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— Merde Lucie, tu…

— Laisse-moi aller au bout ! J’ai trouvé des informations très importantes dans le carnet, elles étaient planquées au milieu de tous ces cercles. Tu les avais remarquées ?

Sharko secoua mécaniquement la tête.

— Une date et un lieu de rendez-vous en forêt d’Halatte pour chacune des douze filles, fit-elle.

Elle lui tendit la feuille avec ses douze lignes, fruit de ses trouvailles. Sharko y jeta un œil rapide.

— Ce matin, j’ai pris la voiture en direction de cette forêt, poursuivit Lucie. Il y avait trois lieux, séparés d’un ou deux kilomètres chacun. Pourquoi trois endroits différents ? Parce que, à mon avis, votre homme prend ses précautions, il ne veut pas instaurer une routine, il veut rester maître de la situation.

Sharko avait l’impression d’halluciner. Un sentiment de colère l’envahissait, mais il ne pouvait s’empêcher d’écouter ce que Lucie avait à lui raconter. Elle n’avait eu à sa disposition que quelques pièces du puzzle et semblait plus avancée qu’eux tous réunis. Encore une fois, elle le scotchait.

Elle parlait vite, avec entrain, comme immergée jusqu’au cou dans cette affaire qui n’était pourtant pas la sienne.

— Je ne sais pas où vous en êtes, je ne comprends pas grand-chose à votre histoire, mais je peux te dire qu’ils sont plusieurs sur le coup. Au moins trois. Le message sur le mur prouve que ces filles sont juste des objets qui transitent d’une personne — le kidnappeur — à une autre, celui qui a écrit le message, pour une raison que j’ignore. Il y a aussi ce « C », à retrouver au « Fleuve », qui est un troisième individu. « Suis venu, ai attendu. Livraison 02.03–07.08-09.11–04.19 urgente. Retrouve C au Fleuve pour autre RDV. »

Elle marqua une pause, une voiture de police démarrait, sirène hurlante, et continua une fois le bruit estompé :

— Le tatouage fait office de code-barres, c’est avec lui qu’on les identifie. J’ai vérifié à quelle fille correspond le tatouage 02.03–07.08-09.11–04.19, celui inscrit sur le mur. C’est à la dernière fille, celle du 10 août 2011. C’est bien elle que vous avez retrouvée vivante sous l’arbre, n’est-ce pas ?

Sharko acquiesça, bouche bée, comme hypnotisé.

— Quelque chose a merdé, poursuivit Lucie. Quelque chose qui a fait que le kidnappeur n’est pas venu au rendez-vous, malgré l’enjeu. Quelque chose qui a fait que cette fille aveugle est restée vivante, alors qu’elle n’aurait probablement jamais dû.

Un silence. Devant eux, la Seine grise paradait, admirée par des centaines de touristes répartis le long de ses berges. Sharko sentait la colère bouillonner en lui, mais ne retrouvait-il pas, au final, la Lucie qu’il avait toujours connue ? Ce tigre acharné, combatif, surprenant, mû par ses instincts de traque.

Le regard du flic suivit un bus touristique qui franchissait le Pont-Neuf.

— Elle est vivante, parce que lui, il est mort, souffla-t-il.

Plus il y pensait, plus ça lui paraissait logique. Ça expliquait sa disparition soudaine de la maison louée à Saint-Léger, par exemple… Ou ces objets cachés sous le plancher et les tableaux, qu’il n’avait jamais pu embarquer.

Leur kidnappeur, mort…

Ses yeux revinrent sur Lucie. Elle aurait pu, encore cette fois, se mettre sérieusement en danger. Mais au lieu de la blâmer, il se retint. Parce qu’il allait devoir se maîtriser de la même façon face à Pierre Foulon. Ne pas craquer.

— Comment ? demanda-t-il d’une voix ferme. Comment t’as fait ?

— J’ai fait fonctionner ma tête. Tu vois, je crois que le Styx noté sur la couverture du carnet « De l’autre côté du Styx, Tu m’as montré la voie », c’est un lieu particulier. En mythologie, c’est le fleuve des Enfers. « Retrouve C au Fleuve », pour moi, ça veut dire que le kidnappeur a rendez-vous avec un certain « C » au Styx. Je vais creuser cette piste-là et le symbole des cercles. Voir ce que ça donne sur le Net.

