Seigneur, songea Langdon, ils ont une taupe au Vatican!
L'infiltration était une vieille stratégie de pouvoir des Illuminati, ce n'était pas un secret. Ils avaient infiltré la franc-maçonnerie, les grandes banques internationales, les syndicats et les gouvernements. Churchill avait même confié un jour à des journalistes que, s'il y avait eu autant de hauts fonctionnaires nazis à la solde des Anglais qu'il y avait d'Illuminati sur les bancs du parlement britannique, la guerre n'aurait pas duré un mois.
Un bluff cousu de fil blanc, votre influence est loin de peser aussi lourd que vous le prétendez, rétorqua Olivetti.
— Et pourquoi ça? À cause de la vigilance de vos gardes suisses? Parce qu'ils surveil ent si soigneusement les moindres recoins de votre petit univers idyllique? Mais les gardes suisses eux-mêmes? Ce sont des hommes, après tout, non? Vous croyez vraiment qu'ils veulent miser leur vie sur cette fable d'un type qui marche sur l'eau? Demandez-vous comment j'aurais réussi à faire entrer le conteneur dans le Vatican sans leur aide! Ou comment j'aurais pu faire disparaître quatre de vos plus précieux trésors.
— Des trésors? Que voulez-vous dire?
— Un, deux, trois, quatre. Ils n'ont pas l'air de beaucoup vous manquer pour l'instant.
— Mais enfin de quoi...
Olivetti s'était arrêté net, les yeux écarquillés, comme s'il venait de prendre un coup de poing dans le ventre.
— Vous saisissez, on dirait. . Dois-je vous lire leurs noms?
— De quoi parle-t-il? demanda le camerlingue éberlué.
Le mystérieux interlocuteur s'esclaffa.
— Je vois que votre officier de sécurité n'a pas daigné vous informer! Cela ne m'étonne pas, il est si vaniteux... Et puis j'imagine le déshonneur qu'il éprouverait en vous annonçant la nouvelle: la disparition, cet après-midi, de quatre cardinaux qu'il avait fait serment de protéger...
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Olivetti sortit de ses gonds.
— Comment avez-vous obtenu cette information?
— Camerlingue, demandez donc à votre commandante, si tous les cardinaux se trouvent dans la chapelle Sixtine?
Le camerlingue se tourna vers Olivetti, l'interrogeant silencieusement de ses yeux verts.
— Mon père, lui chuchota-t-il à l'oreille, c'est vrai, quatre cardinaux ne se sont pas encore présentés à la Sixtine, mais il n'y a aucune raison de s'alarmer. Tous ont été pointés à la résidence ce matin, nous sommes certains qu'ils sont tous en sûreté dans le Vatican. Vous avez d'ailleurs vous-même pris le thé avec eux il y a quelques heures. Ils sont simplement en retard pour les discussions préliminaires. Nous les cherchons mais je suis sûr qu'ils ont oublié l'heure et qu'ils doivent être en train de discuter quelque part.
— De discuter quelque part? Alors qu'ils auraient dû se présenter il y a déjà une heure à la Chapelle?
Langdon jeta un regard de surprise à Vittoria. Des cardinaux qui manquent à l'appel? Alors c'était donc des cardinaux qu'ils cherchaient tout à l'heure!
— J'ai la liste sous les yeux, reprit le messager. Il y a le cardinal Lamassé, de Paris, le cardinal Guidera, de Barcelone, le cardinal Ebner, de Francfort...
Olivetti semblait rapetisser à mesure que l'inconnu égrenait ces noms.
Le messager fit une pause comme s'il prenait un plaisir tout particulier à articuler le dernier nom.
—... Et le cardinal Baggia, d'Italie.
Le camerlingue, défait, se tassa dans son fauteuil.
— Je ne peux pas le croire, murmura-t-il. Les cardinaux les plus éminents... Baggia, le successeur pressenti du souverain pontife. Comment est-ce possible?
