– 136 –
pontificale. Juste derrière la basilique, un éden interdit aux simples mortels. À droite, le Palais du Tribunal, la splendide résidence papale avec laquelle seul Versailles pouvait rivaliser. Le sévère édifice du Gouvernement qui abritait la curie romaine se trouvait maintenant derrière eux, tandis qu'un peu plus loin sur la gauche, ils apercevaient l'édifice massif des Musées du Vatican. Langdon savait qu'il n'aurait pas une seconde à consacrer à sa visite...
— Où sont-ils tous passés? demanda Vittoria en scrutant pelouses et allées désertes.
Le pilote jeta un coup d'œil à sa montre-chrono au look militaire, quelque peu anachronique sous sa manche bouffante.
— Les cardinaux sont réunis dans la chapelle Sixtine, le conclave commence dans un peu moins d'une heure.
Langdon acquiesça, se rappelant vaguement que les cardinaux consacraient ces deux dernières heures avant le conclave en réflexions et en discussions avec leurs pairs du monde entier. Ce moment, employé à renouer des liens souvent très anciens, devait garantir une atmosphère des plus sereines au scrutin.
— Et les autres résidents, les employés, que deviennent-ils?
— Ils sont bannis du Vatican jusqu'à la fin du conclave pour raisons de sécurité et de confidentialité.
— Et quand le conclave se termine-t-il?
Le garde haussa les épaules.
— Dieu seul le sait.
La pertinence de ces paroles résonna de façon curieuse.
Après avoir garé la voiturette sur la grande pelouse qui s'étendait à l'arrière de la basilique, le garde suisse, suivi de ses deux hôtes, gagna une place dallée de marbre à l'arrière de la basilique. Ils longèrent le mur, traversèrent une petite cour triangulaire, puis la Via Belvedere. Puis ils suivirent une série d'immeubles étroitement serrés les uns contre les autres.
Langdon comprenait assez l'italien pour déchiffrer les écriteaux: typographie vaticane, laboratoire de restauration des tapisseries, bureau des postes vaticanes, église Sainte-Anne... Ils traversèrent une autre petite place et arrivèrent enfin à destination.
La caserne de la Garde suisse est située dans l'immeuble adjacent au Corpo di Vigilanza, au nord-est de la basilique. Deux
– 137 –
gardes étaient postés de part et d'autre de l'entrée, immobiles comme des statues.
Dans son for intérieur, Langdon se dit qu'ils n'avaient rien de folklorique. Malgré leur uniforme bleu et or, ils portaient tous deux la traditionnelle hallebarde de deux mètres quarante, à la pointe affûtée comme un rasoir. Une arme qui, dit-on, avait servi plus d'une fois, durant les croisades du XVe siècle, à décapiter des hordes de musulmans.
À l'approche de Langdon et Vittoria, les deux gardes avancèrent d'un pas, hallebardes croisées, pour bloquer l'entrée. L'un d'eux se tourna vers le pilote embarrassé:
— Le short..., commença-t-il en indiquant Vittoria.
Le pilote eut un geste de refus agacé.
— Le commandant veut les voir sur-le-champ!
Fronçant les sourcils, les gardes s'écartèrent à contrecœur.
Dans l'immeuble, l'air était frais. Rien à voir avec le style anonyme d'une administration policière ordinaire. Partout des meubles, des dorures, des tableaux de maîtres que n'importe quel musée du monde aurait été heureux d'accrocher dans sa galerie principale.
Le pilote indiqua un escalier qui descendait.
— Par ici, s'il vous plaît.
Langdon et Vittoria suivirent la balustrade de marbre blanc ornée de statues d'hommes nus au sexe masqué par une feuille de vigne d'un ton plus clair.
La Grande Castration, songea Langdon.
