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Il soupira, se tut. Nicolas l’incita à poursuivre en agitant son pistolet.

— Tout ce que j’avais à leur dire, c’était que je m’étais fait opérer en Inde, au Mexique, aux Philippines, n’importe où, sans entrer dans le détail. Évidemment, les médecins se doutent qu’il y a anguille sous roche, mais ils ne peuvent strictement rien faire. C’était aussi simple que ça. Le chirurgien, lui, me fournirait les faux papiers d’un hôpital étranger, avec toutes les caractéristiques du rein greffé pour faciliter les suites postopératoires. Le gros avantage par rapport à toutes les « offres » de tourisme médical qui traînaient sur le Net, c’était que j’allais être greffé en France.

Mercier se leva doucement et hocha le menton vers un bar.

— Vous permettez ?

Nicolas acquiesça. L’homme partit se servir un whisky. Il en but une généreuse gorgée.

— Bien sûr, je me suis posé la question de la provenance du rein, groupe très rare AB, histocompatible… J’ai demandé, on m’a répondu qu’il venait de l’étranger. Un homme. Que je ne le rencontrerais jamais.

Il fouilla dans un tiroir et tendit un papier à Nicolas.

— Voilà une petite annonce que j’ai trouvée, un jour, dans un journal turc, elle était en turc et en français. Il y a en des centaines de ce style-là, partout à travers le monde.

Le flic parcourut l’annonce :

Rein humain fonctionnel à vendre. Vous pouvez choisir n’importe lequel des deux. L’acheteur assumera tous les coûts médicaux et de transplantation. Évidemment, un seul rein est à vendre car j’ai besoin de l’autre pour survivre. Offres sérieuses seulement. Téléphone : …

— Et celle-là… Envoyée à Libération, il y a deux ans. Elle n’a pas été publiée telle quelle, mais elle a fait l’objet d’un article.

Jeune femme, trente-trois ans, soigneuse de son corps, en excellente santé mais dans le besoin, donne un rein contre un emploi à durée indéterminée et déclaré.

— Quand vous êtes dans ma situation, vous ne cherchez pas plus loin, fit Mercier. On vous propose de sortir de l’enfer alors vous en sortez, qu’elles que soient les conséquences pour… cet inconnu que vous ne rencontrerez jamais. Et si vous, vous ne le faites pas, quelqu’un d’autre prendra votre place.

Nicolas lui rendit le papier avec dégoût.

— Vous êtes autant fautif que quelqu’un qui assiste à un viol sans intervenir, annonça le capitaine de police d’une voix froide. Vous… vous achetez des morceaux d’être humain, vous vous rendez bien compte ? Vous vous octroyez le droit de prendre des vies pour rendre la vôtre meilleure. Vous allez payer pour ça.

Mercier restait immobile, incapable de répondre.

— Qui était cet homme qui vous a contacté ? demanda Bellanger. Son nom.

— Je l’ai toujours ignoré.

Le flic sut que Mercier ne mentait pas et ne put cacher sa déception. Il serra les lèvres. Son interlocuteur fit tourner son whisky dans son verre et regarda au travers.

— On a continué à communiquer par mail, puis il s’est mis en veilleuse, promettant qu’il me recontacterait très vite. Dix jours plus tard, il disposait d’un rein compatible. Il m’a demandé de prendre des affaires pour une semaine, on s’est donné rendez-vous sur une aire d’autoroute de l’A4. J’y ai garé ma voiture, un Trafic gris est venu me chercher. Il n’y avait pas de fenêtre à l’arrière, je n’ai pas pu voir le trajet. J’ai remis l’argent, on a roulé deux heures, je suis arrivé dans une belle propriété. On m’a installé dans une chambre et, le lendemain, je passais sur le billard…

— Un bloc opératoire se trouvait dans la propriété ?

