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Elle avait des marques de brûlures sur les bras, le torse. La Picana.

À ses pieds, Claudio Calderón gisait, le visage tourné vers le plafond, les yeux fixes. Il avait reçu une balle au milieu du front.

— Ne bougez pas d’un millimètre, fit Bellanger.

L’Argentin hocha le menton vers un petit écran, accroché dans un angle de la pièce.

— Je vous ai vu sur l’une des caméras, pendant que Calderón descendait couper l’alarme de sa voiture.

Il sonda le policier. Quelque chose de sinistre, d’indéfinissable, brillait dans ses iris noirs.

— Cette femme, c’est étrange, vous ne trouvez pas ? fit-il avec un calme déstabilisant. Qu’elle ait le cœur de Loiseau et qu’elle se retrouve sur cette table, prête à elle-même donner ses organes ? Mais regardez bien l’électrocardiogramme. Les sursauts, cette partition folle des battements cardiaques. Le cœur est en train de puiser dans ses dernières forces, comme une pile en fin de vie. C’est une question d’heures avant qu’il s’arrête, désormais. Je suis tout de même curieux. Comment êtes-vous remonté jusqu’ici ? Quelle piste avez-vous finalement exploitée ? Mickaël ? L’Argentine ? Loiseau ? La petite Camille m’a laissé sur ma faim, avec ses explications.

La jeune femme fixa Nicolas, les yeux remplis d’effroi. Elle semblait résignée, déjà morte. Une larme roula sur sa joue.

— Toutes, répliqua Nicolas. De petites pièces de puzzle qui, assemblées, dressent le tableau de ce que vous êtes. La pire des ordures. Vous avez commis des actes indescriptibles. Vous tuez depuis des années. Vous avez massacré votre propre frère jumeau de sang-froid.

Le visage de l’Argentin ne laissa transparaître aucun sentiment. Un véritable masque de cire.

— J’ai su très tôt que mon père n’était pas mon père : il ne pouvait pas avoir d’enfants. Mais il ne m’a jamais dit d’où je venais. Il n’y a pas si longtemps que ça, j’ai entendu parler de ce programme ADN en Espagne. J’ai tenté le coup, ça a fonctionné… Et devinez ma surprise quand, en plus de ma génitrice, j’ai découvert l’existence d’un frère.

Il s’accroupit, son visage se trouvait juste au niveau de celui de Camille. À quelques centimètres seulement. Le canon de l’arme se promenait sur sa joue.

— Je suis allé voir d’abord cette génitrice, une malheureuse qui faisait pitié, honte. Elle était à moitié tarée, cette chose ne… (son visage se tordit en une grimace effrayante) … pouvait pas être ma mère. Je ne pouvais pas avoir son sang.

Un silence. Il retrouva son ignoble sourire.

— Cette pauvre femme était là, avec son sécateur. Je lui ai expliqué certaines choses qui s’étaient passées en Argentine. Des petits détails croustillants. Je lui ai montré qui elle avait engendré. Je crois que je lui ai fait un peu peur.

Nicolas maintenait sa visée, la main gauche soutenant son bras droit.

— Et Mickaël ? Pourquoi ce massacre ?

— J’ai retrouvé où il habitait. Je suis entré chez lui alors qu’il n’était pas là, histoire de voir à qui j’avais affaire. Et devinez donc ma surprise quand je suis allé dans son laboratoire photo. Quand j’ai vu mon propre visage, celui de Loiseau, de Calderón, de Pradier sur l’un de ses murs ! Il avait tout découvert… Comment ? Comment il avait fait ? Je suis ressorti, je me suis mis en contact avec Calderón et Pradier. On a pris une décision, on a fait le ménage. Il fallait… tout effacer. Les photos, mes origines. Je me suis occupé de Mickaël personnellement. Je voulais qu’il parle, qu’il m’explique tout. Son obsession pour le trafic d’organes l’avait mené jusqu’à Calderón, puis, de fil en aiguille, à moi. Quand il a vu la ressemblance sur des articles de journaux, il a compris que nous étions liés. Le destin est tellement étrange, vous ne trouvez pas ?

