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– J'ai réfléchi, ma mère, je crois qu'il faut que je m'embarque sur cette AUTRE mer, vous savez ?... Il y a une autre mer que la Méditerranée. J'ai appris cela chez les Jésuites. C'est l'Océan occidental qu'on appelle Atlantique parce qu'il s'étend sur l'ancien continent de l'Atlantide qui, un jour, s'est écroulé, permettant la rencontre des eaux du nord et du sud. Les Arabes l'appelaient la mer des Ténèbres mais maintenant l'on sait qu'elle mène aux Indes Occidentales. Peut-être que là-bas...

– Florimond, dit-elle, à bout, je t'en prie, nous parlerons de cela plus tard, mais maintenant laisse-moi, sinon... sinon je crois que je vais être obligée de te flanquer une paire de gifles.

Le garçonnet, d'un air maussade, s'en alla en tirant la porte brusquement.

Angélique, quelques instants, ne sut ce qu'elle ferait pour éviter d'éclater en sanglots ; elle finit par ouvrir un tiroir et en sortit la lettre du Roi, cette lettre qu'elle n'avait pas voulu lire.

« ... Mon inoubliable, n'écoutez plus les folies de votre cœur. Revenez vers moi, Angélique. Dans l'extrême détresse où vous vous trouviez, vous m'avez mandé votre pardon par l'intermédiaire du Révérend Père Valombreuze. Je voudrais, pour en éprouver la sincérité, l'entendre prononcer par vos lèvres. Vous êtes si redoutable, belle Angélique. Tant de forces dorment en vous qui sont les ennemies des miennes. Viendrez-vous poser vos deux mains dans mes mains. Un roi seul, voilà ce que je suis, et qui vous attend. Tous les pouvoirs vous seront remis et je ne laisserai quiconque vous porter ombrage. Vous n'aurez rien à craindre. Car je sais que vous pouvez être une franche amie comme une franche ennemie... »

Il continuait ainsi et elle était sensible à ce qu'il ne cherchait pas à la leurrer et à l'attirer sournoisement dans un piège. Il lui disait :

« Vous serez ma maîtresse, et pour vous seule je mesure aujourd'hui tout ce que ce mot veut dire. J'ai confiance en votre loyauté, faites confiance à la mienne... Parlez-moi, je vous écouterai. Obéissez, je vous obéirai... »

Elle ferma les yeux, lasse et vaincue. Elle avait bien agi en cédant. Demain, l'injustice serait combattue. Elle s'y emploierait de toutes ses forces...

Florimond, dans la grande allée, errait, sa fronde à la main, essayant d'atteindre les écureuils. Angélique eut pitié de lui et elle descendit pour le réconforter. Elle allait lui parler du Roi, faire miroiter à ses yeux les titres qu'on lui rendrait et les charges qu'elle lui obtiendrait.

Mais, quand elle parvint dans les jardins, Florimond avait disparu. Elle n'aperçut que Charles-Henri qui était près de l'étang et qui regardait les cygnes. Son habit de satin blanc était aussi éclatant que les plumes des beaux oiseaux et sa chevelure aussi brillante et blonde que la retombée du saule, au-dessus de sa tête.

Quelque chose dans l'attitude des trois cygnes en attente devant la rive inquiéta Angélique. On sait que ces bêtes sont très mauvaises et qu'elles peuvent entraîner un enfant dans l'eau pour le noyer. Elle s'approcha vivement et le prit par la main.

– Ne reste pas si près de l'eau, mon chéri. Les cygnes sont méchants.

– Ils sont méchants ? demanda-t-il en levant sur elle ses yeux d'azur. Ils sont pourtant si beaux, si blancs...

Sa main ronde dans la sienne était douce et confiante. Il marchait à petits pas près d'elle en continuant à la regarder. Elle avait toujours cru qu'il ressemblait seulement à Philippe, mais c'était Gontran qui avait raison. Dans la frimousse rose levée vers elle, elle reconnaissait quelque chose qui lui rappelait Cantor, une moue, une courbe du menton qui avait marqué certains des enfants de Sancé : Josselin, Gontran, Denis, Madelon, Jean-Marie...

« Mais toi aussi, tu es mon fils, songea-t-elle, toi aussi, cher petit garçon. »

Elle s'assit sur un des bancs de marbre et le prit sur ses genoux. Tout en caressant ses cheveux, elle commença à lui demander s'il était sage, s'il avait joué avec Florimond et s'il savait déjà monter sur un âne.

