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« Est-ce que je suis réellement ainsi ou bien est-ce un miroir magique ? »

Lorsque la porte s ouvrit, elle le tenait encore à la main. Elle le dissimula dans les plis de sa jupe, tout en se reprochant de ne pas le remettre en place d'un geste habituel. Après tout, une femme a toujours le droit de se regarder dans un miroir.

Chapitre 5

C'était la porte de communication qui s'était ouverte. Le Rescator se tenait sur le seuil, une main contre la tenture qu'il avait écartée.

Angélique se redressa de toute sa taille et le considéra d'un air glacial.

– Puis-je vous demander, monsieur, pourquoi vous m'avez retenue ?...

Il l'interrompit en lui faisant signe d'approcher.

– Venez par ici.

Sa voix était encore plus sourde que d'habitude, et il toussa à deux reprises. Elle lui trouva une expression de lassitude. Il y avait quelque chose de changé en lui qui le rendait moins... « moins Andalou », aurait dit M. Manigault. Il n'avait même plus l'air d'un Espagnol. Elle ne douta plus qu'il fût d'origine française. Ce qui ne le rendait pas pour cela plus accessible. Son masque était constellé de gouttelettes humides, mais il avait eu le temps de passer des vêtements secs.

En pénétrant dans le salon, Angélique vit, jetés à la diable, la casaque, le haut-de-chausses, les bottes avec lesquels il avait affronté la tempête.

Elle dit, se rappelant une réflexion récente :

– Vous allez abîmer vos beaux tapis.

– Aucune importance.

Il bâilla en s'étirant.

– Ha ! Qu'il doit être déplaisant pour un homme d'avoir à ses côtés une ménagère. Comment peut-on être marié ?

Il se laissa choir dans un fauteuil, près d'une table dont les pieds étaient solidement fixés au plancher. Sous l'effet du roulis et du tangage, plusieurs objets en étaient tombés. Angélique se retint de justesse de les ramasser. La réflexion précédente du Rescator lui avait indiqué qu'il n'était pas en veine d'amabilité et qu'il prendrait prétexte de chacun de ses gestes pour l'humilier.

Il ne lui offrait même pas de s'asseoir. Il avait étendu ses longues jambes bottées devant lui et paraissait méditer.

– Quelle bataille ! dit-il enfin. La mer, les glaces et notre coquille de noix au milieu. Par la grâce de Dieu, la tempête n'a pas éclaté.

– N'a pas éclaté, répéta Angélique, la mer m'a paru pourtant très violente.

– Agitée, tout au plus. Il n'en fallait pas moins être vigilant.

– Où sommes-nous ?

Il dédaigna la question et tendit la main vers Angélique.

– Donnez-moi ce miroir que vous tenez là.

J'étais certain qu'il vous plairait.

Il retourna l'objet entre ses doigts :

– Encore un vestige du trésor des Incas. Parfois, je me demande si la fable de Novumbaga ne serait pas une réalité ? La grande cité indienne avec des tourelles de cristal, des murs couverts de feuilles d'or et incrustés de gemmes...

Il se parlait à lui-même.

– Les Incas ne connaissaient pas le verre. Le reflet de ce miroir est obtenu par de l'amalgame d'or frotté de mercure. C'est pourquoi il donne aux visages qui s'y reflètent la somptuosité de l'or et la fugacité du mercure. La femme s'y découvre ce qu'elle est : songe admirable et fugitif. Ce miroir est une pièce rarissime. Vous plaît-il ? Le voulez-vous ?

– Non, je vous remercie, dit-elle froidement.

– Aimez-vous les bijoux ?

Il attirait sur la table un coffret de fer dont il rabattit le lourd couvercle.

– Regardez.

Il soulevait des perles, d'admirables joyaux à la lumière laiteuse et irisée, montés sur des fermoirs de vermeil. Après avoir déployé devant elle la parure, il la posa sur la table, en prit une autre, un sautoir dont les perles étaient plus dorées, mais toutes d'égale grosseur, d'égale clarté, si nombreuses que leur réunion tenait du miracle. On aurait pu s'en faire dix fois le tour du cou et en avoir encore jusqu'aux genoux.

