Pascal Robillard disparut au pas de course et réapparut deux minutes plus tard, armé d’une grosse masse et d’une vieille hache. Bellanger prit l’outil tranchant et se mit à entailler le bois avec hargne, tandis que, une fois sur deux, Robillard abattait la masse avec tout autant de force. Malgré la puissance des coups, la porte résistait. Les deux hommes furent vite essoufflés et en nage. Ils allaient en venir à bout, mais en combien de temps ?
Lucie et Jacques finirent par les rejoindre.
— Alors ? demanda-t-elle.
— On ne sait pas…
Levallois partit se poster devant l’une des fenêtres après avoir écarté légèrement l’un des volets, tandis que giclaient les morceaux de bois de la porte blindée. Bellanger dut reprendre plusieurs fois son souffle. Ils échangèrent leurs outils et œuvrèrent encore un bon quart d’heure avant d’en venir enfin à bout. Il n’était pas loin de 17 h 30.
— Allez-y, fit Levallois depuis son poste d’observation. Je veille discrètement à l’entrée, au cas où Charon arriverait. (Il hocha la tête, les lèvres pincées.) Remontez avec elle, vous me ferez plaisir.
Nicolas se fraya un passage au centre de la porte défoncée et appuya sur un interrupteur neuf. Il y eut des grésillements, puis la lumière jaillit d’un néon, dévoilant une volée de marches très propres, peintes en blanc. Le capitaine de police s’engagea le premier, talonné par Pascal et Lucie. Des odeurs de produits médicaux montèrent. Les cœurs battaient fort dans les poitrines, le stress poussait les officiers de police judiciaire à serrer les crosses de leurs armes.
Ils pénétrèrent dans une pièce rectangulaire intégralement peinte en blanc, au milieu de laquelle trônait une table en acier avec des rigoles de chaque côté, comme dans les instituts médico-légaux. Le sol était d’une propreté immaculée.
En face, de petites tablettes sur roulettes étaient chargées de gants chirurgicaux, de seringues, de kits de transfusion sanguine, de canules, de produit comme de l’anesthésique ou du relaxant musculaire. Sur la gauche, entassées sous un lavabo, des housses noires vides et à fermeture Éclair, qu’on utilisait pour le transport des cadavres. Il y avait des gants tachés de sang dans une poubelle.
Ils étaient dans une Maison jaune version française. Un endroit où on prélevait des organes à des personnes bien vivantes qui avaient été kidnappées. Tout était encore propre, fonctionnel. Et, vu les odeurs, avait servi peu de temps auparavant.
Les flics s’enfoncèrent dans la pièce, mais leurs espoirs volèrent en éclats lorsqu’ils trouvèrent une paire de menottes ouverte, dont l’un des bracelets était fermé autour d’une canalisation. Il y avait du sang et de petits morceaux de peau sur le métal. Camille avait dû se débattre, hurler, essayer de s’échapper. Nicolas se pencha et ramassa, sur la gauche, une cigarette à moitié consumée. Il posa son index sur l’extrémité noirâtre.
— C’est pas vrai !
— Ne me dis pas que c’est encore chaud ? fit Lucie.
— Pas tout à fait froid. Charon a dû passer il n’y a pas longtemps. On n’a rien vu en route, bon sang !
Lucie se mit à aller et venir, les mains agrippant ses cheveux. Elle lorgna dans la poubelle, retourna les paires de gants usagés, tandis que Robillard fouillait chaque recoin, silencieux.
— Tout est sec, pas de sang frais, constata-t-elle. Il ne lui a pas prélevé ses organes ici, il l’a emmenée ailleurs.
Nicolas écrasa les poings sur l’un des murs.
— On y était presque !
Lucie aurait aimé crier un bon coup, mais elle essaya de garder son sang-froid.
— Quelles sont les options, à présent ? demanda-t-elle.
