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Elle tournait et retournait la fiole entre ses doigts. Mlle Desœillet avança une main timide pour la reprendre.

– Non, laissez-la-moi.

– Madame, c'est impossible. Que dira ma maîtresse si je reviens sans ce flacon ? Elle s'en prendra à La Voisin et quelles que soient mes explications ma trahison finira par venir au jour. Pour peu qu'elle apprenne que vous m'avez raccompagnée en carrosse...

– C'est vrai... Pourtant il me faut une preuve, quelque chose. Vous devez m'aider, fit-elle en enfonçant ses ongles dans les poignets de la jeune fille, ou, je vous le promets, je détruirai votre vie. Vous serez chassée, confondue, rejetée de partout ; il ne me faudra pas longtemps pour cela.

Sous ce regard de chatte en colère, la malheureuse Desœillet cherchait éperdument un moyen de justifier l'indulgence qu'elle réclamait.

– Je crois savoir quelque chose...

– Oui, que savez-vous ?

– La médecine que je viens d'aller chercher est inoffensive, en ceci qu'elle est destinée au roi. Mme de Montespan s'adresse aussi à La Voisin pour lui demander des philtres qui ranimeraient la flamme de son amant à son égard...

– ...et que Duchesne versera dans sa coupe...

– Vous savez donc tout, Madame ? C'est effrayant. Mme de Montespan nous a dit qu'elle vous croyait sorcière. Je l'ai entendue, elle était dans une rage épouvantable. Elle disait à Duchesne : « Ou cette femme est sorcière ou La Voisin nous trompe. Peut-être même nous trahit-elle, si l'autre la paie plus encore... » Je sais qu'elle parlait de vous. « Cela ne va pas durer ainsi, il faut en finir », a-t-elle dit à Duchesne. C'était ce matin même. Elle l'avait convoqué et nous a fait sortir, car elle voulait lui parler en grand secret. Seulement...

– Vous écoutiez aux portes ?

– Oui, Madame.

– Qu'avez-vous entendu ?

– Au début je n'ai pu surprendre grand-chose. Mais peu à peu ma maîtresse a haussé le ton, tant était grande sa colère. C'est alors qu'elle a dit : « Cette femme est une sorcière ou La Voisin nous trompe... Toutes les tentatives ont échoué. Elle semble avoir été prévenue mystérieusement. Par qui ?... Il faut en finir. Vous irez trouver La Voisin et vous lui signifierez que la plaisanterie a assez duré. Je l'ai payée fort cher... Il faut qu'elle trouve un moyen efficace, sinon c'est elle qui paiera. Mais je veux lui écrire moi-même mes volontés, cela l'impressionnera.

Mme de Montespan a été à son secrétaire. Elle a rédigé une missive pour La Voisin et l'a remise à Duchesne :

– Vous lui montrerez ce billet. Quand elle l'aura lu et qu'elle sera bien convaincue de mon courroux, vous brûlerez le papier à la chandelle... Vous ne la quitterez qu'elle ne vous ait donné ce qu'il faut... Tenez, j'ai là un mouchoir qui appartient à qui vous savez. Un page, qui l'avait ramassé, me l'a rendu croyant qu'il était à moi... On ne peut plus gagner ses servantes depuis que cette Thérèse s'est enfuie comme si elle avait le diable à ses trousses... D'ailleurs « elle » a peu de servantes, pas de suivantes. Une femme bizarre. Je ne sais pas ce que le roi peut lui trouver d'extraordinaire... À part sa beauté, évidemment... Elle parlait de vous, Madame.

– J'ai compris. Et quand Duchesne doit-il rencontrer la Voisin ?

– Ce soir même.

– À quelle heure ? En quel lieu ?

– À minuit, à l'estaminet de la Corne d'Or. C'est un endroit peu habité entre les remparts et le quartier Saint-Denis. La Voisin viendra à pied de sa maison de Villeneuve, qui n'est pas loin.

– C'est bien, vous m'avez été utile, petite. Je tâcherai d'oublier pendant quelque temps que vous avez les mains trop fines. Nous voici arrivées à Saint-Germain. Vous allez descendre ici. Je ne veux point qu'on nous voie ensemble. Remettez-vous un peu de rouge et de poudre. Vous êtes pâle à faire peur.

Hâtivement Mlle Desœillet chercha à redonner des couleurs à son visage décomposé, et balbutiant des remerciements et des protestations de dévouement elle se jeta hors du carrosse, s'enfuit, silhouette légère en robe rose sous l'éclatant soleil printanier. Angélique demeura songeuse à la regarder s'éloigner. Puis se ressaisissant, elle mit la tête à la portière et cria au cocher :

– À Paris.

