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— Il a un casier ?

— Il devrait ?

— Boris…

— Non. Il a l’air propre.

Trop propre, justement, pensa Camille.

— T’as sa dernière adresse ?

— Je ne sais pas si…

— Tu sais parfaitement que je me débrouillerai pour me la procurer si je la veux vraiment.

Un soupir.

— Il crèche à Rouen depuis un an environ.

À sa demande, Boris lui dicta l’adresse.

— Merci Boris. Si tu peux m’envoyer toutes les infos par SMS, ce serait génial. Et me dire dans quelle société il bosse en ce moment.

— Je ne suis plus à ça près.

— Sinon, son adresse précédente, c’était où ?

— Colombes… C’est à côté d’Argenteuil, là où travaillait ton donneur, comme par hasard. Tu n’en as pas encore fini avec cette histoire ? Ce mec, Dragomir Nikolic, il a un rapport avec tes rêves ?

— Je vais devoir te laisser, Boris. T’es vraiment un chic type.

— C’est ça, défile-toi… T’es tellement dans ton délire que notre affaire du mont des Cats ne t’intéresse plus, je présume ?

Camille mit trois secondes à percuter. Elle avait complètement oublié.

— Ah, si, évidemment. Des nouvelles ?

— Tu m’étonnes. L’un des responsables de l’agence de biomédecine nous a rappelés une heure après avoir reçu le fax du juge. On a obtenu l’identité du greffé de peau et, donc, de notre assassin : Michel Lavigne, trente-sept ans. On a tapé à son domicile en milieu de matinée. Le type n’a opposé aucune résistance. Cramé au visage et sur une bonne partie du corps il y a un peu plus d’un an, pas vraiment beau à voir malgré la chirurgie réparatrice. Une sombre histoire de vengeance…

Silence au bout du fil.

— T’es toujours là, Camille ?

— Oui, oui, je t’écoute. Une vengeance, tu dis ?

— Arnaud Lebarre, notre victime étranglée, s’en était pris à Michel Lavigne sur Lille, l’été dernier, parce que Lavigne est homosexuel. À l’époque, Lebarre l’a entraîné de force dans une impasse avec un complice, l’a aspergé d’essence et lui a foutu le feu. Lavigne s’en est tiré de justesse, brûlé au troisième degré, mais l’affaire n’a jamais été résolue.

— Jusqu’à aujourd’hui…

— Par le plus grand des hasards, oui. Il y a une semaine, Lavigne retombe sur Lebarre en se promenant. Il le reconnaît… Poursuit son chemin, regagne sa voiture… Et remonte avec un extenseur pour se faire justice lui-même. Tu connais la suite. Il le chope par-derrière et l’étrangle. Lebarre lui griffe le visage avant de mourir étouffé. Et il récolte ainsi les deux ADN qui nous ont tant intrigués.

— C’est une histoire bien triste. Bravo en tout cas, Boris.

— Ouais, j’ai pas fait grand-chose.

— Et merci encore pour l’immatriculation. Comment va Brindille, au fait ?

— Elle se porte comme un charme et mange toutes ses croquettes. Mais j’ai quand même l’impression que tu lui manques.

Camille sourit.

— Embrasse-la pour moi. Je t’enverrai un petit mail très bientôt, j’ai encore quelques étranges requêtes. Et je te bipe dès que je suis arrivée à Argelès, OK ?

— On va dire ça, oui. Où que tu sois, fais bien attention à toi.

— Promis.

— Au fait Camille, un dernier truc… Pour le type de cigarettes retrouvées sur le siège passager dans l’affaire de la gamine du coffre, la petite Aurélie Carisi…

— Oui ?

— J’ai vérifié : c’étaient des Marlboro Light, paquet de quinze. Tes rêves, c’étaient donc des conneries.

Perturbée, Camille raccrocha et engloutit rapidement le reste de son sandwich.

Non, ça n’était pas des conneries. Loin de là.

