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La sorcière s'agita. Elle se leva à demi et fit de grands gestes de ses bras déformés.

– Pourquoi veux-tu écarter le danger de ces hommes des ténèbres, toi qui es fille de la clarté ? Laisse donc les corbeaux planer sur les putois.

– Tu sais donc où ils demeurent ?

– Si je le sais ! Comment pourrais-je l'ignorer alors qu'ils me cassent les branches, brouillent mes collets et écrasent mes plantes. Si cela continue je n'aurai pas un pétale à faire sécher pour mes potions. Ils viennent de plus en plus nombreux, ils se glissent comme des loups, et puis quand ils sont réunis ils se mettent à chanter. Les bêtes ont peur, les oiseaux se taisent, les rochers sont ébranlés et moi je suis obligée de m'enfuir au loin, tant ces chants me font mal, comprends-tu ma fille ?... Pourquoi ces hommes viennent-ils dans la forêt ?

– Ils sont persécutés. Les soldats du roi les pourchassent.

– Trois chefs les guident. Trois chasseurs. Le plus vieux est aussi le plus noir et il est dur comme l'airain. C'est le chef de tous. Il parle peu mais quand il parie on dirait qu'il tranche la gorge d'une biche avec son poignard. Il parle toujours de sang et d'Éternel. Écoute-moi...

Elle se rapprocha jusqu'à frôler de son haleine le visage d'Angélique.

– Écoute-moi, petite. Un soir, entre les arbres, je guettais tous ces gens assemblés. J'essayais de comprendre ce qu'ils faisaient là. Le chef parlait debout sous un chêne. Il a tourné les yeux dans ma direction. Je ne sais pas s'il m'a vue. Mais j'ai appris que ses yeux étaient de feu car les miens se sont mis à brûler, et j'ai dû m'enfuir, moi qui regarde en face le sanglier et le loup... Voilà son pouvoir. Voilà pourquoi les autres viennent à sa voix et sont prêts à lui obéir. Il a une grande barbe. Il ressemble à l'ours Troussepoil qui venait laver son pelage ensanglanté dans la fontaine, après avoir dévoré les jeunes filles.

– C'est le duc de la Morinière, dit Angélique en se retenant de sourire, un grand seigneur protestant.

Cela ne disait rien à Mélusine. Elle en tenait pour son Troussepoil. Cependant peu à peu son humeur changea et un sourire finit même par étirer ses lèvres grises sur ses gencives édentées. Les dents qui lui restaient étaient larges et solides, bien blanches, comme si elle les eût soignées. Cela lui conférait un étrange faciès.

– Pourquoi ne te mènerais-je pas à lui ? fit-elle tout à coup. Toi, il ne te fera pas baisser les yeux. Toi, tu es belle, et lui...

Elle ricana longuement.

– Mâle il est, mâle il reste, fit-elle sentencieusement.

Angélique ne se voyait pas entraînant l'austère duc de la Morinière – qu'on appelait aussi le Patriarche – sur les chemins de la perdition. Ses préoccupations étaient d'un autre ordre. Et il fallait faire vite.

– J'irai, j'irai, marmonna Mélusine qui paraissait égayée, je te conduirai. Petite gazoute ! Ton destin est si terrible, si violent et si beau... Donne-moi ta main.

Qu'y lut-elle ?... Elle repoussa la main d'Angélique avec une expression hallucinée qui faisait luire ses yeux gris mais où subsistait on ne sait quelle ardente malice.

– Tu es venue, toi... Tu m'as apporté du sel et du tabac. Toi, tu es ma sœur, ma fille. Ah ! comme tes pouvoirs sont grands !...

La précédente sorcière parlait ainsi à Angélique enfant, lorsque celle-ci se tenait assise à la même place un peu craintive ; elles avaient les mêmes mots pour traduire la stupeur devant tant de choses inscrites autour de cette jeune tête. L'effroi et l'intérêt des sorcières avaient toujours empli Angélique d'une naïve fierté. Quand elle était petite fille, elle en retirait l'assurance qu'elle posséderait un jour tout ce qu'on pouvait souhaiter : bonheur, beauté, richesse... Aujourd'hui ?... Aujourd'hui qu'elle savait qu'on peut tout posséder et pourtant n'être pas comblée, qu'éveillaient en elle ces promesses de puissance ? Elle regardait sa main.

