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Puis le gouverneur de la province se porta à la tête de ses piquiers dans le nord du Poitou. Quatre villages protestants qui avaient soutenu un siège en règle contre les soldats chargés de les occuper, furent incendiés. Les hommes qu'on put atteindre furent pendus. Les autres étaient allés grossir les troupes recrutées par la Morinière. On rassembla les femmes avec leurs enfants, et on les jeta sur les routes après avoir proclamé un édit à leur sujet. « Pour les femmes hérétiques des villages de Noireterre, Pierrefitte, Quingé, Arbec, il est interdit à tous de leur prêter conseil, confort et aide, de les recevoir, alimenter, donner feu ni eau, ou leur prêter aucun office d'humanité. »

Après quoi les troupes du gouverneur s'enfoncèrent à l'intérieur du Poitou, afin d'y poursuivre les bandes protestantes. Comme on les avait prévenues que les trois frères de la Morinière avaient réussi à concentrer des forces importantes, elles demandèrent l'aide de la milice de Bressuire. Cette ville, en majorité protestante, ne fournit que peu d'hommes. M. de Marillac apprit presque aussitôt que la petite armée de la Morinière s'était jetée dans Bressuire, dépourvue de défenseurs, et s'était répandue dans les rues désertes en criant : « Ville prise ! Ville prise ! » et avait pillé les magasins d'armes.

M. de Marillac dédaigna de reprendre la ville. Il ne voulait pas encore s'avouer que ces échauffourées prenaient l'allure d'une guerre de religion, pour ne pas dire d'une guerre civile. Il passa par le Plessis pour consulter Montadour.

Des contreforts de la forêt de Nieul, les résistants huguenots purent voir s'étirer au long de la route romaine le serpent gris de l'armée avec la herse serrée des piques.

Les troupes se retirèrent le lendemain, ne laissant que quelques renforts aux dragons de Montadour. L'hostilité des populations, même catholiques, qui avaient refusé le pain et le vin aux soldats et Les avaient accueillis à coups de pierres, inquiétait le gouverneur. Il ne pouvait laisser toute cette troupe sur place sans risquer un soulèvement plus important. Il ramena ses soldats au-delà de Poitiers et partit pour Paris afin de converser avec le ministre Louvois sur les mesures à prendre.

Chapitre 10

Angélique courut comme une folle, s'accrochant aux buissons, tirant avec rage sur sa mante pour se dégager, insoucieuse des branches qui la fustigeaient au visage.

– Vous avez brisé les statues, cria-t-elle à Samuel de la Morinière, dès qu'elle l'aperçut.

Il s'était dressé auprès de la Pierre aux Fées, aussi noir qu'une obsidienne préhistorique, et il lui parut haïssable, l'image même du mal. Et plus il lui inspirait de terreur, plus elle se faisait violente.

– C'est vous qui avez trahi. Vous m'avez trompée. Vous avez demandé l'alliance des catholiques pour mieux les détruire ensuite. Vous êtes un homme sans honneur.

Elle s'interrompit, suffoquée, la tête bourdonnante, et la lune entièrement ronde qui voguait à la cime des chênes, autour de la clairière, lui parut danser, sursauter en tout sens. Elle dut s'appuyer au dolmen pour ne pas tomber. Le contact de la pierre la ramena à elle.

– Vous m'avez frappée ! fit-elle suffoquée.

Il avait ôté son gant et l'avait frappée à la joue de sa main nue.

– Vous m'avez frappée !

Un sourire carnassier éclaira la barbe noire du patriarche.

– Ainsi traite-t-on les femmes insolentes et faibles. Jamais l'une d'elles n'a osé me parler sur ce ton.

L'humiliation d'Angélique lui égarait l'esprit. Elle sut trouver la seule flèche capable d'atteindre ce fanatique.

– Les femmes !... Croyez bien qu'elles préféreraient les hommages de Satan aux vôtres.

Elle regretta aussitôt ses paroles devant le mouvement qu'il eut. Il la saisit aux deux bras et il se mit à la secouer rudement en grondant.