Il répondit : « Oui, ma mère. Oui, ma mère », d'une voix émue et flûtée.

Était-il sot ? Non, sans doute. Son regard ombré de cils touffus avait l'expression énigmatique et non dénuée de mélancolie de son père. N'était-il pas comme l'avait été Philippe : un petit seigneur solitaire dans la demeure dont il devait hériter un jour. Elle le serra contre elle. Elle pensait à Cantor qu'elle avait si peu câliné et qui maintenant était mort. La vie passait dans les intrigues violentes des adultes, et elle n'avait même plus le temps d'être une bonne mère ! Jadis, elle avait joué avec Florimond et Cantor, quand ils étaient pauvres encore, dans la petite maison des Francs-Bourgeois. Mais, depuis, elle avait souvent écarté Charles-Henri, et c'était mal car elle ne pouvait renier l'amour que lui avait inspiré Philippe. Un autre amour que celui voué par elle à son premier époux, mais amour quand même où s'étaient mêlés l'épanouissement d'un rêve adolescent, l'ivresse d'une conquête difficile et comme une attache fraternelle née des liens de leur enfance et de leur province.

Elle prit dans le creux de sa paume la joue ronde et l'embrassa, doucement, à plusieurs reprises.

– Je t'aime bien, mon petit, tu sais...

Il ne bougeait pas plus qu'un oiseau captif. Un sourire émerveillé entrouvrait ses lèvres sur ses petites dents blanches.

Florimond reparut entre les arbres et s'approcha de leur groupe en sautant à cloche-pied.

– Savez-vous, fils, ce que nous ferons demain, dit Angélique. Nous nous habillerons avec nos plus vieilles hardes de braconnier et nous irons tous les trois au bois pour pêcher l'écrevisse.

– Bravo ! Bravissimo ! Evviva la mamma ! cria Florimond auquel Flipot apprenait l'italien.

Chapitre 14

Ce fut une journée merveilleuse où parurent s'abolir les amertumes du présent et les menaces de l'avenir. La forêt referma sur eux le calme doré de ses ramures. Le soleil l'habitait, reflété par !a rousseur des chênes, la pourpre des hêtres, le cuivre en gerbe des châtaigniers. Les châtaignes tombaient sur la mousse, cosse éclatée montrant la luisance parfaite et sombre du fruit. Charles-Henri s'exclamait devant cette abondance, il en remplissait les poches de sa petite culotte de drap rose. Que dirait Barbe ?... Malgré les recommandations d'Angélique, elle l'avait vêtu comme pour une promenade aux Tuileries. Au début, il regarda avec inquiétude son bel habit que maculaient des taches verdâtres. Puis, voyant qu'Angélique n'en avait cure, il s'enhardit à essayer de grimper sur les souches : un paradis s'ouvrait devant lui et c’était par les mains de sa mère ! Il avait toujours su qu'en elle résidait le bonheur total, et c'est pourquoi, si longtemps, le soir, il contemplait son portrait.

Flipot et l'abbé de Lesdiguière les avaient accompagnés. Angélique éprouvait quelque fierté à se sentir observée par Florimond et ces jeunes gens, à deviner leur admiration de plus en plus respectueuse, à mesure qu'elle les guidait à travers les sentiers quasi invisibles et leur révélait les secrets des ruisseaux. C'était pour eux, qui l'avaient connue à la Cour, un aspect tellement inusité de sa personnalité qu'ils ne savaient trop qu'en penser. Ils se piquèrent vite au jeu, gagnés par la fièvre de la pêche et pataugèrent avec ardeur dans les trous d'eau, guettant, allongés sur la mousse, la lente approche des écrevisses vers les paniers immergés, garnis de charognes. Florimond était un peu vexé de ne pas réussir à les attraper à la main comme le fit Angélique à plusieurs reprises. Elle rit devant sa mine déconfite et son cœur se dilata de joie à la pensée qu'elle regagnait l'estime de Florimond.

En traversant une clairière, ils rencontrèrent la sorcière Mélusine. La vieille cueillait des champignons, fouillant de ses doigts crochus le sol. Lentement, les feuilles d'un hêtre rouge descendaient autour d'elle, entraînées par le vent en une danse presque rituelle, honorant l'esprit maléfique de la forêt qu'incarnait cette forme noire et bossue auréolée de cheveux blancs, plus éclatants que la neige.