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On frappa à la porte. Camille glissa la revue et sa boîte sous le lit et se redressa aussitôt.

— J’arrive !

Elle retourna en toute hâte devant le miroir de la salle de bains. Sale tête, mais on ne voyait plus trop qu’elle avait pleuré. Rapidement, elle remit en ordre ses courts cheveux bruns, ôta son maillot à bretelles taché de sang, dévoilant un torse bardé de cicatrices, comme si elle était passé au travers d’une série de vitres.

Il suffisait que ses collègues ou ses supérieurs découvrent ces blessures toutes fraîches pour qu’on la vire illico. On ne voulait pas de déséquilibrés ou de personnes psychiquement instables dans la gendarmerie.

— Une minute !

Elle resserra ses pansements, rangea les compresses inutilisées dans la pharmacie, à côté de ses boîtes de ciclosporine, enfila un maillot de corps, sa chemisette de fonction bleue, glissa ses pieds dans une paire de sandales et alla ouvrir.

C’était le lieutenant Boris Levak. Ils se firent la bise, elle le laissa entrer. Le colosse était trempé dans le dos et la nuque.

— On m’a dit que t’étais de retour, fit-il en la fixant dans les yeux, comme s’il cherchait à deviner son état de santé.

— Comme tu vois.

— T’es en sueur. Qu’est-ce qui ne va pas ?

— Rien, j’étais juste en train de faire un peu de rangement dans ma chambre. Quand est-ce qu’ils se décideront à nous installer la clim ?

— Quand il fera meilleur dans le Nord. Autrement dit, c’est pas demain la veille.

Elle lui proposa du thé. Boris s’installa sur le sofa, face à un ventilateur qui tournait à plein régime.

— Un truc frais, plutôt. Alors, ces examens finaux ?

— Rien de bien méchant, fit Camille depuis la cuisine ouverte sur le salon. Les résultats confirment juste que je suis un peu stressée.

— Seulement stressée, ou il y a autre chose ? T’es quand même tombée, aux trois quarts évanouie. Et quand je suis venu te voir à l’hôpital, t’avais pas vraiment bonne mine.

— Que veux-tu qu’il y ait d’autre ? Ce cœur dans ma poitrine cherche encore ses marques. J’ai peut-être voulu aller plus vite que la musique en faisant comme si de rien n’était. Mais les vacances arrivent, et ça va me faire du bien.

Ses yeux se troublèrent face au réfrigérateur ouvert. Camille songea soudain à ses parents. Elle avait décidé de ne pas leur annoncer la triste nouvelle. À quoi bon ? Ils avaient assez donné, subi, calquant leur rythme de vie sur celui d’une enfant malade, contractant même des crédits pour offrir à leur fille une existence « supportable ». Elle ne pourrait jamais leur rendre la pareille.

Elle remplit deux verres de jus de fruits et vint s’installer à côté de son collègue. Sa plaie la tirailla lorsqu’elle s’assit, mais elle cacha parfaitement sa douleur. Depuis toute petite, elle avait appris à masquer ses émotions. À ne laisser transparaître que cette façade de fille solide.

Brindille vint se faufiler entre les mollets de Boris. Le gendarme la caressa affectueusement.

— Merci de t’être occupé d’elle en mon absence, dit Camille. Déjà que tu la prends en charge pendant mes vacances… J’ai l’impression d’abuser, ça me gêne.

— Pas de problème. On s’éclate tous les deux, hein, Brindille ?

— En parlant de chat… L’affaire du mont des Cats ? Du neuf ?

Boris vida la moitié de son verre.

— Tu m’étonnes, ça a beaucoup bougé. Côté victime, d’abord. Notre cadavre s’appelle Arnaud Lebarre. Il habite à Bailleul, près de l’hôpital psychiatrique. Un zonard sans boulot, drogué, bagarreur, connu de nos services pour avoir mis le feu, il y a trois mois, à un dépôt-vente après avoir cherché à voler une partie du matériel. Une procédure judiciaire est en cours. D’après les premiers retours de l’enquête de proximité, il n’avait plus toute sa tête ces derniers temps. Trop de drogue, d’alcool.