Cinq minutes plus tard, elle avait disparu.

Direction Rouen.

27

L’île de Ré sentait bon l’air iodé du grand large.

Malgré l’invasion touristique, la bande de terre avait gardé un caractère sauvage, notamment sur sa partie ouest, faite de marécages, de forêts, de grandes étendues vierges et de plages parfois envahies d’algues chargées de l’histoire de l’océan. Les vacanciers brûlaient de se lancer à l’assaut des nombreuses pistes cyclables qui couvraient l’île d’un réseau de veines.

Sharko, lui, ne souriait pas au contraire de tous ces promeneurs insouciants. Après cinq heures de trajet harassant, il avait posé son sac dans un hôtel moyen choisi par le service des missions, à quelques kilomètres de Saint-Martin, situé au cœur de l’île.

Avant son départ, il était remonté en vitesse au bureau, histoire d’expliquer les incroyables découvertes de Lucie à Bellanger. Comme lui, le chef avait halluciné en apprenant la façon dont Henebelle avait pénétré dans l’enquête, mais Sharko avait su arrondir les angles. L’identité de la jeune femme ne serait citée dans aucun PV, et c’était Jacques Levallois qui avait hérité d’une visite en forêt d’Halatte pour confirmer les constatations effectuées par Lucie.

Le lieutenant avait en outre annoncé, à son grand regret, que sa compagne risquait d’abréger son congé, et qu’il faudrait probablement la remettre dans le circuit. Nicolas Bellanger, en manque d’effectifs, n’avait pu s’empêcher d’accueillir l’annonce avec enthousiasme.

Franck Sharko prit très vite la direction de la maison centrale, ancien bagne installé dans une citadelle de Vauban. Dreyfus, Seznec et « Papillon » y avaient séjourné avant leur départ pour l’enfer de Saint-Laurent-du-Maroni, au fin fond de la Guyane française. Désormais, c’étaient des types de la trempe de Foulon qui peuplaient ses cellules. La plupart des touristes qui erraient dans les rues de la charmante ville ignoraient sans doute que l’établissement renfermait aujourd’hui les plus grands criminels, dont la majorité ne sortiraient jamais.

Tous les papiers avaient été faxés en temps et en heure par Nicolas Bellanger aux autorités de la prison. La consultation du registre des parloirs pour le numéro d’écrou concerné ainsi que la rencontre avec Foulon avaient été approuvées par le directeur de la maison centrale. Le lendemain, 11 heures, Sharko serait face à celui qui ouvrait le ventre de ses victimes avant d’en cuisiner les entrailles aux petits oignons.

Le flic passa les contrôles drastiques et on l’orienta dans l’aile administrative, froide, éclairée au néon. Des portes à perte de vue dans un couloir infini. Des fonctionnaires en civil dans leurs bureaux, mines fatiguées. Cet établissement pénitentiaire était un joyau d’un point de vue architectural, mais était dévoré jusqu’au cœur par le désespoir, les suicides, les maladies psychiques, le manque de moyens. Sharko détestait ces antichambres de l’enfer et, pourtant, lui aussi faisait partie du système.

Juste un maillon parmi tant d’autres qui faisait tourner la lourde machine judiciaire française.

Il s’était installé dans une petite pièce déprimante, sans fenêtre, face au registre des parloirs ouvert aux pages concernant le numéro d’écrou 25 367, celui de Pierre Foulon, auteur de sept meurtres, incarcéré en mars 2007, condamné à trente ans de réclusion minimum sans remise de peine.

Le lendemain, le lieutenant allait l’affronter les yeux dans les yeux et, le moins qu’on pût dire, c’était qu’il avait du mal à se concentrer. Il pensait encore à Lucie, ses découvertes folles, son implication dans l’affaire. Elle s’était remise à chasser envers et contre tout, pour recevoir son shoot d’adrénaline, pour se sentir vivante et utile. Et surtout, parce qu’elle ne pouvait faire autrement.