Nicolas ne l’écouta pas. Il composa un numéro de téléphone et se retrancha dans un coin. Lucie comprit qu’il parlait au juge. Le ton monta.
— Et merde ! s’écria-t-il en raccrochant.
Au bout du rouleau, il se tourna vers ses lieutenants.
— Appelez la Scientifique, les flics du coin, retournez au 36, faites ce que vous voulez. Je prends une voiture.
— Qu’est-ce que tu vas faire ? demanda Lucie avec inquiétude.
Il se dirigea vers la sortie en courant.
— Défoncer d’autres portes.
75
Il était plus de 19 heures, et Nicolas pria pour qu’il ne fût pas trop tard.
Il avait roulé comme un dingue, doublé avec imprudence, gyrophare et sirène allumés, manquant d’avoir plusieurs accidents.
L’agence de biomédecine se trouvait quasiment face au Stade de France, à La Plaine Saint-Denis. Un monstre de plusieurs étages au design épuré, aux grandes vitres fumées qui dégageait une impression de force et de modernité. Le chef d’orchestre de tout ce qui avait trait aux prélèvements et aux greffes d’organes, de tissus et de cellules. On y exerçait aussi des missions autour de la procréation, la génétique, les cellules souches humaines…
Le capitaine se présenta à l’accueil, carte de police devant lui. Il expliqua avoir quelques questions urgentes à poser au directeur du pôle prélèvement/greffe d’organes. L’hôtesse, qui était sur le départ, signifia qu’il était en congrès à l’étranger, mais qu’il pouvait rencontrer l’un des responsables des services associés : le pôle stratégie prélèvement/greffe, le pôle évolution/biostatistique, ou le pôle national de répartition des greffons. Nicolas choisit ce dernier, qui lui parlait davantage.
On lui indiqua un numéro de bureau, une direction à suivre — c’était un vrai dédale — et, cinq minutes plus tard, Armand Leclusier l’accueillit sans un sourire, mais poliment. C’était un grand gaillard d’une cinquantaine d’années. Il rentra dans son bureau, tira légèrement la chaise sur son passage pour la présenter au flic et s’installa dans son fauteuil en cuir.
— Je vous écoute, fit-il en le détaillant de haut en bas. Soyez bref s’il vous plaît, il est déjà tard.
Nicolas resta debout.
— Je vais l’être. Demain, dans la journée, vous ou votre directeur allez recevoir la requête d’un juge d’instruction pour l’obtention de données sur des patients qui se sont retirés de la liste d’attente des greffes. Nous disposons, de notre côté, d’une série de dates qui permettent de réduire la fenêtre de tir et de filtrer la liste. Bref, la comparaison peut se faire très rapidement. Je ne peux pas me permettre d’attendre les allers et retours de papiers officiels. Une vie est en danger, là, maintenant…
Leclusier fronça les sourcils.
— Qu’est-ce que vous êtes en train de me dire ?
— J’aimerais que vous jetiez un œil à votre système de gestion des greffes et que vous fassiez la requête tout de suite.
Le responsable secoua fermement la tête.
— Je suis désolé. Nous avons des règles d’éthique et de protection des données très strictes. Nous gérons des urgences tous les jours. Quelle que soit celle de votre affaire, je ne puis contourner les procédures légales. Vous ne devriez même pas être ici. Même si ces papiers arrivaient dans une heure, ils devraient suivre le processus de validation et…
— Des médecins enlèvent des gens en parfaite santé sur notre territoire pour voler leurs organes. Ils les enferment, les dépouillent sans doute vivants et font disparaître leurs corps. Ces organes partent forcément quelque part. Chez des gens qui se croient au-dessus des lois, se fichent de votre agence et de vos listes.
Leclusier marqua sa stupéfaction. Il regarda Bellanger comme s’il débarquait d’un autre monde.
— C’est totalement effroyable, ce que vous me racontez là. Des médecins, vous dites ?