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– Je vous avais imaginé sous un jour plus aimable.

Le fonctionnaire royal s'émut :

– Que voulez-vous dire ?... Je désapprouve la violence et...

– Je veux dire que toute cette besogne d'inquisiteur me semble peu en rapport avec votre caractère... qui m'a semblé surtout accessible aux satisfactions terrestres.

Il rit de bonne grâce, flatté au fond. Elle n'était pas si indifférente et rêveuse qu'elle s'en donnait l'air.

– Entendons-nous bien, reprit-il. Comme tout bon chrétien, je désire gagner mon ciel, mais j'avoue que l'œuvre en question m'attire surtout par son côté temporel. S'occuper des affaires religieuses est, à l'heure actuelle, la plus rapide façon, pour un fonctionnaire, d'avancer.

« D'autre part, j'ai la plus grande estime pour maître Berne, je voudrais lui venir en aide, mais il s'entête, il ne veut pas comprendre...

– Que doit-il comprendre ?

– Que nous ne pouvons confier l'éducation de ses deux enfants qu'à une famille catholique. Le mal est déjà trop profond en ces jeunes âmes.

– Pourquoi a-t-on arrêté sa fille Séverine ?

– Parce qu'il était temps qu'elle se prononce sur la religion de son choix.

– Ces décisions ruinent l'autorité du père de famille, base de notre société et du pays.

– Qu'importe, si cette autorité est nocive ? J'ai là un rapport qui...

Il attira derechef un autre dossier puis s'arrêta dans son geste de l'ouvrir.

– Mais... vous les défendez !... fit-il en la considérant avec méfiance.

Angélique s'adressa de violents reproches. Elle s'était montrée maladroite. Elle avait trop laissé transparaître son opinion personnelle. Elle se sentait incapable de jouer totalement la comédie comme elle aurait pu le faire autrefois. Jadis elle aurait rusé, menti avec plus de facilité. Peut-être qu'alors elle prenait les choses moins à cœur.

Il fallait coûte que coûte rattraper la situation.

– Je ne les défends pas, mais j'insiste pour vous démontrer que je sais ce qui se passe dans cette famille. Et je vois que vous agissez sur de quelconques ragots de vos sbires, qu'ils nomment pompeusement « rapports » alors qu'à moi, on ne demande rien.

– C'est que vous ne dites rien ! J'espérais avoir de multiples renseignements, précisément par vos soins. J'ai attendu en vain.

– Il n'y avait rien à communiquer d'intéressant.

– Vous avez pourtant laissé fuir Martial Berne, sans me signaler ses projets de départ dont vous ne pouviez manquer d'être avertie.

– Il ne s'agissait pas de fuite mais d'un voyage.

– On vous a abusée.

– Dites tout de suite que je suis une sotte !

M. de Bardagne la voyant debout, sur le point de quitter la pièce, se sentit atterré. Vivement, il fit le tour de son bureau pour la retenir.

– Nous n'allons pas nous fâcher pour cela, voyons ! Vous avez mal interprété mes paroles. Je suis navré-

Sous prétexte de la retenir il lui mettait les mains aux épaules, à la naissance des bras. Sous la toile des manches, il sentait la chair ferme et douce. Son parfum léger de femme saine le grisait. Angélique ne pouvait guère s'illusionner sur la nature de son pouvoir. Cela la mettait très mal à l'aise, mais elle se dit qu'il était de son devoir d'en tirer parti et elle se dégagea avec toute la diplomatie possible.

– Vous m'avez, en effet, blessée.

– Je suis confus, repentant.

– Parce que je crois pouvoir vous dire qu'en agissant comme vous le faites vis-à-vis de maître Berne vous n'en viendrez jamais à bout. Je commence à bien le connaître. Il se butera et n'en deviendra que plus intransigeant. Tandis que touché par l'indulgence et l'aide que vous aviez manifestées à son égard il serait plus accessible à vos raisonnements.

– Vraiment ?

– Peut-être !

Le lieutenant du Roi était à nouveau ébranlé.

