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– Ah ! nous y voici, dit la jeune fille en mettant le nez au carreau. Dieu soit loué ! La gamine est encore là.

Elle baissa la vitre tandis qu'Angélique criait au cocher de s'arrêter. Se détachant sur l'écran verdoyant de la forêt une fillette d'une douzaine d'années qui attendait à la lisière des arbres s'avança vers le carrosse. Elle était vêtue simplement et coiffée d'un bonnet blanc. Elle tendit un petit paquet à Mlle Desœillet, qui parlementa un instant avec elle à mi-voix, puis lui remit une bourse entre les mailles de laquelle brillaient des écus d'or.

L'œil d'Angélique calcula, à un écu près, de ce qu'elle pouvait contenir. Le résultat lui fit hausser les sourcils.

« Que peut bien contenir ce petit paquet pour mériter si bon prix ? » se dit-elle en lorgnant l'objet que Mlle Desœillet dissimulait dans son aumônière. Elle crut discerner un flacon.

– Nous pouvons repartir, Madame, dit la jeune fille, visiblement soulagée d'avoir mené à bien sa mission.

Alors que le carrosse tournait autour de la croix, Angélique regarda de nouveau, machinalement, la fillette dont le bonnet blanc se détachait sur l'écran vert de la forêt.

« Où ai-je déjà vu cette gamine ? » pensa-t-elle avec malaise. Elle garda le silence un moment, tandis que l'équipage se lançait à nouveau vers Saint-Germain. Plus le temps passait et plus elle se persuadait qu'elle devait profiter de l'occasion pour se gagner la jeune fille. Tout à coup elle poussa un petit cri.

– Qu'y a-t-il, Madame ? s'informa Mlle Desœillet.

– Rien ! Rien ! Une épingle qui s'est déplacée.

– Voulez-vous que je vous aide...

– Non, non, je vous en prie, ce n'est rien.

Angélique rougissait et pâlissait tour à tour. Brusquement elle venait de se souvenir. Le visage de cette gamine, elle l'avait vu à la lueur de deux cierges, par une nuit sinistre. C'était la fille de la Voisin, celle qui portait « le panier ».

– Puis-je vous aider, Madame ? insistait la jeune fille.

– Eh bien, oui, si vous pouviez m'aider à desserrer ma jupe. La suivante s'empressa.

Angélique la remercia et lui sourit.

– Vous êtes très gentille. Savez-vous que j'ai souvent admiré votre habileté de dame d'atours près de mon amie Athénaïs... et votre patience.

Mlle Desœillet sourit à son tour. Angélique pensa que si elle se trouvait dans la confidence des odieux projets de sa maîtresse, la petite garce devait s'amuser des compliments qu'on lui décernait. Qui sait, peut-être gardait-elle dans son aumônière le poison destiné à cette Mme du Plessis-Bellière qui présentement la raccompagnait avec tant d'amabilité ? Le destin a de ces coups d'humour noir. De quoi bien rire sous cape. Mais elle ne perdrait rien pour attendre !

– Ce que j'admire le plus en vous, poursuivit Angélique suavement, c'est votre habileté au jeu. Je vous observais ce lundi, lorsque vous avez si bien battu M. le duc de Chaulnes. Il n'en est pas encore revenu, le pauvre homme. Où avez-vous donc appris à si bien tricher ?

Le sourire sucré de Mlle Desœillet s'effaça. Ce fut son tour de rougir et de pâlir.

– Madame, que dites-vous ? balbutia-t-elle. Tricher ? Moi... mais c'est impossible. Jamais je ne me permettrais...

– Non, pas à moi, mon petit, fit Angélique accentuant à dessein une pointe de vulgarité.

Elle lui prit la main et la retournant lui toucha délicatement le bout des doigts.

– Des extrémités à la peau si fine, on sait à quoi elles servent. Je vous ai vue les user avec un petit morceau de peau de cachalot. C'est pour mieux sentir les cartes marquées que vous employez. Marquées de telle façon que seules des mains comme les vôtres peuvent les reconnaître. Certes, les gros doigts du duc de Chaulnes seraient bien en peine d'y trouver quelque chose de suspect... sauf si on le lui faisait remarquer.