– Mes hommages ! mes hommages !... Qui parle d'hommages ! vile créature de péché !... Néfaste créature !...

Il la serrait contre lui avec une force démente et son souffle brûlant lui balayait le visage. Elle eut l'explication de ses peurs. Elle avait dû pressentir inconsciemment qu'il la tuerait et qu'elle devait mourir de sa main. Il allait l'étrangler ou l'égorger. Ce lui serait facile dans ce coin reculé des bois et la pierre du sacrifice était prête.

Néanmoins elle se débattit furieusement, se meurtrissant aux boucles de son ceinturon et à la rude étoffe de son pourpoint dans ses efforts pour s'arracher à lui. La force de son adversaire la subjuguait peu à peu. Sa peur cédait sous la-poussée d'un autre sentiment dont le primitif désir de la chair, aveugle et avide, n'était pas exempt. La fièvre érotique qui semblait s'être emparée de l'homme la paralysait dans sa lutte, l'amollissait malgré sa volonté d'y échapper.

Elle fut au sol, la gorge rauque sous son souffle déchirant, les yeux blessés sous la clarté de la lune qui la frappait en plein visage.

Ses gestes devenaient vagues.

Elle avait perdu la mémoire de ce qu'il était... qui il était. Sa tête roula à la renverse et elle sentit la fraîcheur de la terre sous ses reins dénudés.

Mais alors qu'elle allait s'abandonner, son cerveau soudain hanté de visions folles leva en elle des hallucinations où se mêlaient les maléfices de la clairière druidique et les prédictions de la sorcière.

Elle cria.

D'un sursaut dément elle échappa à l'étreinte, se tordit sur le sol, puis se relevant d'un bond se jeta à travers les arbres.

Elle courut longtemps, portée par son effroi. L'instinct la guidait sur ces chemins obscurs qu'elle avait tant de fois parcourus au cours des derniers mois. Elle ne s'égara pas. Parfois elle s'arrêtait pour pleurer d'énervement, le front contre un arbre. Elle avait envie de haïr la forêt, cette souveraine impavide qui recèle, indifférente, les prières des moines, les chants des psaumes des huguenots pourchassés, les crimes des braconniers, l'accouplement des loups et les rites païens des sorcières.

Elle était blessée comme une enfant qui n'a plus de refuge en ce monde, blessée par la douleur de vivre. La nuit était encore profonde lorsqu'elle parvint aux abords du château du Plessis.

Elle lança par deux fois l'appel de la chouette que ses deux mains jointes portées à ses lèvres avaient retrouvé tout naturellement. Les serviteurs veillaient. La réponse vint du haut de la tourelle.

Malbrant-coup-d'épée se tenait dans le cellier, un lumignon en main, à l'entrée du souterrain.

– Cette existence ne peut durer, madame, lui dit-il. Courir les bois la nuit, quelle folie. La prochaine fois je vous accompagnerai.

Le vieil écuyer devait avoir remarqué le désordre de sa toilette et de sa chevelure, et sur ses joues les traces mal essuyées de ses larmes. Elle se redressa, recomposa son visage habituel tandis qu'elle cherchait dans la poche de sa mante un mouchoir.

– Oui, la prochaine fois vous m'accompagnerez ou plutôt ce sera La Violette car la forêt est trop humide pour vos douleurs. Encore que je n'aie pas grande confiance non plus en cet individu, ajouta-t-elle avec un soupir. En qui avoir confiance ? murmura-t-elle.

Ils émergeaient des caves dans la demeure silencieuse. Elle s'efforça de sourire, désinvolte :

– L'autre ogre dort-il ? fit-elle avec un geste en direction de l'appartement du capitaine Montadour.

Dans sa chambre, elle ôta ses vêtements déchirés et longuement se lava dans la salle d'eau attenante. Elle avait l'impression que les bras du chef huguenot lui brûlaient encore l'échine, que ses mains râpeuses et chaudes étaient sur sa peau.

Elle prit la cruche d'eau fraîche et inonda son corps nu. Puis elle s'enveloppa dans un peignoir et peigna ses cheveux emmêlés de brindilles.