Выбрать главу

Kohler était écarlate.

— Toujours cette arrogance de la science américaine! Hubble a publié ses travaux en 1929, deux ans après Lemaître.

Langdon se renfrogna. Et le télescope de Hubble alors? On n'a jamais entendu parler du télescope de Lemaître!

— M. Kohler a raison, dit Vittoria, la théorie est l'œuvre de Lemaître. Hubble n'a fait que la confirmer en apportant la preuve que le big-bang était scientifiquement probable.

– 76 –

— Ah! fit Langdon en se demandant si les fanas de Hubble du département d'astronomie de Harvard avaient jamais mentionné Lemaître dans leurs cours.

— Quand Lemaître a énoncé pour la première fois la théorie du big-bang, poursuivit Vittoria, les scientifiques l'ont jugée parfaitement aberrante. La matière, selon la science, ne peut être créée à partir de rien. Donc, quand Hubble a démontré scientifiquement que le big-bang reflétait fidèlement les faits, l'Église a crié victoire, brandissant cette nouvelle comme la preuve de l'exactitude scientifique de la Bible. La vérité divine, en quelque sorte.

Langdon acquiesça, totalement concentré.

— Bien sûr, les savants n'appréciaient guère que la religion se serve de leurs découvertes pour faire sa promotion, si bien qu'ils ont aussitôt mathématisé le big-bang pour lui ôter toute connotation religieuse et lui apposer leur estampille exclusive.

Malheureusement pour la science, tous leurs raisonnements sont entachés d'une sérieuse faille que l'Église ne se prive pas de souligner.

Kohler marmonna sèchement:

— La singularité.

Il avait articulé le mot comme si la « singularité » était une croix qu'il portait depuis toujours.

— Oui, la singularité, approuva Vittoria. Le moment exact de la création, le degré zéro du temps. Elle regarda Langdon.

« Aujourd'hui encore, la science reste incapable de saisir le moment initial de la création. Nos équations parviennent à saisir assez adéquatement les premiers moments de l'Univers, mais, à mesure que l'on régresse dans le temps et que nous approchons de l'instant zéro, nos modèles mathématiques se désintègrent et plus rien ne fait sens. »

— Exact, approuva nerveusement Kohler, et pour l'Église cette faille constitue une preuve de l'intervention divine. Venez-en au fait. Vittoria se raidit.

— Au fait? Mon père a toujours fermement cru que l'intervention divine était à l'origine du big-bang. Et même si la

– 77 –

science était incapable de comprendre l'aspect divin de la création, il était persuadé qu'un jour elle finirait bien par y parvenir.

Elle montra tristement un bristol punaisé au-dessus du bureau de son père sur lequel était imprimé en caractères gras SCIENCE ET RELIGION NE S'OPPOSENT PAS

LA SCIENCE EST ENCORE TROP JEUNE POUR

COMPRENDRE

— Mon père désirait élever la science à un niveau encore inconnu d'elle, où elle aurait englobé le concept de Dieu.

Elle passa une main dans sa longue chevelure, l'air soudain mélancolique.

« Il avait entrepris une recherche qu'aucun scientifique n'avait encore imaginée. Une expérience pour laquelle on n'avait jamais maîtrisé la technologie nécessaire. »

Elle s'arrêta, comme si elle hésitait sur les termes à utiliser.

« Il avait mis au point un protocole expérimental pour prouver la possibilité de la Genèse. »

Prouver la Genèse? se demanda Langdon. Que la lumière soit? De la matière à partir de rien?

« Mon père avait réussi à créer un monde. . à partir du néant. »

Kohler sursauta violemment.

— Quoi?

— Plus précisément il avait recréé le big-bang en laboratoire.

Kohler se dressa sur ses avant-bras comme s'il allait se lever.

Langdon semblait complètement perdu.

— Créer un univers? Recréer le big-bang?

