Âgé d'environ quarante ans, Langdon, qui n'était pas beau au sens classique du terme, était le type même de l'universitaire à la mâle distinction qui, selon ses collègues du sexe féminin, plaît tant aux femmes. Avec ses tempes argentées qui rehaussaient une belle chevelure encore brune, son impressionnante voix de basse et le large sourire insouciant d'un grand sportif, Langdon avait gardé le corps du nageur de compétition qu'il avait été à l'université. Et il veillait à maintenir en forme son mètre quatre-vingts longiligne et musclé en s'imposant chaque matin cinquante longueurs dans la piscine du campus.
Ses amis l'avaient toujours considéré comme une énigme.
Tour à tour moderne et nostalgique, il semblait changer de peau à volonté. Le week-end, on pouvait le voir se prélasser sur une pelouse, discutant conception assistée par ordinateur ou histoire religieuse avec des étudiants; parfois, on l'apercevait en veste de tweed sur un gilet à motifs cachemire dans les pages d'un magazine d'art ou à la soirée d'ouverture d'un musée où on lui avait demandé de prononcer une conférence.
Ce grand amoureux des symboles était sans aucun doute un professeur qui ne faisait pas de cadeaux et exigeait une stricte discipline de ses élèves, mais Langdon était aussi le premier à pratiquer « l'art oublié du bon rire franc et massif », selon sa bizarre expression, dont il vantait les mérites. Il adorait les récréations et les imposait avec un fanatisme contagieux qui lui avait valu une popularité sans mélange auprès de ses étudiants.
Son surnom sur le campus, le « Dauphin », en disait long sur son caractère bon enfant mais aussi sur sa capacité légendaire de multiplier les feintes pour tromper l'équipe adverse, lors des matchs de water-polo.
Soudain, le silence du grand salon fut de nouveau troublé, cette fois par une sorte de cliquetis que le quadragénaire à demi assoupi ne reconnut pas tout de suite. Trop fatigué pour s'emporter, Langdon esquissa un sourire las: le cinglé de tout à l'heure ne
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s'avouait pas vaincu. Ah, ces fous de Dieu! Deux mille ans qu'ils attendent le Messie et ils y croient plus que jamais!
Les sourcils froncés, il rapporta son bol vide à la cuisine et gagna à pas lents son bureau lambrissé de chêne. Le fax qui venait d'arriver luisait faiblement sur le plateau. En poussant un soupir, il s'empara de la feuille et l'approcha de ses yeux.
Aussitôt, il fut pris de nausées.
C'était la photo d'un cadavre. On l'avait entièrement dénudé et on lui avait tordu le cou jusqu'à ce que sa tête regarde derrière lui.
Sur la poitrine de la victime une terrible brûlure renforçait l'atrocité de ce meurtre. L'homme avait été marqué au fer rouge, on avait gravé un mot, un seul mot dans sa chair. Un terme que Langdon connaissait bien. Très bien. Ses yeux restaient rivés, incrédules, sur les étranges caractères gothiques:
— Illuminati, balbutia Langdon, le cœur battant à tout rompre. Ce n'est quand même pas...
D'un mouvement lent, appréhendant ce qu'il allait découvrir, il fit pivoter le fax à 180 degrés. Lut le mot à l'envers. Il en eut le souffle coupé — à peu près comme s'il venait de se prendre un coup de poing en pleine poitrine.
Illuminati, répéta-t-il dans un murmure.
Abasourdi, Langdon s'affala dans une chaise. Il resta pétrifié, sous le coup de la commotion qu'il venait de recevoir. Peu à peu, ses yeux furent attirés par le clignotement du voyant rouge sur son fax. Celui qui lui avait envoyé ce fax morbide était au bout du fil. . et attendait de lui parler. Langdon resta longtemps sans bouger, à fixer ce petit clignotant redoutable.
Puis, en tremblant, il décrocha le combiné.
