—... changement, de la transition.
Langdon sourit.
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— J'oubliais que je parlais à une scientifique.
— Alors vous me dites que le Grand Sceau américain est un appel à l'illumination, à une mutation par la révélation?
— On pourrait aussi l'appeler un Nouvel Ordre mondial.
Vittoria sembla impressionnée par cette démonstration. Elle examina de nouveau le billet. Les mots, sous la pyramide: Novus... Ordo...
— Novus Ordo Seclorum, fit Langdon. Cela signifie « nouvel ordre séculier ».
— Séculier, c'est-à-dire non religieux, n'est-ce pas?
— En effet, c'est bien le sens de ce mot. La formule ne définit pas seulement l'objectif des Illuminati, mais elle contredit aussi de manière flagrante la formule qui est placée dessous: In God We Trust, « Nous croyons en Dieu ».
Vittoria semblait troublée.
— Mais comment tous ces symboles ont-ils pu se retrouver sur l'une des plus puissantes devises du monde?
— La plupart des spécialistes pensent que nous le devons au vice-président Henry Wallace. C'était un des hauts responsables de la franc-maçonnerie et il était sans doute lié aux Illuminati.
Était-il membre de la secte ou était-il innocemment tombé sous leur influence? Nul ne le sait. Toujours est-il que c'est Wallace qui a persuadé le Président de faire imprimer cette étrange composition.
— Mais comment? Comment le président des États-Unis a-t-il pu accepter...
— Le Président en question était Franklin D. Roosevelt.
Wallace lui a simplement dit « Novus Ordo Seclorum signifie New Deal » (« nouveau pacte social »).
— Et Roosevelt n'a demandé à personne d'autre de vérifier ce symbole avant de le faire imprimer? demanda Vittoria, sceptique.
— Pas nécessaire. Wallace et lui s'entendaient comme les doigts de la main.
— Comment ça?
— Vérifiez dans une bonne bio de Roosevelt. Il était notoirement franc-maçon.
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32
Langdon retint sa respiration tandis que le X-33 descendait en spirale vers l'Aéroport international Leonardo da Vinci. Vittoria était assise en face de lui, les yeux fermés comme si elle tentait de reprendre le contrôle de la situation. L'avion atterrit et roula vers un hangar.
— Désolé d'avoir lambiné en route, déclara le pilote en émergeant du cockpit. J'ai dû retenir le fauve à cause des lois contre les nuisances sonores au-dessus des zones à forte densité de population.
Langdon jeta un coup d'œil à sa montre. Le vol avait duré en tout et pour tout trente-sept minutes.
Le pilote fit basculer la porte extérieure.
— Est-ce que je peux savoir ce qui se passe?
Le silence de Vittoria et Langdon était assez éloquent.
« Très bien, reprit-il en s'étirant. Je vais rester dans le cockpit avec la clim. et ma musique. »
En sortant du hangar ils furent éblouis par la lumière rasante de la fin d'après-midi. Langdon portait sa veste de tweed sur l'épaule. Vittoria tourna son visage vers le ciel et inspira profondément comme si les rayons du soleil devaient lui instiller une mystérieuse énergie.
Ah ces Méditerranéennes! s'amusa intérieurement Langdon, déjà en nage.
— Vous n'avez plus vraiment l'âge des dessins animés, vous ne croyez pas? s'enquit Vittoria sans ouvrir les yeux.
— Je vous demande pardon?
— Votre montre. Je la regardais dans l'avion.
Langdon s'empourpra légèrement. Il avait l'habitude qu'on le chambre sur sa montre Mickey. Un véritable objet de collection, maintenant. Un cadeau de ses parents. Depuis qu'il était tout gosse c'était la seule montre qu'il ait jamais portée. Cela ne l'empêchait pas de s'interroger de temps à autre sur le bon goût de ce personnage qui se contorsionnait, les bras pointés vers les heures et les minutes. Étanche et phosphorescente, elle était parfaite pour enchaîner des
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longueurs de bassin ou pour traverser, tard le soir, un campus plongé dans l'obscurité. Quand les étudiants de Langdon le questionnaient sur cet étrange objet-fétiche, il leur expliquait que Mickey lui rappelait chaque jour qu'il fallait garder un cœur jeune.