— À une échel e extrêmement réduite bien entendu, reprit Vittoria qui s'animait en parlant. Le processus était remarquablement simple. Il a accéléré deux faisceaux de particules ultra-fins dans des directions opposées, dans le tube accélérateur. Les deux faisceaux sont entrés en collision à des vitesses énormes faisant fusionner leurs énergies en un point extrêmement concentré. Il est parvenu à obtenir une densité d'énergie extraordinaire.

Elle énuméra une série de chiffres et de termes techniques et Kohler écarquilla un peu plus les yeux.

– 78 –

Langdon essayait de suivre. Ainsi, Leonardo Vetra était parvenu à recréer ce point d'énergie extrêmement concentré d'où est censé avoir surgi l'Univers...

— Le résultat, poursuivit Vittoria, fut absolument inouï. Quand nous le publierons, il fera vaciller toute la physique moderne sur ses bases.

Elle parlait lentement, maintenant, comme si elle savourait l'énormité de la nouvelle.

« À ce stade d'énergie hautement concentrée, surgissant de nulle part, des particules de matière sont apparues dans le tube. »

Kohler la regardait intensément, les yeux écarquillés.

« De la matière, répéta Vittoria. Surgie du néant. Un extraordinaire feu d'artifice de particules subatomiques.

L'éclosion d'un univers miniature. Mon père a prouvé non seulement que l'on peut créer de la matière à partir de rien, mais que le big-bang et la Genèse peuvent s'expliquer en supposant simplement la présence d'une énorme source d'énergie. »

— Vous voulez dire Dieu? demanda Kohler.

— Dieu, Bouddha, la Force ultime, Jehovah, le point d'unicité, quel que soit le nom qu'on lui donne, le résultat est le même. La science et la religion sont en fait d'accord sur un postulat: l'énergie pure est la matrice de la création.

Quand Kohler reprit la parole, sa voix était sombre.

— Vittoria, j'en ai la tête qui tourne. Vous êtes en train de me dire que votre père a créé de la matière.. à partir de rien?

— Oui.

Vittoria désigna les conteneurs.

« Et en voici la preuve. Dans ces conteneurs se trouvent quelques échantillons de la matière qu'il a créée. »

Kohler toussa et dirigea son fauteuil vers les conteneurs comme un animal méfiant qui tourne autour de quelque chose qu'il craint.

— Quelque chose a dû m'échapper, de toute évidence, commença-t-il. Comment imaginez-vous qu'un scientifique va admettre que ces conteneurs contiennent des particules de matière que votre père a réellement créées? Ce pourrait être des particules venues de n'importe où...

– 79 –

— Justement pas, rétorqua Vittoria sur un ton confiant. Ces particules sont uniques. Il s'agit d'un type de matière qui n'existe nulle part ailleurs, du moins sur notre planète. Il faut donc bien qu'elles aient été créées!

L'expression de Kohler s'assombrit.

— Vittoria, que voulez-vous dire avec votre « type de matière

» ? Il n'existe qu'un seul type de matière et. . Kohler s'arrêta net.

Vittoria triomphait.

— Vous avez vous-même donné des conférences sur ce thème, monsieur le directeur. L'univers est constitué de deux types de matière, c'est un fait scientifiquement établi.

Vittoria se tourna vers Langdon.

« Monsieur Langdon, que dit la Bible à propos de la création? »

Langdon, interloqué, se demandait où voulait en venir la jeune femme.

— Mmm. . Dieu a créé la Lumière et les Ténèbres, le Ciel et la Terre...

— Exactement, reprit Vittoria. Il a tout créé par couple d'opposés. La symétrie, l'équilibre parfait. Elle se tourna vers Kohler.

« Et la science est arrivée à la même conclusion que la religion: que le big-bang a tout créé dans l'univers par couples d'opposés. »

— Y compris la matière, murmura Kohler, comme pour lui-même.

Vittoria acquiesça.