que les affaires du royaume ne pouvaient marcher sans vous. « J'aurais voulu demander conseil à Mme du Plessis », disait-il à tous propos. Et c'est cela qui est intolérable de sa part. Il méprise les femmes, ne tient aucun compte de leurs avis... Il est soucieux au plus haut point qu'on ne puisse dire qu'il a fait telle ou telle chose parce qu'une femme le lui avait recommandé. Lorsqu'il m'accorde une faveur, un avancement pour tel ou tel de mes protégés, il m'offre cette satisfaction comme une parure pour me payer de mon titre de maîtresse royale, non parce qu'il croit à mon bon jugement. Tandis qu'ELLE. Elle, il lui a demandé son avis sur des questions politiques... de politique internationale, hurla Mme de Montespan comme si ce dernier adjectif aggravait tout. Il la traite comme un homme.

– Cela devrait vous rassurer, fit Angélique froidement.

– Non. Car vous êtes la seule femme qu'il ait jamais traitée ainsi.

– Sottises ! Madame ne vient-elle pas d'être chargée d'une importante mission diplomatique en Angleterre ?

– Madame est fille de roi, et sœur de Charles II. Et par ailleurs, si le roi l'emploie et lui est reconnaissant de soutenir ses projets, il n'éprouve pour elle que de l'antipathie. Madame s'imagine qu'elle regagnera son amitié, et peut-être son amour, par ce moyen. Elle se trompe grossièrement. Le roi se sert d'elle, mais il la méprise de plus en plus d'être si intelligente. Il n'aime pas l'intelligence chez les femmes.

Mme Scarron intervint, dans le but d'alléger l'atmosphère.

– Quel est donc l'homme qui aime l'intelligence chez les femmes ? soupira-t-elle. Mes très chères, vous vous disputez bien à tort. Le roi, comme tous les hommes, a besoin de variété. Laissez-lui au moins ce travers général. Avec l'une il préfère bavarder, avec l'autre, se taire. Votre place est enviable, Athénaïs. N'en faites pas fi. À vouloir tout avoir on risque de tout perdre, et vous vous réveillerez un beau matin fort surprise que le roi vous délaisse... pour une troisième enjôleuse que vous n'auriez pas prévue.

– C'est vrai, convint Angélique avec enjouement. N'oublions pas, Françoise, que c'est vous que le roi doit épouser un jour. Ainsi l'a prédit la devineresse. Et nous nous trouverons bien sottes, Athénaïs et moi, des mauvaises paroles échangées.

Elle conclut avec calme, en relevant son manteau pour marcher vers l'escalier :

– Tenons-nous-en-là, Madame. Nous avons été amies, naguère.

Athénaïs de Montespan se dressa comme poussée par un ressort. En deux bonds elle fut près d'Angélique et lui saisit les poignets.

– Ne croyez pas que ce que je viens de dire est un aveu de défaite et que je vous laisserai la victoire. Le roi est à moi. Il m'appartient. Vous ne l'aurez jamais ! Je lui arracherai cet amour du cœur. Et si je ne peux y parvenir je vous arracherai, vous, de la vie. Il n'est pas homme à aimer le fantôme d'une morte.