— Et il n’a jamais rien dit à la police ? Il n’avait averti personne ?

— Il nous a traqués, suivis, il avait tout compris, mais ses obsessions étaient les plus fortes. Il voulait aller au bout de sa démarche, il lui manquait encore certaines pièces du puzzle. Quand je l’ai retrouvé, je l’ai vidé de son jus. Il est mort et je me suis débarrassé des photos.

— Mais vous en avez oublié certaines, cachées dans le patchwork des tirages. Celle de cet Argentin aveugle, notamment.

— Vous avez raison. Trop de… précipitation, de colère et d’euphorie, sans doute. On commet tous nos petites erreurs, n’est-ce pas ? (Il soupira.) Dans la foulée, on s’est débarrassé du « père ». C’est Pradier qui a voulu s’en charger. Il a toujours aimé ça. Tuer pour le goût du sang, trafiquer le corps humain, fouiller les ventres comme un mécanicien bidouille une voiture. C’est lui qui prenait les reins sur les filles, on le laissait faire. Soulever l’organe, le mettre dans son petit caisson réfrigéré. Vous auriez vu ses yeux à ce moment-là ! Loiseau n’était pas mal non plus. Un fou de tueurs en série, qui vouait des cultes à des types comme Pierre Foulon… Il a été facile à repérer, au Styx. C’est ainsi que notre petite équipe s’est constituée.

Il se fendit de son abominable sourire, se complaisant dans ses explications.

— Le trafic d’organes idéal est celui qui ne laisse aucune trace. La faiblesse, ce sont les gens qui disparaissent, puis les corps. C’est si difficile de se débarrasser d’un cadavre, vous êtes flic, vous le savez. Avec Pradier, on avait résolu le problème. Les marais de Torres recracheront un jour la vérité, mais peu importe. De l’eau et du sang auront coulé sous les ponts, d’ici là.

Nicolas fixait le doigt du chirurgien. Il reposait sur la queue de détente. La poitrine de Camille se soulevait fort. Elle était tétanisée.

— C’est terminé, Belgrano. D’autres policiers vont arriver d’un instant à l’autre. Lâchez votre arme.

— Vous croyez que j’ai peur de mourir ? (Il ricana.) Ma vie n’est pas importante. Ce qui compte, c’est mon travail. Cette petite graine que Calderón et moi, on a plantée dans la société. Lui en Belgique, et moi ici. On s’aidait mutuellement… (Il caressa les cheveux de Camille, les fit glisser entre ses mains gantées.) Quand Loiseau est mort, c’est Pradier qui l’a remplacé. On s’est rabattu sur des SDF, des prostituées. Parfois, on avait la chance de tomber sur un groupe sanguin rare… Mais quand ce n’était pas le cas… (Il serra les lèvres.) Rien ne se perd, en ce monde. Ces organes-là serviront, un jour…

— Un jour ? Où sont-ils, ces organes ? Vous ne pouvez rien en faire, ils ne peuvent pas se conserver.

— En êtes-vous bien sûr ? Vos équipes du 36 n’ont-elles pas découvert l’impensable il y a quelques mois, au fin fond de la Russie ?

D’un pas ferme, Nicolas s’approcha de Belgrano. C’étaient Sharko et Lucie qui avaient mené cette enquête éprouvante, secrète, au fin fond des pays de l’Est.

— Comment vous savez ? Quel lien avez-vous avec ça ?

— Vous le découvrirez peut-être un jour. Mais ces organes ne sont pas perdus, croyez-moi… Contaminer et pervertir, autant que nous le pouvons… C’est ainsi que nous sommes évalués.

— Évalués ? Par qui ?

— Calderón et moi, nous ne sommes que des éléments, des électrons qui transitent d’un cercle à l’autre, qui essaient de se rapprocher du noyau. Mais… les places sont chères, vous savez, pour rejoindre le cercle le plus profond, le plus enfoui sous la surface ? J’ai échoué, je n’ai pas pu accéder à la Chambre noire, mais d’autres y parviendront. Tous ceux qui passent à travers les mailles de vos filets. Ceux qui échappent à tous vos systèmes de surveillance.