— Ces cercles, en fin de message, sont une signature. Ce ne sont pas des initiales comme au bas des dessins trouvés dans la boîte à chaussures. C’est un symbole. Peut-être celui de l’appartenance à un groupe, à un clan. Ça confirme l’hypothèse que nous avons affaire à plusieurs individus, unis par… quelque chose qu’ils partagent, ou des affinités qui leur ont permis de se découvrir, de se rassembler. Il faudrait faire des recherches sur ce symbole.
— Difficile parce qu’il n’y a rien de concret à saisir dans les moteurs de recherche mais je vais essayer, fit Robillard.
Sharko retourna s’asseoir pour boire son café en silence, l’œil rivé vers le tableau blanc et ses différentes notes. Ses trois coéquipiers vinrent le rejoindre.
— Et donc, tu penses qu’ils sont plusieurs à avoir enlevé ces filles ? demanda son chef.
— Non. Je crois que ces enlèvements appartiennent à Macareux, et rien qu’à lui. Cette maison, cette carrière, c’était son petit endroit secret, son repaire, le cocon où ses fantasmes pouvaient s’exprimer. Il ne partageait avec les autres que par l’intermédiaire de la caméra, je pense.
Sharko réfléchit.
— Sinon, niveau ADN, empreintes et tout le toutim, la Scientifique a quelque chose, que ce soit dans la carrière ou la baraque ? demanda-t-il.
— Rien pour le moment, mais ils cherchent encore. D’ailleurs, ils vont passer le jardin et les environs au crible, avec des chiens et du matériel de détection, pour voir s’il n’y a rien d’enterré là-dessous. Si ces filles sont mortes, les corps sont forcément quelque part. Onze cadavres, ça laisse des traces. Il va falloir très vite quelqu’un de chez nous sur place. Après la réunion, tu retourneras là-bas et tu prendras en charge la coordination, Jacques, OK ?
Levallois acquiesça, Bellanger poursuivit :
— Mis à part tout ça, on a une piste sérieuse. Ça concerne le contenu de l’un des sachets en plastique que tu as trouvés sous le plancher, Franck.
On aurait pu entendre une mouche voler. Le capitaine de police sortit des photos de sous le paquet de feuilles.
— Là, il faut s’accrocher.
Il poussa un cliché vers ses subordonnés. La photo circula de main en main. Dessus, un gros plan sur le portefeuille. Les traits de Nicolas Bellanger se crispèrent.
— C’est de l’artisanal, du fait main.
Il avait lâché ça d’une voix blanche, ses mots étaient lourds de sens. Robillard leva deux yeux sombres.
— Du fait main… T’es quand même pas en train de nous dire…
— Il est fabriqué à base de peau humaine tannée et d’intestins pour les coutures.
Les hommes se regardèrent, stupéfaits. Robillard, toujours prêt à sortir une blague, gardait cette fois un visage impassible.
Bellanger reprit son souffle et poursuivit :
— L’analyse ADN a révélé la présence du chromosome X. Autrement dit, ce portefeuille a été fabriqué à partir… de la peau d’une femme.
— Bon Dieu, souffla Sharko.
Le lieutenant peina à s’imaginer la scène. De pauvres victimes couchées, peut-être encore vivantes, qu’on écorchait et éviscérait. Il se rappela les propos sur l’enregistreur numérique, ces ignobles « recettes de cuisine » exposées par le tueur.
— Celui-là, il est en bonne place pour figurer dans notre top, ne put s’empêcher d’ajouter Robillard.
— Et dans une poche intérieure sont gravées les initiales CP. Celui qui a fait ça a laissé sa marque.
— Il n’a pu s’empêcher de signer… Comme pour les dessins.
— Sauf que ce sont deux personnes différentes, précisa Sharko. PF pour les dessins, CP pour le portefeuille. C’est dément.
— Nouvelle preuve qu’ils sont plusieurs, continua Bellanger. Les dents aussi appartiennent à une femme. Ou plutôt, des femmes. On a quatre ADN distincts, et différents de celui du portefeuille.