– Dis-moi... Dis-moi encore, Mélusine. Triomphe-rai-je du Roi ?... Échapperai-je à sa poursuite ?... Dis-moi, retrouverai-je l'amour ?

Mais, cette fois, c'était la sorcière qui se dérobait.

– Que pourrais-je dire que tu ne sais déjà au fond de ton cœur.

– Tu ne veux rien me dire de ce que tu as vu pour ne pas m'ôter du courage ?

– Viens, viens donc. L'homme à la barbe noire doit attendre, ricana l'autre.

Avant de se glisser hors de la grotte elle alla chercher un petit sac et le remit à Angélique.

– Ce sont des plantes. Chaque soir trempe-les dans une eau très chaude, expose-les à la lune, et bois, à l'aube quand le soleil se lève. Tu retrouveras la force de tes membres et de ta chair, et tes seins se gonfleront comme sous la montée du lait. Ce n'est pas le lait qui les gonflera, mais le sang de ta jeunesse...

Elles marchèrent l'une derrière l'autre, après avoir émergé du ravin. La sorcière ne suivait aucun sentier.

Elle reconnaissait les pistes à des indices invisibles.

Le ciel s'assombrissait derrière les branches.

Angélique pensa à son gardien, Montadour. S'apercevrait-il de son absence ? C'était peu probable. Il demandait à la saluer chaque matin. C'était une obligation que lui avaient recommandée MM. de Marillac et de Solignac. Ne pas importuner la prisonnière mais ne pas manquer d'une quotidienne vigilance. Le gros capitaine n'eût pas demandé mieux, en apparence, que de rendre plus fréquentes ces obligations. Mais la hauteur d'Angélique l'embarrassait. Son regard glacé coupait court à tout essai de conversation ou de badinage. Elle le voyait rengainer ses lourds compliments en mâchant sa moustache rousse et il la quittait en disant qu'il irait courir sus à l'hérétique, ce qui constituait sa seconde mission. Chaque après-midi, il sautait sur son robuste cheval pommelé et partait accompagné d'une groupe de cavaliers, pour assister à des conversions dans les villages environnants. Parfois il ramenait un réformé particulièrement récalcitrant pour l'entreprendre lui-même, et c'étaient alors dans les communs du château des bruits de coups et des cris rauques : « Abjure ! Abjure ! »

S'il espérait par son zèle à la cause de Dieu forcer l'admiration de la marquise du Plessis, le capitaine Montadour se trompait lourdement. Elle le prenait en horreur. C'est en vain qu'il essayait de l'intéresser à son œuvre. Mais lorsque ce matin elle l'avait entendu parler d'un certain pasteur venu de Genève et que grâce à ses espions il pourrait arrêter ce soir au château de Grandhier où les châtelains l'avaient accueilli, elle avait tendu l'oreille.

– Un pasteur venu de Genève ? Dans quel but ?

– Pour exciter ces impies à la révolte. Heureusement j'ai été averti. Ce soir, il doit quitter la forêt, où il a eu des entrevues avec le damné La Morinière. Je le guette près du château de Grandhier. Peut-être le duc l'accompagnera-t-il ? Je J'arrêterai aussi. Ah !

M. de Marillac a vu juste lorsqu'il m'a nommé à la tête de cette entreprise. Croyez-moi, madame, l'an prochain il n'y aura plus un protestant en Poitou.

Elle avait fait venir La Violette, l'ancien valet de Philippe.

– Toi qui es de la religion réformée, sais-tu où se cachent le duc de la Morinière et ses frères ? Il faut les avertir qu'ils vont tomber dans un guet-apens.

Le valet ne savait rien. Après des hésitations, il dit que le duc lui envoyait parfois des indications par le truchement d'un faucon dressé à porter des messages. Lui-même procurait aux rebelles protestants les renseignements qu'il pouvait obtenir des soldats. Mais il n'y avait pas grand-chose à dire. Montadour était moins bête qu'il n'en avait l'air et malgré sa faconde, il parlait peu.

– Ainsi, madame, cette histoire du pasteur protestant de laquelle vous êtes au courant, les soldats eux-mêmes l'ignorent, j'en mettrais ma main au feu. Ils ne l'apprendront qu'au dernier moment. Il est méfiant et sournois.