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Il riait. Cela indigna si fort Angélique qu'elle réussit à se mettre debout malgré le poids de plomb que semblait peser sa jupe gorgée d'eau.

– Vous riez, s'écria-t-elle, en colère. Toutes les tempêtes vous font rire, Joffrey de Peyrac... Les tortures vous font rire. Vous chantiez sur le parvis de Notre-Dame... Qu'importe que moi je pleure ? Qu'importe que moi j'aie peur des tempêtes... et même en Méditerranée... sans vous...

Ses lèvres tremblaient. Était-ce l'eau salée de la mer ou des larmes qui ruisselaient sur ses joues blêmes ? Pleurait-elle, l'indomptable ?...

Il lui tendit les bras, l'attira contre la chaleur de sa poitrine.

– Calmez-vous, calmez-vous, petite dame !...Vous n'allez pas commencer à vous énerver, maintenant !... Le danger est passé, ma chérie. La tempête s'est enfuie.

– Mais elle reviendra.

– Peut-être. Mais nous la surmonterons encore. Avez-vous si peu de confiance en mes capacités de marin ?

– Vous m'avez abandonnée, se plaignit-elle, ne sachant plus trop à quelle sorte de question elle donnait cette réponse.

Ses doigts glacés, tâtonnants, cherchaient les plis des vêtements auxquels elle s'était cramponnée tout à l'heure, et ne rencontraient que le troublant contact de la peau dure et chaude. Et c'était comme dans son rêve. Elle était suspendue des deux mains à des épaules invincibles, et des lèvres s'approchaient des siennes.

L'émotion venait trop vite et sans qu'elle en fût maîtresse. Dans un sursaut, elle s'arracha à lui. Il dut prévenir son geste de fuite vers la porte.

– Restez !

Les yeux égarés d'Angélique l'interrogeaient, ne comprenant plus.

– Là-bas, tout va bien. Les charpentiers sont arrivés à temps. On a dû sacrifier le mât de misaine, mais le plafond est déjà réparé et l'eau a été écopée. Quant à votre fille, je l'ai confiée à sa nourrice très dévouée, Tormini-le-Sicilien qu'elle adore.

Il posa avec délicatesse sa longue main sur sa joue et l'obligea à coucher son visage contre son épaule.

– Restez... Nul n'a besoin de vous ailleurs, que moi seul ici.

Elle tremblait de tous ses membres. De cette subite douceur, elle ne pouvait croire la réalité. Il l'embrassait... Il l'embrassait !...

Et elle était entraînée dans un tourbillon de sensations contradictoires qui la brisaient, comme tout à l'heure la tempête.

– Mais, s'écria-t-elle, en se dégageant de nouveau, c'est impossible !... Vous ne m'aimez plus... Vous me méprisez... vous me trouvez laide !...

– Hé là ! comme vous y allez, ma belle, fit-il en riant. Vous aurais-je mortifiée à ce point ?...

Il l'écarta de lui, pour la tenir à bout de bras et l'examiner avec son grand sourire caustique qui se nuançait d'un sentiment indéfinissable. Mélancolie, tendresse, et, dans son regard noir et brillant, une étincelle qui s'allumait.

Elle touchait avec détresse son propre visage, frais et rigide, sa chevelure poissée d'eau de mer.

– Mais je suis affreuse, gémit-elle.

– Oui, certes, approuva-t-il, moqueur, une véritable sirène arrachée du fond des eaux par mes filets. Sa peau est amère et gelée, et elle a peur de l'amour des hommes... quel curieux déguisement vous êtes-vous choisi là, madame de Peyrac ?

De ses deux mains, il lui encercla la taille et, brusquement, l'enleva en l'air, comme il l'eût fait d'un fétu.

– Folle, chère folle !... qui ne voudrait de vous ?... Ils sont trop nombreux ceux qui vous désirent... Mais vous n'appartenez qu'à moi.

Il la portait vers le lit et, après l'y avoir déposée, continuait à la tenir contre lui, caressant son front comme à une enfant malade.

– Qui ne voudrait de vous, mon âme ?

Dans ses bras, étourdie, elle était sans défense. L'horrible tempête qui l'avait tant effrayée lui amenait, par surprise, cet instant qu'elle n'espérait plus et qu'elle n'avait cessé de souhaiter et de redouter à la fois. Pourquoi ? Par quel miracle ?

