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– Pourtant, protesta Angélique un peu choquée, j'ai entendu dire que bien des savants distingués étaient aussi des religieux.

Le comte retint mal un geste d'agacement.

– Je ne le nie pas, et je vais même plus loin. Je dirai que pendant des siècles l'Église a conservé le patrimoine culturel du monde. Mais actuellement elle se dessèche dans la scolastique. La science est livrée à des illuminés prêts à nier des faits qui crèvent les yeux, du moment qu'ils ne peuvent trouver un raccroc théologique à un phénomène qui n'a qu'une explication naturelle.

Il se tut et, attirant brusquement sa femme contre sa poitrine, il lui dit une parole qu'elle ne devait comprendre que plus tard :

– Vous aussi, je vous ai choisie comme témoin.

*****

Le lendemain matin, le Saxon Fritz Hauër se présenta pour conduire les visiteurs à la mine d'or.

Celle-ci consistait en une grosse excavation formant carrière au pied du contrefort de Corbières. Une énorme lentille de terrain de cinquante toises de long et de quinze toises de large était décapée, et sa masse grise était débitée à l'aide de coins de bois et de fer, en blocs de moindre importance, chargés ensuite sur des chariots et transportés aux meules.

D'autres pilons hydrauliques attirèrent particulièrement l'attention de Bernalli. Ils étaient faits d'un revêtement de feuilles de fer sur des sabots de bois, eux-mêmes basculant lorsqu'un caisson se trouvait rempli d'eau et perdait l'équilibre.

– Quelle perte de puissance de l'eau, soupira Bernalli, mais quelle simplicité d'installation du point de vue de la suppression de main-d'œuvre. Est-ce encore une de vos inventions, comte ?

– Je n'ai fait qu'imiter les Chinois, où ces installations existent, m'a-t-on affirmé là-bas, depuis trois ou quatre mille ans. Ils s'en servent surtout pour décortiquer le riz, qui est leur nourriture habituelle.

– Mais où est l'or dans tout cela ? observa judicieusement le moine Bécher. Je ne vois qu'une poudre grise et lourde, certes, que vos manœuvres tirent de cette roche verte et grise broyée.

– Vous allez avoir la démonstration à la fonderie saxonne.

Le petit groupe passa en contrebas, où des fours catalans couverts étaient installés dans un hangar sans murs.

Des soufflets actionnés chacun par deux gamins envoyaient une haleine brûlante et suffocante. Des flammes livides, exhalant une odeur d'ail très prononcée, jaillissaient par instants des gueules ouvertes des fours, laissant une sorte de vapeur fuligineuse et lourde qui se déposait tout alentour sous forme de neige blanche. Angélique prit de cette neige dans sa main et voulut en porter à la bouche, à cause de ce goût d'ail qui l'intriguait.

Comme un gnome surgi des enfers, un monstre humain en tablier de cuir lui donna un coup violent sur la main pour arrêter son geste.

Avant qu'elle ait pu réagir, le gnome éructa :

– Gift, Gnädige Dame.7

Indécise, Angélique s'essuyait la main, tandis que le regard du moine Bécher s'appesantissait sur elle.

– Chez nous, fit-il doucement, les alchimistes travaillent avec un masque.

Mais Joffrey avait aussi entendu et intervenait :

– Chez nous, il n'y a justement aucune alchimie, quoique tous ces ingrédients ne soient pas à manger, bien sûr, ni même à toucher. Faites-vous des distributions régulières de lait à toute votre compagnie, Fritz ? interrogea-t-il en allemand.

– Les six vaches ont précédé notre arrivée ici, altesse !

– Bon, et n'oubliez pas que ce n'est pas pour le vendre, mais pour le boire.

– Nous ne sommes pas dans le besoin, altesse, et aussi nous tenons à rester en vie le plus longtemps possible, dit le vieux contremaître bossu.

– Peut-on savoir, monseigneur, quelle est cette matière en fusion pâteuse que j'entrevois dans ce four d'enfer ? demanda Bécher en se signant.

