— Vous sembliez sceptique, reprit Kohler. Et je crois savoir que vous êtes un spécialiste des symboles religieux. Vous ne croyez pas aux miracles?
— C'est une question que je n'ai pas encore tranchée, répondit Langdon. Surtout concernant ceux qui se produisent dans des labos scientifiques.
— Peut-être « miracle » n'est-il pas le mot juste. J'essayais simplement de parler votre langue.
Ma langue? Langdon se sentit subitement mal à l'aise.
— Je ne veux pas vous décevoir, cher monsieur, mais je suis un spécialiste en symbologie, pas un prêtre.
Kohler ralentit brusquement et se tourna vers Langdon. Son regard s'était quelque peu adouci.
— Bien sûr, pardonnez mon simplisme. On n'a pas besoin d'être cancéreux pour analyser les symptômes de ce mal.
Langdon fut un tantinet surpris par cette façon inédite de formuler le problème. Kohler actionna le levier de mise en route de son fauteuil et acquiesça, satisfait:
— Je sens que nous al ons très bien nous entendre, vous et moi, monsieur Langdon.
Son invité était nettement plus circonspect à ce sujet.
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Alors qu'ils continuaient d'avancer, Langdon commença à entendre un grondement au-dessus de leurs têtes. La rumeur, qui se réverbérait sur les murs, se fit de plus en plus bruyante; elle semblait provenir de l'extrémité du couloir.
— Qu'est-ce que c'est que ça? demanda Langdon, obligé de hurler pour se faire entendre.
— Une tour d'impesanteur, répliqua Kohler, de sa voix naturellement grave et sonore.
Langdon dut se contenter de cette explication. Il ne la sollicita d'ailleurs pas, il était épuisé et l'attitude de son hôte ne l'y encourageait guère. Langdon se rappela pourquoi il se trouvait là. Les Illuminati. Il supposa que quelque part dans ce gigantesque complexe devait reposer un cadavre... marqué au fer rouge d'un symbole pour lequel il venait de parcourir plus de dix mille kilomètres.
Au bout du couloir, le vrombissement devint presque assourdissant, Langdon sentait le sol vibrer sous ses pieds. En tournant le coin, il découvrit une galerie circulaire percée de quatre épaisses dalles de verre incurvées, semblables à des hublots de sous-marin. Langdon s'arrêta et jeta un coup d'œil à travers l'une de ces fenêtres. Le professeur Robert Langdon avait assisté à d'étranges spectacles au cours de sa vie, mais celui-là était bien le plus insolite. Dans une énorme chambre circulaire flottaient des hommes en état d'apesanteur. Ils étaient trois. L'un d'eux fit une cabriole tout en lui adressant un petit signe de la main.
Mon Dieu, songea Langdon éberlué, je suis chez les dingues!
Le sol de cette chambre était constitué d'une grille d'acier à travers laquelle on distinguait une hélice tournoyant.
— La tour d'impesanteur, fit Kohler, s'arrêtant à son tour pour l'attendre. Chute libre en chambre, excellent pour soulager le stress. C'est une soufflerie aérodynamique verticale.
Langdon regardait toujours, frappé de stupeur. L'un des trois
« ludions », une femme obèse, s'approcha de la fenêtre. Elle était ballottée par les courants d'air mais souriait de toutes ses dents et releva ses deux pouces en regardant Langdon qui lui répondit par un sourire timide. Il lui rendit son geste en se
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demandant si elle savait que ce geste avait symbolisé, dans des cultures fort anciennes, la virilité masculine.
La grosse dame, remarqua Langdon, était la seule à être équipée d'un parachute miniature. La petite coupole de tissus ondulait au-dessus d'elle comme un jouet.
— À quoi sert ce petit parachute? interrogea-t-il.
— Il augmente le coefficient de résistance à l'air, donc la mobilité ascensionnelle. Ce mètre carré de tissu suffit à ralentir la chute d'un adulte moyen de presque vingt pour cent.