Près d'elle, le regard errant sur ce cou fascinant, il ne pouvait que l'être. Il ne demandait qu'à la croire, à lui faire une confiance aveugle.

– Mais je ne peux tout de même pas lui rendre ses enfants, gémit-il, c'est impossible... D'ailleurs je peux bien vous l'avouer, c'est ce sacré Baumier qui est l'instigateur de tout cela. Mais maintenant que la procédure est engagée, que le délit de fuite est reconnu, que la fillette est retenue, je ne peux plus reculer.

– Que comptez-vous faire d'eux ?

– Le garçon sera confié aux Jésuites, la fillette aux religieuses...

« Et nous ne les reverrons jamais », pensa Angélique bouleversée.

– C'est précisément pour vous proposer une autre solution que je suis venue vous voir, monsieur le comte. Maître Berne ne pourrait en prendre ombrage. Il a une sœur convertie qui est mariée a un officier de la marine royale et qui habite l’Île de Ré.

– C'est fort exact, Mme Demuris.

– Les enfants pourraient donc lui être confiés... Cela se fait, m'a-t-on affirmé. Quand on se trouve dans l'obligation de retirer un enfant réformé à ses parents, on recherche sa plus proche parenté catholique pour lui en remettre l'éducation. C'est d'ailleurs une mesure d'humanité et aussi de bon sens.

– Mais comment n'y ai-je pas songé plus tôt moi-même ! s'exclama le lieutenant du Roi, illuminé. C'est en effet la solution parfaite. Et même Baumier ne pourra rien y redire et, de son côté, maître Berne me sera, je pense, reconnaissant. Vous êtes merveilleuse. Votre intelligence égale votre beauté.

– Pourtant, vous en avez douté, ce me semble.

– Comment me faire pardonner ?

Bardagne, transporté, soulagé, enchanté par les trésors qu'il ne cessait de découvrir dans cette surprenante créature, ne put résister à son élan. Il prit Angélique par la taille et posa ses lèvres sur son cou lisse dont la ligne tendre, les mouvements pleins de grâce n'avaient cessé de l'enivrer pendant toute la conversation.

Angélique eut un bond de brûlée. Elle s'arracha si brusquement à cette étreinte que le pauvre homme en demeura pantois.

– Est-ce possible, balbutia-t-il, je vous répugne à ce point ?

Il avait les yeux troubles, les lèvres tremblantes. Bien que bref, ce contact avait suffi à confirmer toute ses espérances. Cette femme était la plus excitante qu'il ait jamais connue. « Damnation, songeait-il, serait-elle aussi prude que les autres parpaillotes ? C'est bien ma chance ! »

Chapitre 8

Angélique s'appuyait au bureau de marqueterie, ne sachant quelle contenance prendre.

Il n'était pas déplaisant, après tout. Il était galant. Il avait de beaux yeux, de belles mains, des lèvres savantes. Qui sait si, autrefois – cet autrefois dont il lui semblait qu'elle était séparée par une grille noire et infranchissable – , elle ne se serait pas laissé tenter ? Elle ne pouvait oublier qu'elle était une humble servante et lui le représentant du Roi à La Rochelle, c'est-à-dire, dans l'ordre hiérarchique, l'homme le plus puissant de la ville.

Heureusement, il n'était pas fat. Pour l'instant, le recul d'Angélique lui apparaissait moins comme une insulte que comme un douloureux coup du sort. Elle sentit qu'il fallait le réconforter.

– Vous ne me répugnez pas, fit-elle... Au contraire. J'avouerai que je vous trouve fort aimable. Mais... comment vous expliquer... J'ai promis à ma haute protectrice... cette personne que je ne puis nommer... de mener une vie sage, afin de racheter mes erreurs passées.

– La peste soit de ces bigotes ! s'écria Nicolas de Bardagne, je parie qu'elle est plus laide que les sept péchés capitaux. Elle ne se rend pas compte qu'une femme aussi belle que vous ne peut mener une vie de nonne.

– Et si moi-même je souhaitais demeurer vertueuse, monsieur le comte... Est-ce votre rôle de m'induire en tentation ?