— Oui, dans une des pièces de la maison. J’y suis resté en convalescence une semaine. Ces gens étaient aux petits soins avec moi. Et je suis reparti comme j’étais arrivé, en Trafic, avec des papiers et des ordonnances d’antirejets.

— Combien étaient ceux qui vont ont opéré ?

— Deux. Un vieux et un plus jeune. Tous les deux avaient un accent espagnol.

— Une idée du lieu ? Une direction ?

— L’A4 est l’autoroute de l’Est. Je pense qu’on a roulé dans cette direction pendant pas mal de temps, une heure ou deux. Puis il y a eu quelques routes sinueuses. La maison était en campagne, à cent ou deux cents kilomètres de Paris, probablement.

Le téléphone de Nicolas sonna de nouveau. Sharko insistait. Cette fois, il fit signe à Mercier de patienter et décrocha.

— Je suis occupé Franck. Je te rappelle dans…

— Je sais qui est Charon, fit la voix dans l’écouteur.

78

— Enzo Belgrano. Notre bébé volé en Espagne en 1970. On ne connaît pas grand-chose de lui. Fils d’un médecin militaire qui était haut gradé sous la dictature. Il a grandi dans un environnement de violence, avec un père qui pratiquait des interrogatoires, torturait, et qui lui a inculqué les valeurs de l’armée dès le plus jeune âge.

Sharko parlait au téléphone en conduisant. Il était sorti d’Arequito et fonçait vers Buenos Aires. Pas de signe de la Mustang dans les alentours. Il allait rouler non-stop pour passer par l’agence de location de voiture, déclarer un vol de véhicule — qui croupissait en vérité au fond des marais — et attraper l’avion pour Paris du lendemain matin, 6 heures.

Pressé de foutre le camp de ce pays maudit.

— Belgrano développe, à l’image de son père adoptif, un goût pour la médecine. On sait qu’il se spécialise dans la néphrologie et qu’il commence sa carrière très tôt dans un hôpital de Buenos Aires. Il est décrit comme froid, méthodique mais brillant. Gomez, le journaliste qui a enquêté sur lui et que j’ai rencontré, ignore comment s’est opéré le rapprochement avec Claudio Calderón, qui dirigeait à l’époque une clinique d’ophtalmologie à Corrientes, à sept cents bornes de là. Mais il a sa petite théorie : La Colonia est l’objet d’un trafic de cornées depuis la fin des années 70, son directeur a été nommé par la dictature. Le père de Belgrano était sans nul doute au courant du trafic, puisqu’il travaillait dans un centre de détention très proche de l’hôpital. C’est peut-être lui qui a orienté son fils vers Calderón, lorsqu’est venue l’idée d’étendre le trafic à la demande exponentielle de reins. Enzo Belgrano est arrivé à la clinique trois ans avant la fermeture de La Colonia.

Sharko jeta un œil sur le cliché issu d’un article de journal que lui avait remis Gomez. Enzo Belgrano était un grand brun aux yeux noirs, avec cette bouche droite et fine. Une copie légèrement déformée de Mickaël Florès. Un visage plus dessiné, plus étiré. Mais tout y était.

— Sa mère adoptive était française, poursuivit Sharko. Quand l’hôpital psychiatrique a fermé, Calderón et Belgrano ont quitté l’Argentine. On sait tout maintenant. Calderón est parti dans les pays de l’Est poursuivre ses sombres activités à la clinique Medicus notamment, tandis que Belgrano est sans doute venu en France pour y démarrer une nouvelle vie. Il faut savoir que les deux hommes ne font l’objet d’aucune poursuite en Argentine, ils ont quitté le pays en toute légalité, faute de preuves.

Nicolas était dans la rue Agar, au bas de l’immeuble de Mercier. Il avait enjoint l’homme de rester chez lui. Il ignorait ce que Mercier risquait précisément, d’un point de vue pénal, mais il était certain qu’il aurait de sérieux ennuis avec la justice.