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Andijos n'accorda aucun regard à ce tableau familial.

– Le roi arrive ! s'écria-t-il haletant.

– Où cela ?

– Chez vous, au Gai Savoir, à Toulouse !...

Puis il se laissa tomber dans un fauteuil et s'épongea.

– Voyons, dit Joffrey de Peyrac après avoir joué un petit air sur sa guitare pour laisser le nouveau venu reprendre son haleine, ne nous affolons pas. On m'a bien dit que le roi, sa mère et la cour s'étaient mis en route pour rejoindre le cardinal à Saint-Jean-de-Luz, mais pourquoi passeraient-ils par Toulouse ?

– C'est toute une histoire ! Il paraît qu'à force de se faire des politesses, don Luis de Haro et M. Mazarin n'ont pas encore abordé le sujet du mariage. D'ailleurs les rapports, dit-on, s'aigriraient. On se cabre au sujet de M. de Condé. L'Espagne veut qu'on l'accueille à bras ouverts et qu'on oublie non seulement les trahisons de la Fronde, mais que ce prince de sang français a été pendant plusieurs années un général espagnol. La pilule est amère et difficile à avaler. L'arrivée du roi, dans ces conditions, serait grotesque. Mazarin a conseillé de voyager. On voyage. La cour se rend à Aix, où la présence du roi apaisera sans doute la révolte qui vient d'éclater. Mais tout ce beau monde passe par Toulouse. Et vous n'êtes pas là ! Et l'archevêque n'est pas là ! Les capitouls sont affolés !...

– Ce n'est pourtant pas la première fois qu'ils reçoivent un grand personnage.

– Il faut que vous soyez là, supplia Andijos. Je suis venu moi-même vous chercher. Il paraît qu'en apprenant qu'on passerait par Toulouse le roi aurait dit : « Enfin je vais connaître ce Grand Boiteux du Languedoc dont on me rebat les oreilles ! »

– Oh ! je veux partir pour Toulouse, s'écria Angélique en bondissant sur son lit.

Mais elle se rejeta en arrière avec une grimace de douleur. Elle était vraiment encore trop ankylosée et affaiblie pour entreprendre un voyage par les mauvaises routes de montagne et supporter les fatigues d'une réception princière. Ses yeux se remplirent de larmes de déception.

– Oh ! le roi à Toulouse ! Le roi au Gai Savoir, et je ne verrai pas cela !...

– Ne pleurez pas, ma chérie, dit Joffrey. Je vous promets d'être si empressé et si aimable qu'on ne pourra faire autrement que de nous inviter au mariage. Vous verrez le roi à Saint-Jean-de-Luz et non en voyageur poussiéreux, mais dans toute sa gloire.

Tandis que le comte sortait pour donner des ordres au sujet de son départ le lendemain à l'aube, le brave Andijos s'employa à la consoler.

– Votre mari a raison, ma belle. La cour ! Le roi ! Bah ! qu'est-ce que tout cela ! Un seul repas au Gai Savoir vaut grandement une fête du Louvre. Croyez-moi, j'ai été au Louvre et j'y ai eu si froid dans l'antichambre du Conseil que la goutte me gelait au nez. À croire que le roi de France n'a pas de forêts pour y couper son bois. Quant aux officiers de la maison royale, je leur ai vu des chausses trouées à faire baisser les yeux des filles de la reine, qui pourtant ne sont pas timides.

– On dit beaucoup que le cardinal-précepteur n'a pas voulu habituer son royal pupille à un luxe qui était hors de proportion avec les moyens du pays ?

– Je ne sais pas quelles étaient les intentions du cardinal, qui ne s'est jamais privé pour son compte d'acheter diamants bruts ou taillés, tableaux, « librairies », tapisseries, estampes. Mais je crois que le roi, sous des airs timides, est impatient de secouer cette tutelle. Il en a assez de la soupe aux fèves et des remontrances de sa mère. Il en a assez de revêtir les malheurs de la France pillée, et cela se comprend quand on est un beau garçon et roi par-dessus le marché. Le temps n'est pas loin où il va secouer sa crinière de lion.

– Comment est-il ? décrivez-le-moi, demanda Angélique impatiente.