— Et de désespoir, sans doute. Et côté assassin ?

Boris sortit un papier de sa poche et le poussa vers Camille. Cette dernière eut l’air surprise.

— Une CR[1] ? Vous avez déjà logé l’assassin ?

— À moitié.

— Comment ça, à moitié ?

Boris rapprocha le ventilateur de son visage.

— J’en peux plus, de cette chaleur. On va tous crever si ça continue.

Il baissa les paupières, se rafraîchit quelques secondes, et revint vers Camille.

— Les fragments de peau sous les ongles de la victime ont parlé. Plusieurs examens ont été réalisés au laboratoire, pour confirmer la bizarrerie. Verdict : on a deux ADN différents. Et l’un d’eux est présent dans le FNAEG[2].

— Deux agresseurs… Mince, je ne l’avais pas vu sous cet angle-là.

— Nous non plus, à vrai dire. Peut-être qu’un des tueurs tenait la victime, pendant que l’autre l’étranglait avec l’extenseur. En tout cas, l’ADN connu nous mène à un certain Ludovic Blier, qui a fait de la taule pour trafic de drogue. Sorti il y a cinq ans. Pour le moment, on dispose de son adresse de l’époque. A priori, il crèche dans une barre d’immeubles du côté de Lille Sud.

Il regarda sa montre. 18 heures passées. Son visage se froissa.

— Le gars de l’état civil doit me rappeler pour confirmation. J’espère qu’il ne m’a pas oublié.

— Je peux venir pour la perquise ? Faut que je sorte d’ici, ou je vais devenir dingue. Je vous suis discrètement, je regarde faire les pros. Je veux voir la tête de ce Blier quand il devra nous expliquer ce que sa peau faisait sous les ongles d’un type mort à quarante bornes de chez lui.

Elle sourit. Boris acquiesça.

— Pas de souci, tu te greffes à nous.

— Arrête de parler de greffes.

Le lieutenant de gendarmerie se leva.

— Bon… Pour notre affaire, il faudra que Blier nous aiguille vers son complice, celui dont l’ADN est inconnu. On pince les deux gus, et l’affaire est bouclée. C’est pas du bon boulot, ça ?

— Remercions les fichiers, répliqua Camille. Bientôt, on se tiendra tous le cul sur une chaise et on résoudra les affaires sans en bouger.

Boris alla poser les verres dans l’évier et les rinça. Camille enfila ses chaussures en Gore-Tex, le regardant faire.

— Ça te démange à ce point ? demanda-t-elle.

— Tu parles. C’est super bien rangé chez toi aujourd’hui, nickel, brillant. T’as changé tes habitudes ?

— Dis que je suis bordélique, tant que tu y es ? Hé, qu’est-ce que les gars penseraient s’ils te voyaient faire la vaisselle chez moi ?

— C’est juste qu’il y a beaucoup de fourmis cette année. T’as pas remarqué ? Tu laisses un peu de sucre traîner avant de partir et, quand tu rentres, ça grouille.

— Je dirais que c’est plutôt le réflexe d’un célibataire endurci. Dis, quand est-ce que tu nous ramènes une jolie jeune femme à la caserne ?

Il coupa le ventilateur. Ses joues étaient très rouges. Boris détestait qu’on parle de filles, ça le mettait mal à l’aise, et Camille aimait en jouer.

— Le jour où j’aurai du temps à perdre, répliqua-t-il sèchement.

Ils sortirent et traversèrent le parc. Comme pour se venger, Boris marchait vite, mais Camille tenait la cadence.

— J’ai un service à te demander, fit-elle en reprenant son souffle.

— Du genre ?

— Demain, j’aimerais accéder au fichier des personnes recherchées et au TAJ[3], mais avec tes identifiants. Ça sera moins suspect que si c’est moi qui regarde.

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1

Commission rogatoire.

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2

Fichier national automatisé des empreintes génétiques.

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3

Traitement des antécédents judiciaires.