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Il revint prendre sa place derrière elle. La chaleur s'appesantissait, mais soudain la ville se mit à vibrer des mille cloches qui tintaient pour l'angélus. La jeune femme se signa dévotement et murmura l'oraison à la Vierge Marie. La marée sonore déferlait et, pendant un long moment, Angélique et son mari, qui étaient assis près de la fenêtre ouverte, ne purent échanger un mot. Ils restèrent donc silencieux, et cette intimité, dont les occasions se faisaient plus fréquentes entre eux, émouvait profondément Angélique.

« Non seulement sa présence ne me déplaît pas, mais je suis heureuse, se disait-elle étonnée.. S'il m'embrassait encore, est-ce que cela me serait désagréable ? »

Comme tout à l'heure, pendant la visite de l'évêque, elle avait conscience du regard de Joffrey sur sa nuque blanche.

– Non, ma chérie, je ne suis pas un magicien, murmura-t-il. J'ai peut-être reçu de la nature quelque pouvoir, mais surtout j'ai voulu apprendre. Comprends-tu ? reprit-il d'un ton câlin qui la charma. J'avais la soif d'apprendre toutes les choses difficiles : les sciences, les lettres, et aussi le cœur des femmes. Je me suis penché avec délectation sur ce mystère charmant. Derrière les yeux d'une femme, on croit qu'il n'y a rien et l'on découvre un. monde. Ou bien on s'imagine un monde et on ne découvre rien... qu'un petit grelot. Qu'y a-t-il derrière tes yeux verts, qui évoquent les prairies naïves et l'océan tumultueux ?...

Elle l'entendit bouger, et la somptueuse chevelure noire glissa sur son épaule nue comme une fourrure tiède et soyeuse. Elle tressaillit au contact des lèvres que sa nuque penchée attendait inconsciemment. Les yeux clos, savourant ce baiser long, ardent, Angélique sentait venir l'heure de sa défaite. Alors, tremblante, rétive encore, mais subjuguée, elle viendrait, comme les autres, s'offrir à l'étreinte de cet homme mystérieux.

Chapitre 10

À quelque temps de là, Angélique revenait d'une promenade matinale sur les bords de la Garonne. Elle aimait à faire du cheval et y consacrait toujours quelques heures à l'aube, quand il faisait encore frais. Joffrey de Peyrac l'accompagnait rarement. Contrairement à la plupart des seigneurs, l'équitation et la chasse ne l'intéressaient guère. On eût pu croire qu'il redoutait les exercices violents, si sa réputation d'escrimeur n'eût été presque aussi célèbre que sa réputation de chanteur. Les voltiges qu'il exécutait malgré sa jambe infirme tenaient, disait-on, du miracle. Il s'entraînait chaque jour dans la salle d'armes du palais, mais Angélique ne l'avait jamais vu tirer. Il y avait beaucoup de choses qu'elle ignorait encore de lui, et parfois, avec une soudaine mélancolie, elle évoquait les paroles que l'archevêque lui avait glissées le jour de son mariage : « Entre nous, vous avez choisi un bien curieux mari. »

*****

Ainsi, après un apparent rapprochement, le comte semblait avoir repris à son égard l'attitude respectueuse mais distante qu'il affectait les premiers temps. Elle le voyait très peu et toujours en présence d'invités, et elle se demandait si la tumultueuse Carmencita de Mérecourt n'était pas pour quelque chose dans ce nouvel éloignement. En effet, après un voyage à Paris, la dame était revenue à Toulouse, où son exaltation mettait tout le monde sur le gril. Cette fois on affirmait très sérieusement que M. de Mérecourt l'enfermerait dans un couvent. S'il ne mettait pas sa menace à exécution, c'était pour des raisons diplomatiques. La guerre continuait avec l'Espagne, mais M. Mazarin qui, depuis longtemps, cherchait à négocier la paix, recommandait qu'on ne fît rien qui pût envenimer les susceptibilités espagnoles. La belle Carmencita appartenait à une grande famille madrilène. Les fluctuations de sa vie conjugale avaient donc plus d'importance que les batailles rangées des Flandres, et tout se savait à Madrid, car malgré la rupture des relations officielles, des messagers secrets revêtus de déguisements variés : moines, colporteurs ou marchands, ne cessaient de franchir les Pyrénées.

