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— Ça concerne les grands brûlés, non ? demanda Boris.

— Principalement, oui. Il faut aller vite, on n’a pas le temps de mettre la peau du blessé en culture. Alors, on lui greffe celle provenant d’un donneur, mais il ne s’agit que d’une solution temporaire. En général, avant que le rejet se manifeste, au bout de quelques semaines, on regreffe la propre peau du patient qu’on a eu le temps de faire croître en culture, en laboratoire.

Il ferma son logiciel. Boris essaya de s’imaginer un type au visage et au corps brûlé, rapiécé de part en part avec les morceaux d’épiderme de Blier. Leur assassin avait peut-être subi ce genre de traumatisme… Un ancien grand brûlé…

— Cela pourrait expliquer les deux ADN retrouvés sous les ongles, fit-il.

— Exactement. Il y avait sûrement encore, dans les couches épidermiques du corps de votre assassin, de l’ADN de son donneur, notre pendu en l’occurrence. Vous avez eu affaire à ce qu’on appelle une chimère, en référence au monstre mythologique : un même individu, avec deux ADN distincts à certains endroits du corps.

Camille garda le silence, elle n’avait jamais vraiment réfléchi à cette histoire de chimère. N’en était-elle pas une, elle aussi ? Le cœur dans sa poitrine possédait un ADN différent du sien. Et c’était pour cette raison que son organisme luttait farouchement contre lui, qu’il le rejetait.

Plongée dans ses pensées, elle laissa Boris prendre les devants.

— Il suffit de savoir à qui a été greffée la peau du pendu, dit Boris, et on tiendra notre assassin. Je sais que votre logiciel peut faire ce genre de choses : relier le donneur et le receveur.

— Oui, il peut, mais je n’ai pas les droits pour lancer une requête. Comme je vous l’ai dit, mon accès à Cristal est très restreint, je ne connais jamais l’identité des receveurs. Mais dans le cadre d’une enquête judiciaire, la démarche que vous devez suivre est relativement simple.

Il prit un papier, un crayon et nota un nom ainsi qu’une adresse.

— Faites une demande d’autorisation auprès du juge qui gère votre dossier, transmettez-la par fax ou mail certifié au directeur de l’agence de biomédecine dont je vous ai noté les coordonnées, à La Plaine Saint-Denis. Dans le cadre de la procédure judiciaire uniquement, il fera sauter le verrou de l’anonymat et établira le lien entre donneur et receveur. Et vous connaîtrez alors le nom de votre assassin.

Boris récupéra la feuille et se leva, satisfait, tandis que Camille restait immobile.

— Je ne pensais pas que nous avancerions autant en venant ici.

— Ravi de vous avoir aidé. Votre cas est bien tordu, je le garde en tête. C’est toujours intéressant, ce genre d’anecdote, pour les étudiants en médecine, voire en criminologie.

— Camille ? Tu viens ?

La jeune femme ne bougeait pas, les yeux dans le vide. Avec ces histoires de chimères, elle venait d’apercevoir une voie qu’elle n’avait jamais explorée jusque-là.

La voie la plus évidence qui soit, et qu’elle avait eue sous les yeux depuis le début.

Celle qui, peut-être, lui donnerait enfin l’identité de son donneur.

16

10 heures du matin.

Bureau exigu de Bellanger, dans les combles du 36, quai des Orfèvres. Des cigarettes écrasées dans un cendrier. Rien de personnel sur les murs. Ni photos ni souvenirs. Des persiennes baissées pour limiter la chaleur. Les rayons du soleil striaient le visage grave et fatigué du chef de groupe qui venait de découvrir le contenu de la boîte à chaussures.

Ça lui avait mis comme un coup derrière la tête.

Un peu en surplomb, un ventilateur brassait un air usé, lourd, qui ne rafraîchissait plus rien. Le capitaine de police se massa longuement les tempes.

— Douze filles, putain.

Il fixa Sharko, le visage grave, et se leva. À certains endroits des combles, il devait se baisser.

— Et ce taré qui déverse ses horreurs sur une bande sonore.

— C’est gratiné, oui.

Bellanger eut une faiblesse, il s’appuya sur le bois usé, devant lui. Il avait la mine ravagée par le manque de sommeil.

— Je ne tiens plus debout, je comptais sur mes congés pour me remplumer un peu mais… Il faut que je rentre chez moi… Me doucher, dormir quelques heures, manger un truc qui ressemble à autre chose qu’à une tranche de pain. J’ai passé la nuit à régler de la paperasse et, depuis ce matin, Robillard et moi, on donne des coups de fil dans le vide. Y a personne dans les bureaux.

Sharko était allé saluer le lieutenant Robillard dans l’open space avant d’entrer ici. Pascal Robillard était leur grand spécialiste des procédures et de tout ce qui touchait aux recherches dans les fichiers informatiques.

Nicolas Bellanger prit la boîte à chaussures et les deux tableaux.

— Je vais aller les déposer moi-même à côté. Il y a deux ou trois laborantins qui traînent, je vais demander l’analyse ADN des cheveux, des ongles et des dents en priorité. Essayer de déterminer s’ils proviennent du même individu.

— Il y a… le portefeuille, aussi. Vu ce qu’on a entendu dans l’enregistrement, il est possible que…

Bellanger serra les lèvres.

— On verra bien. Merci pour la boîte, et… bien vu, Franck. Y a que toi qui pouvait la dénicher, celle-là.

Sharko approuva d’un mouvement de tête.

— Je peux rester une heure ou deux, si tu veux, mais pas plus. J’ai promis à Lucie un…

— Te bile pas. J’ai passé les appels qu’il fallait, les gens se bougent mais au ralenti, si tu vois ce que je veux dire. Le juge ne peut pas me recevoir avant 17 heures, le divisionnaire abrège ses congés mais ne sera pas là avant la fin de journée…

Sharko resta silencieux. Claude Lamordier, leur big boss, n’était déjà pas, à la base, le type le plus rigolo de la planète. Il risquait d’être de très mauvais poil.

— … Robillard va commencer à interroger les fichiers pour les douze filles, poursuivit Bellanger en se frottant le front. Voir s’il n’y a pas eu de disparitions en masse. Levallois revient en début d’après-midi filer un petit coup de main, Robillard le branchera sur la recherche de ce « PF » au bas des dessins. Il va jeter un œil au niveau des détentions ou des sorties de prison, en attendant le retour de l’analyse ADN des cheveux. Quant à toi… Je préfère que tu gardes tes forces pour les prochains jours. Demain, on aura du nouveau.

Il soupira et tira une cigarette d’un paquet.

— Passe le bonjour à Lucie. Ça va, elle ? Et tes mômes ?

— Tout roule. On s’éclate comme des fous tous les quatre. On va aller faire un pique-nique au bord de l’eau aujourd’hui. Prendre l’air ensemble. Profiter de la lumière. On est comme les plantes vertes, on en a besoin.

Sharko s’apprêtait à sortir, mais il se retourna et ajouta :

— J’étais exactement comme toi, à trente-cinq piges. À trop tirer sur la corde, elle a fini par me péter à la gueule. Tu connais mon histoire, tu sais par quoi je suis passé. Tu dois prendre davantage soin de toi.

Bellanger eut un petit sourire.

— Merci, encore une fois, pour la petite leçon, mais ça ira.

— C’est ce que tu crois. Tu devrais arrêter d’habiter dans ton bureau et te trouver quelqu’un, Nicolas. Parce qu’il n’y a qu’une bonne femme qui pourra te sortir de là.