À chaque seconde, les quatre hommes sombraient un peu plus dans l’horreur. Ils avaient déjà eu de sales affaires à gérer, mais celle-ci s’annonçait terrible. Nicolas Bellanger termina son café en silence, puis poussa d’autres photos. Gros plans sur les rognures d’ongles, les cheveux, les dessins trouvés dans la boîte.
— Voilà à présent le point d’orgue de nos découvertes, j’aime autant vous dire que les machines et les fichiers ont mouliné depuis hier, et qu’on a monopolisé toutes les ressources des labos. On a analysé ces rognures d’ongles et ces mèches de cheveux. Ils appartiennent à la même personne, un homme en l’occurrence. J’ai fait tirer un profil ADN que j’ai soumis au FNAEG, il y a une heure à peine. On a obtenu un enregistrement. Une identité. Je sais qui est le PF qui a signé les dessins.
— Qui c’est, ce fils de pute ? s’énerva Robillard, saisissant son gobelet vide d’une main ferme.
— Pierre Foulon.
Le nom claqua dans toutes les têtes. Pierre Foulon, tueur en série, auteur de sept meurtres. Sept jeunes femmes qu’il avait kidnappées, tuées, dépecées et mangées en partie. Une véritable figure du Mal. On connaissait bien l’individu, dans les locaux, parce qu’il avait été interpellé par le « groupe Lemoine », une équipe du 36 installée dans les bureaux voisins.
Le tueur croupissait depuis cinq ans à la maison centrale de Saint-Martin-de-Ré, sur l’île de Ré. Condamné à perpétuité avec une sûreté de trente ans.
Robillard avait transformé son gobelet en fleur et arrachait de fines lamelles de plastique. Levallois avait arrêté de faire tourner son stylo entre ses mains. Les visages étaient pétrifiés.
— L’enregistrement audio, c’était donc lui, dit Sharko. C’était lui qui déversait ces horreurs et expliquait comment il se délectait de ces femmes. C’est aussi lui qui a signé les dessins PF. Pierre Foulon…
— Et on peut m’expliquer ce que les ongles et les cheveux d’un mec enfermé en taule jusqu’à la fin de ses jours font sous le plancher de cette maison ? demanda Levallois. Comment c’est arrivé entre les mains de Macareux ?
— Il va falloir répondre à cette question, fit Bellanger. Mais en tout cas, les deux hommes ont forcément été en contact. Que ce soit avant ou après l’incarcération de Foulon. Je vais me mettre en relation avec le greffe de la maison centrale pour qu’on puisse accéder au registre des parloirs pour le numéro d’écrou de Foulon, histoire de savoir qui lui a rendu visite depuis sa détention.
Nicolas Bellanger nota une identité sur son tableau blanc. Albert Suresnes. Un lieutenant de l’équipe Lemoine, leurs voisins de bureau.
— Je vais demander à Albert d’aller à sa rencontre. Il connaît bien le dossier Foulon et…
— Pourquoi tu veux faire appel à lui, tu ne me fais plus confiance ? l’interrompit Sharko, un poil nerveux. J’ai un peu suivi l’affaire, et je connais ce genre de mecs mieux que quiconque.
Bellanger parut embarrassé.
— Je ne sais pas, Franck. Rappelle-toi, quand on a pénétré la maison de Saint-Léger… Et puis, tu m’as dit toi-même que si ça allait trop loin…
Les poings de Franck s’étaient serrés. Il fixa les photos des douze filles alignées devant lui. Un concentré de démence. Des yeux qui le suppliaient. Qui criaient à l’aide et réclamaient justice.
— J’assurerai. Je veux y aller. Foulon adore être sous les projecteurs, c’est un pervers narcissique de la pire espèce. Il va se jeter sur l’occasion de discuter avec un flic. Je saurai quoi faire. Je vais aller rencontrer ce fumier et lui faire cracher tout ce qu’il sait.
Bellanger hésita. Sharko se tenait droit, debout face à lui, et c’était difficile de lui refuser quoi que ce soit.