Выбрать главу

– Vous avez dû vous tromper. Il était seulement parti pour le Poitou, dit Angélique avec une précipitation soudaine. Et il n'y a aucune raison qu'il fréquente de grands personnages. À moins qu'il ne cherche à entrer en service à Vaux.

– C'est ce que j'ai cru comprendre d'après leur conversation. Ils s'entretenaient de Vatel, le cuisinier du surintendant.

– Vous voyez, constata Angélique avec un soulagement qu'elle ne s'expliqua pas, il cherchait simplement à travailler sous les ordres de ce Vatel qu'on dit génial. Je trouve seulement qu'il aurait pu nous avertir qu'il ne reviendrait pas en Languedoc. Mais allez donc attendre de la déférence de ces gens du commun lorsque vous ne leur êtes plus utile.

– Oui ! oui ! fit Andijos qui semblait penser à autre chose, mais il y a quand même un détail qui m'a paru curieux. Je me suis trouvé à entrer impromptu dans la pièce où le surintendant était en conversation avec ce fameux Clément. Je faisais partie d'un groupe de seigneurs plus ou moins égayés par le vin. Nous nous sommes excusés près du surintendant, mais j'avais remarqué que notre homme conversait de façon assez familière avec M. Fouquet, et il s'était redressé dans une attitude plus servile à notre venue. Il m'a reconnu. Alors que nous sortions je l'ai vu dire quelques mots précipitamment à Fouquet. Celui-ci a fixé sur moi un regard froid de serpent, puis a dit : « Je ne crois pas que cela ait de l'importance. »

– C'est donc toi qu'on jugeait sans importance, mon ami ? interrogea Peyrac qui grattait sa guitare nonchalamment.

– Il m'a semblé...

– Que voilà un judicieux avis !

Andijos fit mine de tirer son épée et la conversation reprit dans les rires.

Chapitre 15

« Il faut absolument que je me rappelle cette chose, se dit Angélique. Elle est dans ma tête, tout à fait enfouie au fond de mes souvenirs. Mais je sais qu'elle est très importante. Il faut que je m'en souvienne ! »

Elle prenait ses joues à deux mains, fermait les yeux, concentrait sa pensée. La chose était lointaine. Elle avait eu lieu au château du Plessis. Cela, elle en était sûre, mais ensuite tout se brouillait.

La flamme de l'âtre lui chauffait le front. Elle prit un écran à feu de soie peinte et se protégea en s'éventant machinalement. Dehors, dans la nuit, la tempête faisait rage. Tempête de printemps et de montagne, sans éclairs, mais tordant des paquets de grêlons qui, par instants, criblaient les vitres. Incapable de dormir, Angélique était venue s'asseoir devant la cheminée. Elle souffrait un peu dans le dos et s'en voulait de ne pas reprendre plus vite ses forces. La sage-femme ne manquait pas de dire que cette faiblesse venait de son entêtement à nourrir, mais Angélique faisait la sourde oreille ; lorsqu'elle prenait son bébé contre elle et qu'elle le regardait téter, sa joie chaque fois était plus grande. Elle s'épanouissait. Elle se sentait devenir grave, attendrie. Elle se voyait déjà en matrone solennelle et indulgente, entourée de marmots trébuchants. Pourquoi pensait-elle si fréquemment à son enfance alors qu'en elle-même la petite Angélique était en train de disparaître ?... Et ce n'était pas un malaise sourd, inexplicable. Peu à peu la question se précisait : « Il y a quelque chose dont il faut absolument que je me souvienne ! »

Ce soir, elle attendait le retour de son mari : il avait envoyé un courrier pour s'annoncer, mais sans doute, la tempête l'ayant retardé, il n'arriverait que demain. Elle en était déçue jusqu'aux larmes. Elle attendait avec tant d'impatience le récit de la réception du roi ! Cela l'aurait distraite. On disait que le repas et la fête avaient été splendides. Quel dommage de n'avoir pu y assister, au lieu de rester là à se creuser la tête pour ramener en surface un lambeau de souvenir, un détail qui sans doute n'avait aucune importance.