Angélique jeta sur ces merveilles un regard perplexe. Leur apparition insultait à son humble robe de futaine, son corsage de drap noir lacé sur une chemise de grosse toile. Elle se sentit soudain mal à l'aise dans ces vêtements communs.

« Des perles ?... J'en ai porté d'aussi belles lorsque j'étais à la cour du Roi, songea-t-elle. Non, pas tout à fait d'aussi belles », rectifia-t-elle aussitôt. Sa gêne la quitta tout à coup.

« C'était une joie rare de posséder ces belles choses mais c'était aussi un pesant fardeau. Maintenant, je suis libre. »

– Voulez-vous que je vous offre un de ces colliers ? demanda le Rescator.

Angélique le regarda presque effrayée :

– À moi ? Mais que voulez-vous que j'en fasse aux Iles où nous allons ?

– Vous pourriez les vendre plutôt que de vous vendre.

Elle sursauta et sentit ses joues se colorer malgré elle. Décidément, elle n'avait jamais rencontré d'homme – non, même pas Desgrez – qui la traitât tour à tour avec tant d'insupportable insolence et d'aussi délicates attentions. Les prunelles énigmatiques la surveillaient comme celles d'un chat. Soudain, il soupira.

– Non, fit-il, d'un air déçu, aucune convoitise dans vos yeux, aucune de ces lueurs dévorantes qui s'allument dans le regard des femmes lorsqu'on les place en face de bijoux... Vous êtes exaspérante.

– Si je suis tellement exaspérante, repartit Angélique, pourquoi me tenez-vous ainsi devant vous, sans même avoir la simple courtoisie de m'offrir un siège ? Sachez que je n'y trouve aucun agrément. Et pourquoi donc m'avez-vous gardée prisonnière toute cette nuit ?

– Cette nuit, dit le Rescator, nous étions en danger de mort. Jamais je n'avais vu les glaces descendre aussi bas dans cette zone où les tempêtes d'équinoxe sont fort mauvaises. J'ai été moi-même surpris dans mes prévisions et me suis trouvé dans l'obligation d'affronter à la fois deux dangers dont la conjonction en général ne pardonne pas : la tempête et les glaces, et j'ajoute : la nuit. Par bonheur, comme je vous l'ai dit, une saute de vent, quasi miraculeuse, n'a pas permis à la mer de se déchaîner à fond. Nous avons pu tendre nos efforts à éviter les glaces et nous y sommes parvenus à l'aube. Mais, hier au soir, nous pouvions nous préparer à la catastrophe. C'est alors que je vous ai fait venir...

– Mais pourquoi ? répéta Angélique qui ne comprenait pas.

– Parce qu'il y avait toutes chances pour que nous coulions et que je voulais que vous soyez près de moi à l'heure de la mort.

Angélique le fixa avec une stupeur indicible. Elle n'arrivait pas à se persuader qu'il parlait sérieusement. Il se livrait sûrement à des plaisanteries macabres. Tout d'abord, elle avait dormi pendant cette fameuse nuit redoutable, sans soupçonner que le danger pût être aussi proche. Et puis, comment pouvait-il dire qu'il désirait sa présence à l'heure de la mort, alors qu'il la traitait avec un dédain non dissimulé et insultant. Elle dit :

– Vous vous moquez, monseigneur ? Pourquoi vous moquez-vous de moi ?

– Je ne me moque pas de vous et je vous dirai pourquoi tout à l'heure.

Angélique se ressaisit.

– De toute façon, si le danger a été aussi pressant que vous le dites, sachez que MOI, j'aurais souhaité à un tel moment être près de ma petite fille et de mes amis.

– En particulier près de maître Gabriel Berne ?

– Mais oui, confirma-t-elle, près de Gabriel Berne et de ses enfants que j'aime comme ma propre famille. Cessez donc de me considérer comme votre propriété et de disposer de moi.

– Nous avons pourtant des dettes à régler et je vous l'avais dit d'avance.

– C'est possible, fit Angélique qui se montait de plus en plus, mais je vous prierai, à l'avenir, quand vous aurez une invite à me faire, de me la transmettre en termes moins offensants.