Sharko avait des canons de fusil à la place des yeux, et Lucie crut bon de se justifier :

— Avoue que je t’ai quand même été utile sur ce coup-là, non ? Une cervelle supplémentaire ne sera pas de trop pour gérer les trois milliards de choses qui vous tombent dessus. Je sais qu’il me reste quelques jours de congé, mais j’ai envie de reprendre, Franck. Je n’irai pas forcément sur le terrain, je peux rester dans…

Sharko posa un doigt sur ses lèvres, incitant Lucie à se taire.

— Je ne veux rien entendre pour le moment, d’accord ? Laisse-moi le temps de… digérer tout ça. D’intégrer le fait que ma presque femme fouille dans mes affaires et s’aventure dans un endroit hyper dangereux alors que…

— Ce n’était pas hyper dangereux.

— … alors que je la croyais au calme chez nous. Une presque femme qui me ment et me trahit.

Il regarda sa montre, l’air un peu froid, distant.

— Je ne dormirai pas à l’appartement, ce soir.

— Où vas-tu ?

Sharko hésita. Lui ne pouvait pas lui mentir, et il le regrettait, parfois.

— À la maison centrale de l’île de Ré… Je dois fouiller dans les registres de parloir en fin de journée. Je dormirai à l’hôtel, histoire de ne pas reprendre la route ce soir.

— En général, on se les fait faxer, les registres. (Elle hocha le menton vers le dossier.) Qui vas-tu voir, là-bas ? Quel taulard ?

— Laisse tomber, Lucie, OK ? Ce serait bien si, au lieu de me poser des questions, tu allais chercher Jules et Adrien et me rejoignais ensuite à l’appartement. J’aimerais les embrasser avant de partir.

Lucie acquiesça et vint se serrer contre lui.

— Je suis désolée, Franck. Mais c’est plus fort que moi.

Sharko soupira, il aurait aimé la repousser, la blâmer, mais il en était bien incapable.

Si elle n’avait pas été comme elle était aujourd’hui, il ne l’aurait jamais rencontrée. Ni aimée.

Il lui glissa une main dans les cheveux.

Un couple maudit.

— Je sais…

26

Camille mordait dans un sandwich, assise à la terrasse ombragée d’un café, quand son téléphone sonna.

Elle décrocha prestement, sur le qui-vive.

— Merci de me rappeler, Boris.

— Salut Camille. J’ai eu ton message. C’est quoi encore, ce délire ? Tu veux une immatriculation, maintenant ? Mais bon Dieu, t’es pas censée être sur la route des vacances ?

— Je le suis.

— Il n’y a pas beaucoup de bruits de moteur, autour de toi.

— Je déjeune au soleil, lunettes sur le nez, du côté de Fontainebleau. Ciel bleu, oiseaux qui chantent, le bonheur.

— Tu ne serais pas en train de te fourrer dans je ne sais quelle affaire ? Tes recherches sur mon ordinateur, le profil ADN, et cette demande à présent…

Camille soupira. Elle pensait encore au petit squelette, aux photos horribles dans le laboratoire, au sang dans la chambre de Florès.

— Écoute, je t’expliquerai tout ça, d’accord ? Je te demande juste les infos. Et si tu m’as rappelée, c’est que tu les as en ta possession… Je me trompe ?

Petit silence.

— T’es chiante, Camille, tu sais ça ?

— C’est ma marque de fabrique.

Camille devina qu’il souriait, l’imagina assis à son bureau, chaussures sur la table et canette de Coca Light dans la main.

— Bon… Le dernier titulaire de la carte grise correspondant à l’immat que tu m’as fournie s’appelle Dragomir Nikolic. J’ai fouillé un peu. Nationalité serbe, installé en France depuis 2003. Il est artisan dans le bâtiment, céramique, briqueterie, un métier prisé qui lui a permis d’obtenir une carte de séjour longue durée. Le type a déménagé six fois en dix ans. Pas mal, non ?