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— M'accorderez-vous votre attention, à présent? fit la voix de l'homme quand Langdon prit enfin la ligne.
— En effet, monsieur, vous avez toute mon attention. Peut-
être pourriez-vous m'expliquer...
— J'ai essayé de le faire tout à l'heure... (La voix était rigide et mécanique.) Je suis physicien et je dirige un laboratoire de recherche. Il y a eu un meurtre chez nous. Vous avez vu le corps.
— Comment m'avez-vous trouvé?
Langdon peinait à rassembler ses esprits tant le fax l'avait impressionné.
— Je vous l'ai déjà dit, sur Internet, le site de votre livre, L'Art des Illuminati.
Le livre de Langdon, dont l'audience publique avait été des plus confidentielles, avait pourtant suscité un certain mouvement d'intérêt sur la Toile. Mais ses coordonnées n'y figuraient pas...
— Cette page ne comporte pas le moindre numéro de téléphone, autant que je me souvienne.
— J'ai des collègues qui savent très bien extraire des informations cachées à partir d'un site comme celui-là.
Langdon était sceptique.
— Pour des physiciens, vous semblez en savoir long sur le Web...
— Pas très étonnant, rétorqua l'homme, c'est nous qui l'avons inventé!
Quelque chose dans la voix de son interlocuteur suggéra à Langdon qu'il ne plaisantait pas.
— Je dois absolument vous rencontrer, insista le mystérieux inconnu. La question dont je dois vous entretenir ne peut être traitée par téléphone. Mon labo ne se trouve qu'à une heure d'avion de Boston.
Langdon, debout dans la pénombre de son bureau, analysait le fax qu'il tenait à la main. Cette image stupéfiante représentait peut-être la découverte épigraphique du siècle et elle confirmait dix années de recherches personnelles.
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— C'est urgent, insista la voix.
Les yeux de Langdon restaient rivés sur l'étrange marque.
Illuminati. Il ne cessait de relire ce mot. Son travail avait toujours été fondé sur des documents venus du lointain passé, mais l'image qu'il avait sous les yeux était d'actualité. Au présent. Langdon se faisait l'effet d'un paléontologue se trouvant nez à nez avec un dinosaure vivant.
— J'ai pris la liberté d'envoyer un avion vous chercher, fit la voix. Il sera à Boston dans vingt minutes.
Une heure d'avion. . Langdon sentit sa bouche s'assécher.
— Pardonnez mon audace, mais j'ai vraiment besoin de vous ici, fit la voix.
Langdon regarda encore le fax — une légende venue de la nuit des temps qui se matérialisait comme par enchantement. En noir et blanc. Dont les conséquences pouvaient être effrayantes. . Il jeta un regard absent par la baie vitrée. Les premières lueurs de l'aube s'insinuaient entre les branches des bouleaux de son jardin, mais le paysage respirait un je ne sais quoi de différent, ce matin.
Envahi par une étrange combinaison d'appréhension et d'euphorie, Langdon sut qu'il n'avait pas le choix.
— Vous avez gagné, répondit-il enfin. Dites-moi où je dois prendre cet avion.
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À des milliers de kilomètres de là deux hommes se retrouvaient. Dans une pièce sombre, moyenâgeuse, tout en pierre.
— Benvenuto, fit le chef. (Assis dans un recoin obscur, il était invisible.) Vous avez réussi?
— Si, perfettamente, rétorqua la silhouette sombre, d'une voix aussi dure que les murs.
— Et il n'y aura aucun doute sur le responsable?
— Aucun.
— Superbe. Avez-vous ce que j'ai demandé?
Les yeux du tueur, noirs comme du jais, brillèrent d'une lueur mauvaise. Il fit apparaître un lourd appareil électronique qu'il posa sur la table. Son interlocuteur parut satisfait.
— Je suis content de vous.
— Servir la fraternité est un honneur, répondit le tueur.
— La phase deux va commencer. Allez vous reposer. Ce soir, nous allons changer le monde.