Ils nourrissaient une grande admiration pour les hommes de science. On ne peut en aucun cas imaginer qu'ils auraient tué un savant comme Leonardo Vetra.
Le regard de Kohler se fit glacial.
— Peut-être ai-je oublié de préciser que Leonardo Vetra était tout sauf un savant ordinaire.
Langdon expira patiemment.
— Monsieur Kohler, je suis sûr que Vetra était un homme très au-dessus de la moyenne, mais il n'en reste pas moins...
Sans prévenir, le directeur du CERN fit faire demi-tour à son fauteuil et quitta la pièce en laissant derrière lui un sillage de vapeurs tournoyantes. Il disparut dans le couloir.
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— Pour l'amour de Dieu! gémit Langdon en le suivant à contrecœur.
Kohler l'attendait dans une petite alcôve au bout du couloir.
— Voici le bureau de Leonardo, fit-il en désignant une cloison mobile. Peut-être qu'après y avoir jeté un coup d'œil, vous aurez un point de vue différent sur la question.
Avec un étrange grognement, Kohler se souleva, appuya sur un bouton et la cloison coulissa sur elle-même.
Lorsque Langdon découvrit le bureau, il sentit un frisson le traverser. Sainte Mère de Dieu! se dit-il.
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Loin de là, dans un autre pays, un jeune homme en uniforme scrutait une imposante console de moniteurs vidéo. Il détaillait les images qui se succédaient devant lui, instantanés live des centaines de sites de l'immense complexe placés sous la surveillance de caméras vidéo sans fil. Les images se succédaient interminablement.
Un couloir aux belles proportions...
Un bureau privé...
Une cuisine immense...
En regardant défiler ces images, le garde luttait contre la tentation de décrocher. Il approchait de la fin de son service et pourtant sa vigilance était restée identique. Cette place était un honneur et un jour il recevrait la récompense suprême...
Tandis qu'il se laissait aller à ses pensées, une image déclencha un signal d'alarme intérieur. Brusquement, avec un geste d'une promptitude qui l'impressionna lui-même, sa main se catapulta vers un bouton du pupitre de commande. L'image se figea soudain sur l'écran. Les nerfs à fleur de peau, il se pencha vers l'écran pour l'examiner de près. Le sous-titre indiquait que l'image était retransmise depuis la caméra numéro 86; une caméra qui, en principe, surveillait un couloir.
Mais l'image qu'il avait sous les yeux n'était certainement pas celle d'un couloir.
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Langdon jeta un regard effaré sur le bureau.
— Où suis-je?
Malgré la bouffée d'air tiède bienvenue sur son visage, il hésita un instant avant de franchir le seuil de la pièce.
Kohler le suivit en silence.
Langdon balaya la pièce du regard sans avoir la moindre idée de ce qu'il devait penser du spectacle qui s'offrait à lui: le plus étonnant mélange d'objets qu'il ait jamais vu. Sur le mur le plus éloigné, dominant le décor, un énorme crucifix espagnol en bois - XIVe siècle, jugea Langdon. Au-dessus, accroché au plafond, un mobile métallique de la galaxie avec ses planètes. À
gauche, une peinture à l'huile représentant la Vierge Marie et, derrière, un tableau périodique des éléments. Sur le mur de droite, deux autres crucifix en bronze étaient suspendus de part et d'autre d'une affiche d'Albert Einstein légendée de sa célèbre remarque: « Dieu ne joue pas aux dés avec l'univers. »
Langdon fit quelques pas, de plus en plus étonné par ce qu'il découvrait. Sur le bureau de Vetra, une Bible reliée de cuir était posée derrière la reproduction en plastique d'un atome et une réplique miniature du Moïse de Michel-Ange.
Quel éclectisme! songea Langdon. Malgré la réconfortante chaleur de l'endroit, quelque chose, dans ce décor, le fit frissonner à plusieurs reprises. Comme s'il assistait au choc de deux titans de l'histoire, à l'empoignade obscure de deux terribles forces. Il examina quelques livres sur une étagère: Dieu dans l'atome, Le Tao de la physique, Dieu: la preuve.
L'un des deux serre-livres en bois s'ornait d'une citation gravée:
« Derrière chacune des portes qu'elle ouvre, c'est Dieu que la véritable science trouve. »
Pie XII
— Leonardo était un prêtre catholique, commenta Kohler.
Langdon fit volte-face.
— Un prêtre? Mais vous m'aviez dit qu'il était physicien?
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— Il était les deux. Les hommes qui tentent d'allier science et religion ne sont pas si rares dans l'histoire. Leonardo était de ceux-là. Il considérait la physique comme la « loi naturelle de Dieu ». Il expliquait que la signature de Dieu était visible dans l'ordre naturel qui nous entoure. À travers la science, il espérait prouver l'existence de Dieu aux masses sceptiques. Il se considérait lui-même comme un théo-physicien.
Un théo-physicien? Une contradiction dans les termes pour Langdon, du moins jusque-là.
— Récemment, on a fait quelques découvertes perturbantes en physique des particules, des découvertes aux implications spirituelles importantes. Leonardo y avait pris une très grande part. Langdon, toujours en proie à son étrange sentiment sur l'endroit, scruta le visage de Kohler. La religion et la physique?
L'Américain avait passé sa carrière à étudier l'histoire religieuse et, s'il y avait un thème récurrent, c'était bien celui de l'incompatibilité de ces deux modes de pensée: telles l'eau et l'huile, ceux-ci ne se mélangeaient jamais, c'étaient deux adversaires irréductibles.
— Vetra poursuivait des recherches extrêmement pointues à la frontière de la physique des particules et de la religion. Il avait commencé à les intégrer l'une à l'autre, de façon très inattendue, il entendait démontrer leur complémentarité. Il appelait son champ de recherche la Nouvelle Physique.
Kohler prit un livre sur l'étagère et le tendit à Langdon qui en examina la couverture. Dieu, les miracles et la nouvelle physique, par Leonardo Vetra.
— Un domaine encore étroit, fit Kohler, mais qui apporte des réponses neuves à de vieilles questions - des questions sur l'origine de l'univers et des forces auxquel es nous sommes tous soumis.
Leonardo pensait que sa recherche pourrait permettre de convertir des millions de gens à une existence empreinte d'une plus grande spiritualité. L'an dernier, il a formellement établi l'existence d'une énergie, une force physique qui relie tous les hommes entre eux. Les molécules de votre corps seraient connectées aux miennes et une force unique nous animerait tous.
Langdon était déconcerté.
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— Vetra aurait trouvé un moyen de démontrer que toutes les particules sont reliées entre elles?
— Il présentait des preuves incontestables. Un article récent de Scientific American faisait l'éloge de l'ouvrage de Vetra en soulignant qu'il constituait un plus sûr chemin vers Dieu que la religion elle-même.
Kohler marquait un point. Langdon repensa soudain à l'opposition véhémente des Illuminati à toute religion. Il s'autorisa à spéculer quelques instants sur l'impossible. Si les Illuminati étaient vraiment toujours actifs, auraient-ils supprimé Leonardo Vetra pour l'empêcher de transmettre son message religieux aux masses? Langdon chassa cette pensée de son esprit. Absurde! Les Illuminati appartiennent à l'histoire ancienne! Tous les historiens le savent!
— Vetra comptait beaucoup d'ennemis dans le monde de la science, poursuivit Kohler. Les « puristes » étaient nombreux à le mépriser. Même ici, au CERN. Pour eux, mettre la physique analytique au service de la religion et de ses dogmes revenait à trahir la science.