« C'était au Plessis. Dans la chambre du prince de Condé... Tandis que je regardais par la fenêtre. Il faut que je revoie chaque chose à partir de ce moment-là, point à point... »

Une porte claqua, et il y eut un bruit de voix dans le hall du petit château. Angélique bondit sur ses pieds et se précipita hors de sa chambre. Elle reconnut la voix de Joffrey.

– Oh ! mon chéri, c'est vous enfin ! Que je suis heureuse.

Elle descendit en courant l'escalier, et il la reçut dans ses bras.

*****

Assise à ses pieds sur un coussin, elle se blottissait contre lui. Lorsque les domestiques furent sortis, elle réclama, impatiente :

– Racontez.

– Ma foi, ce fut très bien, dit Joffrey de Peyrac, en grappillant un peu de raisin. La ville a fait de belles choses. Mais sans me vanter, je crois que la réception du Gai Savoir a dépassé l'ensemblé. J'ai pu faire venir à temps de Lyon un maître en machinerie qui nous a organisé une très belle fête.

– Et le roi ? Le roi ?

– Le roi, ma foi, est un beau jeune homme qui semble goûter les honneurs qu'on lui rend. Il a des joues pleines, des yeux bruns caressants et beaucoup de majesté. Je lui crois le cœur dolent. La petite Mancini y a fait une blessure d'amour qui n'est pas près de se refermer, mais comme il a une haute idée de son métier de roi, il s'incline devant la raison d'État. J'ai vu la reine mère, belle, triste et un peu sur son quant-à-soi. J'ai vu la Grande Mademoiselle et le petit Monsieur se quereller pour des questions d'étiquette. Que vous dire encore ? J'ai vu trop de beaux noms et de laides figures !... En fait, rien n'a valu pour moi le plaisir de retrouver le petit Péguilin, vous savez le chevalier de Lauzun, ce neveu du duc de Gramont, gouverneur du Béarn ? Je l'ai eu petit page à Toulouse avant qu'il ne monte à Paris. Je le revois encore avec sa figure de chat, au temps où je chargeais Mme de Vérant de le déniaiser.

– Joffrey !

– Mais il a tenu ses promesses et mis en pratique les enseignements de nos cours d'amour. Car j'ai pu constater qu'il était la coqueluche de toutes ces dames. Et son esprit lui vaut l'amitié du roi, qui ne peut se passer de ses bouffonneries.

– Et le roi ? Parlez-moi du roi ? Vous a-t-il exprimé sa satisfaction de la réception que vous lui avez faite ?

– Avec beaucoup de grâce. Et, à plusieurs reprises, il a regretté votre absence. Oui, le roi a été satisfait... trop satisfait.

– Comment « trop » satisfait ? Pourquoi dites-vous cela avec votre petit sourire mordant ?

– Parce qu'on m'a rapporté la réflexion suivante : alors que le roi remontait en carrosse, un courtisan lui a fait remarquer que notre fête pouvait égaler les splendeurs de celles de Fouquet. Alors Sa Majesté a répondu : « Oui, en effet, et je me demande s'il ne sera pas bientôt temps de faire rendre gorge à ces gens-là ! » La bonne reine a poussé une exclamation : « Quelle réflexion, mon fils, au milieu d'une réjouissance donnée pour vous plaire !

– Je suis las, a répondu le roi, de voir mes propres sujets m'écraser de leur faste.

– Ça alors ! Quel garçon jaloux ! s'exclama Angélique outrée. Je ne peux y croire. Êtes-vous bien sûr de telles paroles ?

– C'est mon fidèle Alfonso lui-même qui tenait la portière et qui me les a rapportées.

– Le roi ne peut avoir de lui-même des sentiments aussi mesquins. Ce sont ses courtisans qui ont aigri son humeur et qui l'ont monté contre nous. Êtes-vous bien certain de n'avoir pas montré trop d'insolence envers l'un d'eux ?

– J'ai été tout sucre et miel, je vous l'assure. Je les ai ménagés autant que faire se peut. Jusqu'à déposer dans la chambre de chacun des seigneurs qui logeaient au château une bourse remplie d'or. Et je vous jure qu'aucun de ces messieurs n'a oublié de l'emporter.