– Pas mal ! Pas mal ! Il a de la prestance, de la majesté. Mais d'avoir tant couru de ville en ville au temps de la Fronde, il est resté plus ignorant qu'un valet, et s'il n'était pas roi je vous dirais que je le crois un peu sournois. De plus, il a eu la petite vérole et son visage est tout grêlé.

– Oh ! vous essayez de me décourager ! s'écria Angélique, et vous parlez comme un de ces diables de Gascons, de Béarnais ou d'Albigeois qui se demandent toujours pourquoi l'Aquitaine n'est pas restée un royaume indépendant du royaume de France. Pour vous, il n'y a que Toulouse et votre soleil. Mais, moi, je meurs d'envie de connaître Paris et de voir le roi.

– Vous le verrez à son mariage. Peut-être cette cérémonie sonnera-t-elle la vraie majorité de notre souverain. Mais, si vous remontez vers Paris, arrêtez-vous à Vaux pour y saluer M. Fouquet. Voilà le vrai roi de l'heure. Quel luxe, mes amis ! Quelle splendeur !

– Ainsi, vous aussi, vous êtes allé courtiser ce financier véreux et sans éducation ? interrogea le comte de Peyrac qui rentrait.

– Indispensable, mon cher. Non seulement la chose est nécessaire pour être reçu partout à Paris, car les princes sont à sa dévotion, mais j'avoue que la curiosité me dévorait de voir dans son cadre le grand argentier du royaume, qui est certainement maintenant la première personnalité du pays après Mazarin.

– Allez-y plus hardiment et ne craignez pas de dire : avant Mazarin. Chacun sait que le cardinal ne trouve aucun crédit auprès des prêteurs de fonds lorsqu'il s'agit même du bien du pays, alors que ce Fouquet a la confiance générale.

– Mais le souple Italien n'est pas jaloux. Fouquet fait rentrer l'argent dans le Trésor royal pour entretenir les guerres, c'est tout ce qu'on lui demande... pour l'instant. Il ne s'inquiète pas de savoir si cet argent est emprunté aux usuriers à vingt-cinq et même cinquante pour cent d'intérêt. La cour, le roi, le cardinal vivent de ces malversations. On ne l'arrêtera pas de sitôt ! et il continuera d'étaler à l'envi son emblème, l'écureuil, et sa devise Quo non ascendant ? (Jusqu'où ne monterai-je pas ?)

Joffrey de Peyrac et Bernard d'Andijos discutèrent encore un moment sur le faste insolite de Fouquet, qui avait certes commencé par être maître des requêtes, puis membre du Parlement de Paris, mais n'en restait pas moins fils d'un simple magistrat breton. Angélique demeurait songeuse, car, lorsqu'on parlait de Fouquet, elle évoquait le coffret au poison, et chaque fois ce souvenir lui était désagréable. La conversation fut interrompue par un petit serviteur qui apportait sur un plateau une collation pour le marquis.

– Humph ! fit celui-ci en se brûlant les doigts à des brioches chaudes qui renfermaient miraculeusement une noix de foie gras glacé, il n'y a qu'ici qu'on mange de pareilles merveilles. Ici et à Vaux, précisément. Fouquet a un cuisinier exceptionnel, un nommé Vatel.

Il poussa une soudaine exclamation :

– Oh ! ceci me rappelle une rencontre... bizarre. Devinez qui j'ai surpris là-bas même en grande conversation avec le sieur Fouquet, seigneur de Belle-Isle et autres lieux, et quasi vice-roi de Bretagne. Devinez ?

– C'est difficile. Il connaît tant de monde.

– Devinez quand même. C'est quelqu'un de votre maison... si l'on peut dire. Après avoir cherché, Angélique émit qu'il s'agissait peut-être de son beau-frère, mari de sa sœur Hortense, qui était homme de robe à Paris tout comme l'était autrefois le célèbre surintendant.

Mais Andijos secoua la tête négativement.

– Ah ! si je n'avais pas si peur de votre mari, je ne vous donnerais mon information que contre un baiser, car vous ne devinerez jamais.

– Eh bien, prenez le baiser, ce qui est de bon ton lorsqu'on revoit pour la première fois une jeune accouchée et dites-moi, car vous me faites languir.

– Voilà : j'ai surpris votre ancien maître d'hôtel, ce Clément Tonnel que vous avez eu plusieurs années à Toulouse, en grand conciliabule avec le surintendant.