Langdon en savait assez sur les élections papales modernes pour comprendre l'expression de désespoir qui assombrissait le visage du camerlingue. Si, d'un point de vue technique, tout cardinal âgé de moins de quatre-vingts ans pouvait accéder au trône pontifical, seul quelques-uns disposaient du prestige nécessaire pour rassembler la majorité des deux tiers dans un
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Sacré Collège très divisé. Et les quatre cardinaux qui avaient le plus de chances d'être élus avaient tous disparu.
Le visage du camerlingue ruisselait de sueur.
— Que comptez-vous faire de ces hommes?
— D'après vous? Je suis un descendant des Assassins!
Langdon frissonna. Il connaissait bien ce nom.
L'Église s'était fait quelques ennemis redoutables au cours des siècles, dont les Templiers ou encore les Assassins, des guerriers qu'elle avait trahis ou même pourchassés après les avoir manipulés.
— Libérez les cardinaux! demanda le camerlingue. La destruction de la Cité de Dieu n'est-elle pas une menace suffisante?
— Oubliez vos quatre cardinaux, vous ne les reverrez pas.
Mais croyez-moi, des millions de gens se souviendront de leur mort. N'est-ce pas le rêve de tout martyr? Je ferai des stars médiatiques de vos cardinaux. Vous allez voir, ils crèveront l'écran. Et, à minuit, les Illuminati capteront l'attention générale. Pourquoi changer le monde, si le monde ne regarde pas? Les exécutions publiques nous inspirent une horreur... contagieuse, n'est-ce pas? Vous l'avez démontré il y a longtemps avec l'Inquisition, le châtiment des Templiers, les Croisades.
Il s'interrompit.
« ... Et bien sûr la purga. »
Le camerlingue resta silencieux.
« Vous ne vous souvenez pas de la purga? insista son interlocuteur. Bien sûr que non, vous êtes un enfant. Les prêtres sont d'ailleurs de médiocres historiens. Éprouveraient-ils de la honte à l'évocation de certains épisodes de leur histoire? »
Langdon commenta machinalement, à mi-voix:
— La purga.. 1668. L'Église marque au fer quatre Illuminati du symbole de la croix. Pour « purger » leurs péchés.
— Qui parle? demanda le messager, d'un ton qui trahissait surtout de la curiosité. Qui d'autre est là?
Langdon n'en menait pas large.
— Mon nom n'a pas d'importance, dit-il en essayant d'empêcher sa voix de trembler.
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Parler à un Illuminatus vivant était quelque peu perturbant... Un peu comme de parler à George Washington.
« Je suis un universitaire qui a étudié l'histoire de votre confrérie. »
— Magnifique! répondit la voix. Je suis ravi qu'il y ait quelques hommes qui se souviennent des crimes perpétrés contre nous.
— La plupart de mes collègues pensent que vous appartenez au passé.
— Une erreur que la confrérie a travaillé dur pour propager.
Que savez-vous d'autre à propos de la purga?
Langdon hésita. Ce que je sais d'autre? Que toute cette situation est abracadabrante, voilà ce que je sais! se disait-il.
— Après le marquage au fer rouge, les scientifiques furent exécutés et leurs cadavres jetés dans des lieux publics de Rome pour dissuader d'autres scientifiques de suivre leur exemple.
— Exact. Et nous avons l'intention de faire la même chose ce soir. Quid pro Quo. Œil pour œil. Vous n'aurez qu'à considérer cet acte comme une compensation symbolique du massacre de nos frères. Vos quatre cardinaux vont mourir, au rythme d'un par heure, à partir de 20 heures. A minuit, le monde entier assistera à l'apothéose.
Langdon s'approcha du téléphone.
— Vous avez vraiment l'intention de marquer et de tuer ces quatre hommes?
— L'histoire se répète, non? Bien sûr, nous serons plus élégants, plus audacieux aussi que ne le fut l'Église catholique. Nos frères ont été tués en cachette et leurs cadavres jetés aux chiens sans que personne assiste à cet édifiant spectacle. Une attitude peu courageuse.