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— Il y a trois canettes de bière vides, et deux encore intactes, fit-elle remarquer. On a aussi retrouvé un joint et un peu d’herbe à proximité d’un vélo et d’un sac à dos.

— On a son identité ?

— Pas de papiers ni de moyens simples de l’identifier. Mais il doit être du coin. Je pense qu’il est venu en deux-roues, histoire de se faire une petite orgie. Tranquillité, coucher de soleil sur les Flandres… Ça aura été sa dernière image, malheureusement.

— Des traces apparentes laissées par l’assassin ?

— Concernant les empreintes de chaussures, on n’a rien. Le sol est trop dur, trop sec. La poudre magnétique a révélé quelques traces papillaires inexploitables sur les extrémités de l’extenseur. Elles sont trop fragmentaires. On verra ce que ça donne au labo mais, à mon avis, il n’y a rien à en attendre.

Camille prenait son temps, respirait avec calme. Elle se sentait de plus en plus mal. Comme si son cœur peinait à irriguer ses muscles brûlants. Les mauvais souvenirs affluaient de nouveau : elle avait déjà ressenti ce genre de symptômes.

Le cauchemar recommençait.

Elle fit néanmoins un nouvel effort de concentration.

— La victime a dû essayer de se défendre, il y a de la peau sous les ongles de l’index et du majeur droits. On obtiendra donc certainement l’ADN de son assassin. On a passé des sachets autour de ses poignets pour éviter la contamination.

Boris enregistrait le moindre mot que prononçait Camille. Sur chaque lieu d’un meurtre, elle sortait du cadre de ses fonctions — le pur relevé d’indices, les TIC ne menant jamais d’enquête — et se permettait des hypothèses toujours intéressantes et pertinentes. Elle avait l’œil, le flair, et un don d’observation hors du commun. « Le diable se cache dans les détails » ; Camille avait fait de ce proverbe suisse un cheval de bataille. Et elle aurait pu devenir un sacré bon officier de terrain, sans ses problèmes de santé.

Mais la jeune femme ne serait jamais enquêtrice, elle le savait.

En ce moment même, elle observait la scène dans son ensemble, comme s’il s’agissait d’un tableau à la symbolique complexe. Plans larges, puis rapprochés, macros, micros. Ses yeux balayaient, absorbaient la lumière, calculaient. Boris avait déjà remarqué à quel point elle examinait les cadavres, chaque trait de leur visage inerte, dès qu’elle arrivait sur les lieux d’un crime. Comme si elle cherchait des réponses au fond de toutes ces pupilles figées.

— Avec l’alcool qu’il a ingurgité et le joint qu’il a fumé, probable que la lutte était perdue d’avance pour lui, poursuivit-elle. Il s’est défendu comme il pouvait.

Derrière, des voix se firent entendre. Boris Levak avait contacté les services des pompes funèbres, déjà arrivés avec leur housse blanche à fermeture Éclair, leur brancard et prêts à embarquer le corps pour l’institut médico-légal de Lille. Là-bas, les garçons de salle prendraient le relais, réfrigéreraient le corps en attente de l’autopsie.

Le lieutenant leur intima l’ordre de patienter et revint auprès de Camille, toujours appuyée contre son arbre. Elle fixait le corps.

— L’autopsie, ce sera pour toi ? demanda-t-elle.

— Tu vois un autre candidat au steak saignant ? Et tu pourras venir y assister, si tu le souhaites.

— À ton avis ? Juste avant mon départ en vacances, ce sera parfait.

Camille le regarda avec un pâle sourire, puis partit dans ses hypothèses :

— Dis, si tu devais étrangler quelqu’un, qu’est-ce qui te pousserait à utiliser un extenseur ? Ce n’est pas ce qu’il y a de plus pratique, un extenseur.

— Peut-être que notre assassin n’avait que ça sous la main.

— On peut donc supposer que ce meurtre n’était pas prémédité. Quand tu réfléchis à la manière de tuer quelqu’un, tu te donnes les meilleures chances avant d’agir. Une grosse corde, un câble, c’est plus efficace pour une strangulation. Là, regarde, il a dû serrer extrêmement fort à cause de l’élasticité, il y a plusieurs sillons, c’était hésitant. Et tu abandonnes rarement l’arme du crime sur les lieux avec le risque de laisser tes empreintes dessus. Même… (elle reprit exagérément son souffle) l’abruti de base sait ça.

L’appareil photo n’arrêtait pas de se déclencher, figeant le spectacle morbide pour l’éternité. Déjà, l’allure du cadavre avait changé. Avec les 28 ou 29 °C qu’affichait le thermomètre, il allait vite ressembler à une montgolfière.

Soudain, Boris sentit une pression sur son bras, puis plus rien.

Camille était au sol, les deux mains sur la poitrine au niveau du cœur.

Le lieutenant s’agenouilla sur-le-champ.

— Qu’est-ce qui se passe ?

Le visage de la jeune femme se tordit de douleur.

Elle roula sur le côté et souffla d’une voix éteinte :

— Appelle les secours… Je crois que… je fais… une crise cardiaque.

3

Quatre jours plus tard, à 150 kilomètres de là

Mardi 14 août 2012

Les orages de la nuit avaient été dévastateurs.

Les pluies torrentielles s’étaient engouffrées dans le moindre interstice de terre sèche, les vents avaient déchaîné la mer, emporté les tuiles, arraché les câbles.

Aussi, en ce mardi matin, la France se réveillait-elle dans le chaos. C’était l’heure du bilan et des premières réparations. De mémoire d’employés de l’Office national des forêts, Jules et son collègue Armand n’avaient pas vu de tels dégâts depuis longtemps. Les courants d’air descendants avaient formé des rafales foudroyantes pour les arbres en lisière. La forêt de Laigue, dans l’Oise, n’avait pas été épargnée. On se souviendrait du 14 août 2012 comme on se souvenait des 26 et 27 décembre 1999.

Aux alentours de 10 heures, les deux employés avaient garé leur fourgon sur une petite route, aux abords d’un bled du nom de Saint-Léger-aux-Bois, non loin de là. Avant de se mettre au travail, ils avaient écouté les informations à la radio, avalant deux ou trois cafés forts puisés dans leur bouteille Thermos. On parlait surtout des coupures de courant, des inondations dans l’Ouest et le Sud, des caravanes emportées par les flots, on annonçait des montants de préjudices en millions d’euros.

— C’est quand même dingue, fit Armand en prenant son matériel à l’arrière du véhicule. La veille, t’as plus une goutte d’eau dans les nappes phréatiques, et le lendemain, t’as les fleuves qui débordent. On ne voyait jamais ça, de notre temps.

Jules approuvait. Il voyait bien que le climat partait méchamment en vrille depuis quelques années mais que, globalement, tout le monde s’en fichait. Les papillons battaient des ailes plus vite au fin fond d’une campagne française, et ça faisait des plus grosses tempêtes à New York… Enfin, d’après ce qu’il en avait compris avec son petit cerveau de citoyen moyen.

En discutant, les deux hommes remontèrent l’un des sentiers forestiers qui longeaient la commune de Saint-Léger.

— Et voilà notre scène de crime, plaisanta Jules.

— Une scène de crime ? Faut que t’arrêtes de regarder des séries à la con. Ça te crame la cervelle.

À chaque arbre brisé ou déraciné par la tempête, les deux employés devaient noter son espèce, mesurer son diamètre et estimer son cubage. Ils avaient en charge toute la partie nord de la forêt. Le travail de recensement pouvait prendre des jours, voire des semaines.