– C'est ce même sable lourd lavé et séché que vous avez vu extraire de la mine.

– Et c'est cette poudre grise qui, selon vous, contient de l'or ? Je n'y ai pas vu briller la moindre paillette, même tout à l'heure dans la traînée de la lavée par l'eau.

– C'est pourtant bien de la roche aurifère. Apportes-en une pelletée, Fritz.

L'ouvrier enfonça sa pelle dans un énorme tas de sable granulé gris vert, à l'aspect vaguement métallique.

Avec précaution, Bécher en répandit dans le creux de sa main, la renifla, la goûta en la recrachant aussitôt et déclara :

– Vitriol d'arsenic. Poison violent. Mais rien à voir avec de l'or. D'ailleurs l'or vient de gravier et jamais de roche. Et la carrière que nous avons vue tout à l'heure, ne tient pas un atome de gravier.

– C'est très exact, distingué confrère, confirma Joffrey de Peyrac, qui ajouta à l'adresse du contremaître saxon :

– Si c'est le moment, ajoute ton plomb !

Il fallut cependant attendre encore assez longtemps. La masse dans le four rougissait de plus en plus, fondait et bouillonnait. Les vapeurs lourdes et blanches continuaient de fumer, se déposant partout, même sur les vêtements, en enduits blancs et pulvérulents.

Puis, quand il n'y eut presque plus de fumée et que les flammes diminuèrent, deux Saxons en tablier de cuir amenèrent sur une charrette plusieurs lingots de plomb et les basculèrent dans la niasse pâteuse.

Le bain se liquéfia et s'apaisa. Le Saxon le remua avec un long bois vert. Des bouillons s'en échappèrent, puis une écume monta. Fritz Hauër écuma plusieurs fois avec d'énormes passoires et des crochets de fer. Puis il remua encore. Enfin le contremaître se pencha au niveau d'une ouverture qui se trouvait pratiquée en contrebas de la cuve du four. Il retira le bouchon de grès qui l'obstruait, et un filet argenté se mit à couler dans des lingotières préparées d'avance. Curieux, le moine s'en approcha, puis dit :

– Tout cela n'est jamais que du plomb.

– Nous sommes toujours d'accord, confirma M. de Peyrac.

Mais soudain le moine poussa un cri strident :

– Je vois les trois couleurs !

Il haletait et indiquait des irisations de refroidissement du lingot. Ses mains tremblaient et il bredouillait :

– Le Grand œuvre, j'ai vu le Grand œuvre !

– Il devient fou, le bon moine, observa Andijos sans respect pour l'homme de confiance de l'archevêque.

Avec un sourire, Joffrey de Peyrac expliqua :

– Les alchimistes en tiennent toujours à leur apparition des « trois couleurs » dans l'obtention de la pierre philosophale et de la transmutation des métaux. Ce n'est pourtant qu'un phénomène sans grande importance, apparenté à celui de l'arc-en-ciel après la pluie.

Soudain, le moine tomba à genoux devant le mari d'Angélique. Bégayant, il le remerciait de l'avoir fait assister à l'« œuvre de sa vie ».

Agacé de cette manifestation ridicule, le comte dit sèchement :

– Relevez-vous, mon père. Vous n'avez précisément rien vu encore, et vous allez pouvoir vous en rendre compte par vous-même. Il n'y a là aucune pierre philosophale, et je le regrette pour vous.

Le Saxon Fritz Hauër suivait la scène avec une expression de réticence sur sa curieuse face pigmentée de poussière et d'éclats de roches.

– Mubich das Blei durchbrennen vor allen diesen Herrschaften ?8 demanda-t-il.

– Fais comme s'il n'y avait que moi seul.

Angélique vit le lingot encore tiède empoigné avec des torchons mouillés et poussé dans un chariot. On le transporta jusqu'à un petit four installé au-dessus d'une forge déjà très rouge.