– Allons, hâtez-vous de quitter ces vêtements si vous ne voulez pas que je vous les ôte moi-même. Avec son habituelle assurance, il la forçait à se dépouiller des étoffes trempées qui collaient à sa chair frissonnante.

– Voilà par quoi nous aurions dû commencer lorsque vous êtes venue me trouver la première fois à La Rochelle. On ne gagne rien de bon à discuter avec une femme... que de perdre un temps précieux qui aurait pu être beaucoup mieux employé... ne pensez-vous pas ? Nue contre sa peau nue, elle commençait à percevoir ses caresses.

– Ne crains rien, disait-il, tout bas, je veux seulement te réchauffer.

Elle n'avait plus à se demander pourquoi il l'avait tout à coup ramenée vers lui avec une jalouse autorité, faisant fi des reproches et des rancunes. Il la désirait. Il la désirait...

Il semblait la découvrir comme un homme découvre pour la première fois une femme au corps de laquelle il a longtemps rêvé.

– Comme tu as de beaux bras, disait-il avec émerveillement.

Et c'était déjà le seuil de l'amour.

De cet amour plus vaste et magnifique qui avait été le leur jadis. D'elle à lui se renouaient les liens de la chair, qui, les comblant de délices et de souvenirs, les avaient gardés tendus l'un vers l'autre à travers l'espace et le temps.

Les bras d'Angélique, en s'ouvrant, ne pouvaient que se refermer sur lui et elle retrouvait des gestes familiers et pourtant neufs, exaltants. Elle subissait, sans pouvoir encore y répondre, la recherche de sa bouche impérieuse sur ses lèvres. Puis sur son cou, sur ses épaules...

Des lèvres qui se rivaient à elle en des baisers de plus en plus ardents comme s'il voulait avec avidité boire son sang.

Ce qui subsistait de ses terreurs était balayé. L'homme créé pour elle l'avait rejointe. Avec lui, tout était naturel, simple et beau. Lui appartenir, demeurer là, paralysée par son rapt, et soudain lucide, s'apercevoir, dans un mélange d'effroi et de joie éblouissante, qu'enfin ils ne faisaient plus qu'un...

*****

Le jour venait, levant un à un des voiles d'ombre et restituant aux yeux éperdus d'Angélique les contours de ce visage de faune durci et taillé dans un bois patiné, dont elle n'était pas encore très sûre qu'il n'appartînt au domaine du rêve.

Elle pressentait qu'elle ne pourrait plus se passer de ses étreintes, de ses caresses, de l'expression qu'elle lisait dans des yeux qui avaient été pour elle si durs. Le jour se levait, lendemain de tempête, où le flot avait ce mouvement las et voluptueux qu'Angélique croyait éprouver jusqu'au fond d'elle-même. L'odeur de la mer perdait son âpreté. Angélique respirait celle de l'amour, l'encens de leur union. Elle n'était pas sans craintes cependant.

De tous les appels qui emplissaient son cœur, aucun n'avait su franchir ses lèvres. Que pensait-il de son mutisme ? de sa gaucherie ? Que dirait-il quand il parlerait ? Il préparait une boutade, elle en était certaine. Cela se devinait à ce pli sarcastique qui creusait sa joue.

– Bast ! fit-il, après tout ce n'était pas trop mal pour une petite mère abbesse. Mais, entre nous, ma chère, vous n'avez pas fait de progrès en amour depuis l'école du gai savoir.

Angélique se mit à rire. Mieux valait qu'il lui reprochât sa maladresse plutôt que ses progrès. Elle pouvait accepter qu'il se moquât un peu d'elle. Elle joua la confusion.

– Je sais. Vous aurez beaucoup de choses à me réapprendre, mon cher seigneur. Loin de vous, je n'ai pas vécu, mais seulement survécu. Ce n'est pas pareil...

Il eut une moue.

– Hum ! Je ne vous crois pas entièrement, hypocrite ! N'importe ! La phrase est jolie.

Il continuait à la caresser, appréciant les formes douces et pleines qui se révélaient sous ses doigts.

– C'est criminel de voiler un corps pareil sous des nippes de servante. Je vais remédier à cela.