Chapitre 22

Lorsqu'elle eut revêtu une solide jupe et un çasaquin de futaine et noué sur ses cheveux un fichu de satin noir comme en portaient les petites bourgeoises, elle fit appeler Malbrant-Coup-d'épée. Ce tantôt elle était passée par Saint-Cloud pour réclamer les services de l'écuyer. Laissant Florimond à la surveillance de l'abbé Lesdiguières et à la douteuse protection de la Cour de Monsieur, elle avait ramené Malbrant sur Paris.

Il se présenta dans son appartement et ne voyant qu'une femme de simple apparence, il s'étonna de l'entendre lui adresser la parole avec la voix de Mme du Plessis-Bellière.

– Malbrant, vous allez m'accompagner.

– Vous voilà bien déguisée, Madame.

– Là où je vais, j'aurais mauvaise mine de m'y présenter en grands atours. Vous avez votre épée. Prenez aussi votre rapière et un pistolet. Ensuite vous irez quérir le laquais Flipot. Vous irez m'attendre dans la ruelle qui est derrière l'hôtel. Je vous rejoindrai par la porte de l'orangerie.

– À vos ordres, Madame.

Un peu plus tard, Angélique, montée en croupe derrière Malbrant-Coup-d'épée, parvenait aux abords du faubourg Saint-Denis. Flipot les avait accompagnés à la course. Ils s'arrêtèrent devant le cabaret borgne des « Trois Compagnons ».

– Laissez votre cheval ici, Coup-d'épée. Avec un écu au cabaretier pour qu'il le surveille du coin de l'œil, sinon nous risquerions de ne point le retrouver. Les chevaux s'envolent facilement dans ces parages.

L'écuyer s'exécuta et la suivit ; il ne posait pas de questions, se contentant de mordiller sa moustache blanche et de grommeler contre les pavés inégaux et la boue qui stagnait, malgré le soleil, au creux des ruelles sordides.

Peut-être les parages n'étaient-ils pas aussi inconnus à l'ancien valet-gladiateur, qui, dans sa vie de bon-à-rien et bon-à-tout, avait traîné un peu partout. C'était non loin de là que se dressait dans sa niche de bois, peinte en rouge, sur un tas d'ordures, la statue du Père Éternel, protecteur des argotiers. Flipot lui fit ses dévotions avec réjouissance. Il se sentait chez lui. Au fond de son invraisemblable palais de torchis et de pierres croulantes on trouva le Grand Coësre, Cul-de-Bois. Il trônait, à son habitude, dans son plat de cul-de-jatte. Ses sbires étaient assez nombreux pour le transporter, quand il en manifestait le désir, dans une chaise désaffectée, dont le tissu à fleurs et les dorures ressortaient sous une couche de crasse. Mais Cul-de-Bois n'aimait guère se déplacer. L'ombre de son repaire était si dense que même en plein jour des veilleuses à huile restaient allumées. Cul-de-Bois s'y trouvait à l'aise. Il n'aimait ni la clarté ni l'agitation. On ne parvenait pas à lui facilement. Vingt fois des individus à mine patibulaire s'étaient interposés devant les visiteurs s'informant d'une voix rauque de ce que ces « bourgeois venaient f... par ici ». Flipot donnait le mot de passe.

Enfin Angélique put se trouver en sa présence. Elle avait apporté à son intention une bourse bien garnie, mais Cul-de-Bois ne fit qu'y jeter un regard dédaigneux.

– Pas trop tôt, dit-il, pas trop tôt !

– Tu n'as pas l'air content, Cul-de-Bois. Est-ce que je ne t'ai pas toujours fait envoyer ce qu'il fallait ? Est-ce que les valets ne t'ont pas apporté le cochon de lait grillé au Nouvel An, et la dinde, et trois barriques de vin pour la Mi-Carême ?

– Des valets ! Des valets ! Est-ce que j'ai besoin de les voir ces c... de valets ! Crois-tu que j'ai rien d'autre à faire que de becqueter, de m'envoyer de la « bouillante14 » ou de mâcher de la bidoche ? De la bâfre, j'en ai tant que je veux, et des jaunets, ça rapplique toujours. Mais toi, c'est pas souvent que tu te montres. Trop occupée à faire la roue, à faire la belle, hein ? Voilà bien les filles... Savent pas ce que c'est le respect. La vexation du roi des argotiers était profonde. Il accusait moins Angélique de dédain que de négligence. Il trouvait tout à fait normal qu'une grande dame de la Cour s'en vînt patauger dans vingt pouces d'immondices et risquer sa vie chez les truands pour le saluer, pas plus qu'il ne se serait étonné de voir le carrosse du roi de France s'arrêter devant sa masure fantasmagorique pour lui rendre visite. Entre rois, n'est-ce pas ?...