*****

Carmencita de Mérecourt étalait donc à Toulouse sa vie excentrique, et Angélique en était inquiète et froissée. Malgré l'aisance mondaine qu'elle avait acquise au contact de cette société brillante, elle restait au fond d'elle-même simple comme une fleur des champs, rustique et facilement ombrageuse. Elle ne se sentait pas de taille à lutter contre une Carmencita et elle se disait parfois, mordue au cœur par la jalousie, que l'Espagnole était plus appariée qu'elle-même au caractère original du comte de Peyrac.

Il n'y avait que dans le domaine des sciences qu'elle se savait la première femme aux yeux de son mari.

*****

Précisément, ce matin-là, en s'approchant du palais avec son escorte de pages, de seigneurs galants et de quelques jeunes filles amies dont elle aimait à s'entourer, elle aperçut de nouveau, stationnant devant le porche, un carrosse aux armoiries de l'archevêque. Elle en vit descendre une longue silhouette austère vêtue de bure, puis un seigneur enrubanné, l'épée au côté, et qui paraissait avoir le verbe haut, car de fort loin l'écho de sa voix criant des ordres ou des injures leur parvenait.

– Ma parole, s'exclama Bernard d'Andijos qui était toujours l'un des fidèles suivants d'Angélique, il semble bien que voilà le chevalier de Germontaz, le neveu de monseigneur. Le Ciel nous préserve ! C'est un rustre, et le pire sot que je connaisse. Si vous m'en croyez, madame, passons par les jardins pour éviter sa rencontre.

Le petit groupe obliqua sur la gauche et, après avoir laissé les montures à l'écurie, gagna l'orangerie, qui était un lieu fort agréable, entouré de jets d'eau. Mais, à peine les convives étaient-ils attablés devant une collation de fruits et de boissons glacées, qu'Angélique fut avertie par un page que le comte de Peyrac la demandait.

Dans la galerie d'entrée, elle trouva son mari en compagnie du gentilhomme et du moine aperçus tout à l'heure.

– Voici l'abbé Bécher, le distingué savant dont monseigneur nous a déjà entretenus, lui dit Joffrey. Et je vous présente également le chevalier de Germontaz, neveu de Son Excellence.

Le moine était grand et sec. Les sourcils proéminents cachaient des yeux très rapprochés, au regard un peu inégal, qui brûlaient d'une lueur fiévreuse et mystique ; un long cou maigre aux tendons saillants, jaillissait de sa robe de bure. Son compagnon semblait là pour lui servir de repoussoir. Aussi joyeux vivant que l'autre était consumé dans la macération, le chevalier de Germontaz avait le teint fleuri et, pour ses vingt-cinq ans, un embonpoint déjà honorable. Une opulente perruque blonde cascadait sur son habit de satin bleu garni de flots de rubans rosés. Sa rhingrave était si ample et ses dentelles si abondantes que dans un tel débordement de frous-frous, son épée de gentilhomme semblait une incongruité. De la plume d'autruche de son large feutre, il balaya le sol devant Angélique, lui baisa la main, mais, en se redressant, il lui adressa une œillade si osée qu'elle en fut outrée.

– Maintenant que ma femme est là, nous pouvons nous rendre au laboratoire, dit le comte de Peyrac.

Le moine eut un sursaut et abaissa sur Angélique un regard surpris.

– Dois-je comprendre que Madame pénétrera dans le sanctuaire et assistera aux entretiens et aux expériences auxquelles vous voulez bien m'associer ?

Le comte eut une grimace ironique et dévisagea son invité avec insolence. Il savait combien ses expressions impressionnaient ceux qui le voyaient pour la première fois, et il en jouait avec malice.

– Mon père, dans la lettre que j'adressais à monseigneur et où je consentais à vous recevoir, selon le désir qu'il m'avait maintes fois exprimé, je lui ai dit qu'il ne s'agirait en quelque sorte que d'une visite, et que pourraient y assister des personnes de mon choix. Or, il a mis à vos côtés M. le chevalier, pour le cas où vos yeux ne verraient pas tout ce qu'il est désirable de voir.