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— Je viens d’interroger un individu qui a reçu une greffe de l’une des filles roms, expliqua Nicolas. Je pense que Calderón est aussi impliqué dans notre affaire, mais il est introuvable dans les fichiers. Pourtant, il y avait bien deux chirurgiens qui ont greffé le rein. Il est évident que Calderón et Belgrano ont reconstitué leur alliance maudite sur notre territoire.

Nicolas était arrivé à sa voiture. Il regarda sa montre : 21 heures.

— Il n’y a plus qu’à prier pour que Belgrano soit identifiable. Je vais vérifier de suite.

— Parfait. Nicolas… si tu obtiens une adresse… N’implique pas Lucie dans l’interpellation, d’accord ? Laisse-la tranquille avec mes fils. Je veux la retrouver en un seul morceau.

Bellanger serra les dents.

— Ne t’en fais pas pour ça. Je te laisse. On tient enfin ces salopards.

79

Enzo Belgrano payait ses impôts en France depuis 1999, comme un bon citoyen.

Devant l’urgence de la situation, le contact de Nicolas aux impôts avait consulté le fichier sans autorisation écrite et fourni toutes les informations nécessaires. Le néphrologue avait deux résidences : un appartement dans le premier arrondissement et une maison secondaire dans les Ardennes, pas loin de Charleville-Mézières. Il déclarait un revenu confortable d’environ cent cinquante mille euros en tant que patron de trois restaurants sur Paris plutôt hauts de gamme.

La restauration… Rien de mieux pour se planquer, ne pas attirer l’attention. Belgrano avait rebâti sa vie à son arrivée en France, avec, sans doute déjà, un bien sombre dessein en tête.

Nicolas fonçait sur l’autoroute A4, les doigts collés au volant, emporté par sa hargne. Il n’avait prévenu personne et ne répondait ni aux appels de Robillard, ni de son divisionnaire, ni de Lucie. Il allait payer pour ça, il le savait, mais les frontières étaient franchies depuis bien trop longtemps, de toute façon.

Malheureusement, il n’avait pu empêcher le temps de filer. Il était déjà 23 h 30, il restait une petite cinquantaine de kilomètres avant d’arriver à destination. Le capitaine de police hésita puis sortit le téléphone de Camille.

Il composa un numéro, on répondit à la troisième sonnerie.

— Calmette. C’est vous Camille ? Bon Dieu, vous…

— Pas tout à fait, le coupa Nicolas d’une voix chevrotante. Je suis capitaine de police, section criminelle de Paris.

Un temps.

— La police ? Que se passe-t-il ?

— Je ne peux pas vous expliquer pour le moment, docteur, mais j’ai une requête extrêmement importante. J’ai eu votre message sur le répondeur de Camille. Je vous demande de contacter l’agence de biomédecine. De faire tout votre possible pour obtenir un report d’une heure sur le cœur destiné à votre patiente. Qu’ils vous donnent jusqu’à 1 heure du matin. S’il vous plaît, faites-le.

Il y eut un silence au bout du fil.

— Je vais essayer, mais je ne vous garantis rien. Probable que, déjà, un autre patient attende ce cœur.

— Faites de votre mieux. Pour elle.

Il raccrocha et serra le téléphone dans sa main, réalisant que privilégier Camille revenait à léser un autre patient au bord du gouffre. Valait-il lui-même mieux que Mercier, finalement ? Préférer que Camille vive, au détriment d’un inconnu… Il accéléra encore, dépassant les cent soixante-dix kilomètres par heure. Il quitta l’autoroute et prit des voies moins larges, plus sinueuses. Ses phares mordaient l’asphalte, repoussaient la nuit, comme pour l’encourager à aller plus vite encore.

Une petite route sombre, à travers un bois. Le GPS indiquait la maison à trois cents mètres. Nicolas coupa les phares et ralentit. L’habitation était en retrait, protégée par un portail et un haut mur. Sous la lueur de la lune, elle ressemblait à un vieux manoir, avec sa puissante façade de pierre, son toit en pointe, la taille démesurée de ses fenêtres, et ce grand lierre qui en avait colonisé chaque recoin.

À l’intérieur, des lumières diffuses brillaient un peu partout.

Devant l’entrée, il y avait un Trafic, une Audi et une Mercedes.

Nicolas reçut un message de Calmette : L’agence me laisse deux heures supplémentaires. Dr Calmette.

Le flic le prit comme un vrai signe d’encouragement et observa le portail à bonne distance, protégé par deux caméras. Il se glissa le long d’un haut mur et l’escalada par l’arrière, s’aidant des branches d’un arbre à proximité. Quelques secondes plus tard, il atterrissait dans le jardin.

Il s’approcha de la porte d’entrée, elle était verrouillée. Il fit le tour, il n’y avait aucun moyen de pénétrer dans la maison sans faire de casse.

Merde.

Nicolas essayait de réfléchir à toute vitesse. Comment entrer ? Il observa l’Audi et fonça pour lui donner un coup d’épaule violent. Le système d’alarme du véhicule se mit à hurler, tandis que Nicolas se réfugiait à toute allure dans l’obscurité du jardin.

Il attendit. Au bout d’une vingtaine de secondes, il aperçut une silhouette à la fenêtre de l’étage. Deux bras sombres s’appuyèrent sur le montant, la silhouette se figea, semblant scruter les lieux. Puis elle disparut avant de réapparaître à la porte quelques instants plus tard.

Elle courut en direction de la voiture, dont l’alarme hurlait.

Nicolas en profita pour se glisser dans la maison.

Il n’avait vu qu’une fois le visage de Calderón sur une photo-impression en couleur, mais il le reconnut aussitôt lorsque ce dernier rentra et verrouilla derrière lui. L’Argentin était en tenue verte de chirurgien. Il monta à l’étage et disparut sur la gauche.

Nicolas attendit un peu et s’engagea à son tour sur les marches, le flingue braqué.

Il se retrouva dans un long couloir.

Des néons, des grésillements.

Une porte ouverte, plus loin. Il se plaqua contre la cloison, respira un bon coup et surgit, l’arme devant lui.

Une pièce médicalisée. Un homme en tenue bleue de patient semblait dormir paisiblement sur un lit. Face à lui, la télé allumée, de beaux cadres, une bibliothèque. Le souffle court, Nicolas se précipita et souleva le drap.

Son sang ne fit qu’un tour.

Une cicatrice, sur l’aine. L’homme avait été opéré du rein.

Camille !

Nicolas frotta son visage trempé de sueur du dos de la main, avant de réaliser que la cicatrice n’était qu’une trace de feutre.

Le corps avait juste été préparé pour l’opération.

La greffe n’avait pas encore eu lieu.

Nicolas crut qu’il allait s’évanouir. Il reprit son souffle et, au moment où il s’apprêtait à sortir, entendit un coup de feu.

Non !

Une terrible image lui traversa l’esprit, un instantané de douleur : Camille, la tête explosée. Il se précipita vers le fond, où une lumière crue filtrait sous une porte entrouverte.

Nicolas surgit, bras tendus, prêt à vider son chargeur.

Enzo Belgrano était au fond du bloc opératoire, masque vert chirurgical baissé sur sa poitrine. Il pointait le canon d’un revolver sur le crâne de Camille, nue, branchée à des appareils, couchée sur une table en acier. Les yeux de la jeune femme étaient grands ouverts. Elle vivait mais elle était incapable de remuer, sans doute anesthésiée localement. Son abdomen était jauni par la Bétadine. À l’électrocardiogramme, son cœur battait irrégulièrement. Parfois vite, parfois très lentement.