L'une des pires mutilations infligées à l'art de la Renaissance: en 1857, le pape Pie IX avait décrété que la représentation d'organes sexuels masculins pouvait inciter à la luxure. Armé d'un burin et d'un maillet, il avait donc entrepris de faire disparaître tous les sexes masculins visibles dans l'enceinte du Vatican. Des dizaines de statues avaient été soumises à son implacable vindicte. Et, pour masquer les dégâts, on avait apposé sur les émasculés des feuilles de vigne en plâtre. Langdon s'était parfois demandé s'il y avait une grande armoire dans laquelle on conservait tous les pénis arrachés...
— C'est ici! annonça le garde.
– 138 –
Arrivés au bas des marches, ils avancèrent jusqu'à une lourde porte d'acier. Le garde composa un code sur un petit clavier mural et la porte s'ouvrit. Le spectacle que Langdon et Vittoria découvrirent alors défiait l'imagination.
– 139 –
36
Ils se trouvaient dans le Commandement de la Garde suisse pontificale.
Langdon, immobile sur le pas de la porte, contemplait un incroyable télescopage de siècles. La salle était une magnifique bibliothèque Renaissance, ornée de rayonnages en marqueterie, de tapis orientaux et d'admirables tapisseries. Pourtant, au beau milieu de ce décor somptueux, se trouvaient rassemblés les derniers équipements de communication high-tech: consoles vidéo, télécopieuses dernier cri, cartes électroniques de la Cité du Vatican et moniteurs branchés sur CNN. Les employés, tous vêtus de l'uniforme bigarré mais coiffés de casques audio futuristes, étaient occupés à pianoter frénétiquement sur leur clavier d'ordinateur ou à dialoguer avec d'invisibles interlocuteurs.
— Attendez ici, enjoignit le garde.
Il se dirigea vers un athlète d'une impressionnante stature, revêtu d'un uniforme bleu foncé qui parlait sur son téléphone mobile. Il se tenait si droit qu'il penchait presque vers l'arrière.
Le garde lui murmura quelque chose et le géant jeta un regard vers Langdon et Vittoria. Il acquiesça puis leur tourna le dos et reprit sa conversation téléphonique.
Le garde revint vers eux.
— Le commandant Olivetti va vous recevoir dans un instant.
— Merci.
L'Américain examina le commandant Olivetti et songea qu'il s'agissait en fait du commandant en chef des forces armées d'un pays à part entière. Vittoria et Langdon attendirent, observant le spectacle qui se déroulait sous leurs yeux. Des gardes en grande tenue hurlaient des ordres en italien:
Continuate a cercare! ordonnait l'un.
Avete controllato nei musei? demandait un autre.
Nul besoin de parler couramment l'italien pour comprendre que tous ces hommes cherchaient fébrilement quelque chose.
– 140 –
C'était une bonne nouvelle; la mauvaise, c'était qu'ils n'avaient de toute évidence pas encore trouvé l'antimatière.
— Ça va? demanda Langdon à Vittoria.
Elle haussa les épaules et esquissa un sourire las.
Olivetti raccrocha enfin et s'avança vers eux. Il paraissait encore plus imposant de près. Très grand lui-même, Langdon n'avait guère l'habitude d'être toisé par plus haut que lui. Mais le commandant Olivetti était de ceux qui prennent d'emblée l'avantage sur leurs semblables. Un visage hâlé, des mâchoires volontaires, des cheveux bruns en brosse, la physionomie de cet homme en disait long sur son caractère et le lot de tempêtes qu'il avait dû affronter. Son regard respirait une détermination inébranlable, fruit de nombreuses années d'entraînement et d'expériences accumulées. Il avançait avec une exactitude toute militaire. Avec son oreillette il évoquait plus un membre du Secret Service américain qu'un garde suisse.
Olivetti s'adressa à ses hôtes en anglais. Pour un si grand homme, il était doué d'une voix étrangement peu sonore, quasi inaudible, avec une pointe d'efficacité, de raideur militaire.
— Bonjour, je suis le commandant Olivetti, commandant de la Garde suisse, commença-t-il avec un fort accent. C'est moi qui ai appelé votre directeur.
Vittoria leva les yeux vers lui.
— Merci d'avoir accepté de nous recevoir, monsieur Olivetti.