— Il est 18 heures, dit-il.
Vittoria acquiesça, les yeux toujours fermés.
— Je crois que notre chauffeur est là.
Langdon perçut le vrombissement lointain, leva les yeux et sentit son estomac se nouer. Venant du nord, volant à basse altitude, un hélicoptère approchait. Langdon avait gardé un mauvais souvenir de son dernier voyage en hélicoptère. Il s'était rendu dans la vallée de la Palpa, au Pérou, pour examiner des fresques Nazca. Une guimbarde tout juste bonne pour la casse... Après une matinée passée dans différents engins volants, l'universitaire avait espéré que le Vatican enverrait une voiture.
Espoir déçu.
L'hélico ralentit, s'immobilisa en l'air quelques instants et plongea vers la piste d'atterrissage juste devant eux. Les portes arboraient les armes de la papauté: deux clés se croisant sur un écusson, surmontées de la tiare pontificale. Il connaissait bien ce symbole. C'était celui du gouvernement du Saint-Siège, littéralement le trône sacré de saint Pierre.
— Et maintenant le saint-hélico. ., ronchonna Langdon en regardant l'appareil se poser.
Il avait oublié que les dignitaires du Vatican avaient modernisé leurs moyens de transport et que le pape ne se déplaçait plus qu'en hélicoptère, que ce soit pour se rendre à l'aéroport ou à sa résidence d'été de Castelgandolfo. Langdon aurait de loin préféré une limousine.
Le pilote sauta du cockpit et traversa le tarmac à leur rencontre.
À présent, c'était Vittoria qui paraissait mal à l'aise.
— C'est ça notre pilote?
Langdon partageait sa perplexité.
— Voler ou ne pas voler, telle est la question...
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Car le pilote avait tout d'un personnage de Shakespeare, avec sa tunique bouffante et moirée à rayures verticales bleu rouge et or, sans oublier la culotte, les bas et les mocassins noirs limite ballerine. Plus le béret en feutre noir.
— C'est l'uniforme traditionnel des gardes suisses, expliqua Langdon. Dessiné par Michel-Ange en personne.
Comme le pilote arrivait à portée de voix, Langdon baissa le ton: « Il faut bien reconnaître que ce n'est pas son chef-d’œuvre... »
Malgré l'attirail pittoresque du pilote, Langdon comprit tout de suite qu'il avait affaire à un pro rigoureux. Il s'avança vers eux avec toute la raideur et la dignité d'un marine américain. Langdon avait souvent entendu parler des conditions très strictes qui présidaient à l'embauche de ce corps d'élite: les candidats, de sexe masculin, devaient provenir d'un des quatre cantons suisses de confession catholique, avoir entre dix-neuf et trente ans, mesurer au moins un mètre soixante-quatorze, avoir effectué leur service militaire et être célibataires.
— Vous êtes envoyés par le CERN? demanda le garde d'une voix métallique.
— Oui monsieur, répondit Langdon.
— Vous avez fait très très vite, reprit l'homme en jetant un regard médusé au X-33.
Il se tourna vers Vittoria.
« Avez-vous apporté une autre tenue, madame? »
— Je vous demande pardon?
L'homme désigna ses jambes.
— Les shorts ne sont pas autorisés dans la Cité du Vatican.
Langdon fronça les sourcils et jeta un regard contrarié sur Vittoria. Il avait oublié — au Vatican, ni les hommes, ni les femmes ne doivent montrer leurs jambes au-dessus du genou. Par respect pour la chaste Cité de Dieu.