Langdon acquiesça machinalement.
Il était loin de se douter que le soir même, à des centaines de kilomètres de là, cette information allait lui sauver la vie.
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8
Quand Kohler et Langdon sortirent sous un soleil radieux à l'arrière du grand bâtiment du CERN, Langdon eut presque l'impression d'avoir été transporté sur le campus de Harvard.
Une magnifique pelouse lustrée, sillonnée d'allées irrégulières et bordée de bosquets d'érables, moutonnait entre les dortoirs en briques brunes rectangulaires. Des individus, ressemblant traits pour traits à des étudiants ou à des professeurs, entraient et sortaient des bâtiments, des piles de livres dans les bras. Comme pour accentuer cette atmosphère universitaire, deux hippies aux cheveux longs jouaient au frisbee au son de la Q uatrième Symphonie de Mahler qui s'échappait d'une fenêtre ouverte.
— Ce sont les dortoirs résidentiels, expliqua Kohler tout en accélérant son fauteuil roulant sur l'allée qui menait vers les bâtiments. Nous avons plus de trois mille physiciens ici. Le CERN
emploie à lui seul plus de la moitié des spécialistes mondiaux de la physique des particules, japonais, allemands, français, italiens...
d'où qu'ils viennent. Nous conjuguons les talents de plus de cinq cents universités et soixante nationalités.
— Comment communiquent-ils?
— En anglais, bien sûr, la langue universelle de la science.
Langdon avait toujours entendu dire que les
mathématiques étaient le langage scientifique universel, mais il était trop fatigué pour argumenter. Il descendit en silence l'allée du parc dans le sillage de Kohler.
À mi-chemin, ils croisèrent un jeune jogger vêtu d'un T-shirt VIVE LA TGU!
Langdon le suivit du regard, sidéré.
— La TGU?
— La Théorie Générale Unifiée, coassa Kohler. La théorie globale.
— Je vois, fit Langdon, qui ne voyait rien du tout.
— Vous connaissez un peu la physique des particules?
Langdon haussa les épaules.
— J'ai quelques notions de physique générale, la chute des corps, ce genre de choses...
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Il s'imaginait avec délices en train de plonger dans sa piscine préférée.
— La physique des particules s'intéresse essentiellement aux atomes, n'est-ce pas?
Kohler secoua la tête.
— Non, les atomes sont des planètes, comparés aux particules dont nous nous occupons, c'est-à-dire du noyau des atomes, dont la taille leur est dix mille fois inférieure.
Le vieil homme toussa encore une fois, d'une toux caverneuse assez inquiétante.
—... Les hommes et les femmes du CERN sont ici pour trouver des réponses aux questions que l'homme se pose depuis le début de l'histoire. Elles n'ont pas changé. D'où venons-nous, de quoi sommes-nous faits?
— Et c'est dans un labo de physique que l'on trouve ces réponses?
— Vous semblez surpris.
— En effet, je considérais jusqu'ici ces questions comme spirituelles.
— Monsieur Langdon, toutes les questions relevaient autrefois du spirituel. Depuis le commencement des temps, la religion et la spiritualité ont été sommées de remplir les lacunes de la science. Le lever et le coucher du soleil étaient jadis attribués à Hélios et à son char de feu. Les tremblements de terre et les raz de marée exprimaient la colère de Poséidon. La science a démontré que ces dieux étaient de fausses idoles. Elle a fourni des réponses à presque toutes les questions que l'homme peut se poser.
Les questions qui restent sans réponse sont les plus complexes: d'où venons-nous? Que faisons-nous ici? Quel est le sens de la vie et de l'univers?
Langdon était abasourdi.
— Et le CERN prétend résoudre ces problèmes?
— Non, le CERN est en train de les résoudre.
Langdon garda le silence; les deux hommes longeaient un bâtiment résidentiel lorsqu'un frisbee atterrit juste devant eux.