Le vernis de la fille craqua et elle ne fut plus qu'une petite aventurière d'origine obscure qui voyait s écrouler ses rêves ambitieux. Elle savait qu'à la Cour les seules choses sur lesquelles on ne plaisantait pas et qui pouvaient tourner au tragique, c'étaient l'étiquette et le jeu. M. le duc de Chaulnes, déjà vexé de s'être fait battre par une donzelle de bas étage et de lui devoir mille livres, n'avalerait jamais l'affront d'avoir été dupe. La coupable, si ses manœuvres étaient dévoilées, serait ignominieusement chassée de la Cour. Angélique dut la retenir alors qu'elle glissait à genoux sur le plancher cahotant du carrosse pour la supplier.

– Madame, vous m'avez vue et vous pouvez me perdre !

– Relevez-vous. Quel intérêt ai-je à vous perdre ? Vous trichez très bien. Il faut avoir des yeux avertis comme les miens pour s'en apercevoir et je crois que vous pourrez continuer assez longtemps vos gains... à condition que je ferme les yeux évidemment.

La jeune fille passait par toutes les couleurs de l'arc-en-ciel.

– Madame, que puis-je faire pour votre service ?

Elle avait perdu son accent « Mortemart » et sa voix laissait percer une origine faubourienne.

Angélique regarda froidement au-dehors. La demoiselle se mit à pleurer et raconta sa vie. Elle était fille naturelle d'un grand seigneur dont elle ignorait le nom mais qui, par personne interposée, s'était occupé de son éducation. Sa mère, d'abord femme de chambre, avait fini comme tenancière de maison de jeux, d'où l'autre face de son éducation. Confiée tour à tour aux religieuses d'un pensionnat et aux bons exemples d'un tripot, elle avait su intéresser par son caractère primesautier, sa joliesse, ses bribes de culture, des personnes de la bonne société qui l'avaient poussée. Athénaïs, qui excellait à reconnaître les caractères de sa trempe, se l'était attachée. Maintenant elle était à la Cour, mais elle n'avait pu se défaire complètement de certaines habitudes. Il y avait le jeu...

– Vous savez ce que c'est quand ça vous reprend. Et je ne peux pas me permettre de perdre, je suis trop pauvre. Or, chaque fois que je joue honnêtement je perds. Je suis criblée de dettes. Mon gain, l'autre jour, sur M. le duc de Chaulnes m'a tout juste permis de faire face, et je n'ose réclamer à Mme de Montespan. Elle a déjà payé souvent pour moi, mais elle m'a dit il y a quelques jours qu'elle se lassait.

– Combien devez-vous ?

La jeune fille dit un chiffre en détournant les yeux. Angélique lui jeta une bourse sur les genoux. Mlle Desœillet y posa une main tremblante, mais la couleur revenait à ses joues.

– Madame, répéta-t-elle, que puis-je pour votre service ?

Angélique, du menton, désigna l'aumônière.

– Montrez-moi ce que vous avez là.

Après beaucoup d'hésitation, Desœillet lui tendit un flacon de couleur sombre.

– Savez-vous si cette mixture m'est destinée ? demanda Angélique après l'avoir contemplée un moment.

– Madame, que voulez-vous dire ?

– Vous n'ignorez pas, je pense, que votre maîtresse a cherché par deux fois à m'empoisonner. Pourquoi n'essaierait-elle pas une troisième ? Et croyez-vous que je n'ai pas reconnu dans cette petite qui vous l'a vendue la fille de la devineresse Mauvoisin ?

La suivante jeta un regard effrayé autour d'elle. Elle dit enfin qu'elle ne savait rien. Mme de Montespan la chargeait ainsi d'aller chercher des médecines préparées par la devineresse en grand secret. Mais elle n'était pas au courant.

– Eh bien, vous tâcherez de vous y mettre, fit Angélique durement, car je compte sur vous désormais pour me prévenir des dangers qui me guettent. Ouvrez les oreilles et tenez-moi au courant de tout ce que vous pourrez surprendre qui me concerne.