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Apparemment, il ne verrouilla pas la porte derrière lui. Elle s’approcha, patienta jusqu’à percevoir le bruit de la douche et, après avoir enfilé une paire de gants en latex qui traînaient toujours dans sa voiture, ouvrit la porte d’entrée.

L’intérieur était à l’image de l’homme. Crasseux, sans goût. Un matelas jaunâtre, dans un coin. De vagues odeurs de friture. Un fauteuil craqué, un bordel innommable. En revanche, du matériel hi-fi dernier cri.

Elle prit ses trois paires de menottes GK en polypropène — l’armurier les vendait par lot de trois —, sa lame de rasoir et le pistolet anti-agression à propulsion pyrotechnique. L’engin balançait un jet de capsaïcine, une substance fabriquée à partir de poivre de Cayenne et qui laissait l’agresseur hors d’état de nuire pendant une bonne vingtaine de minutes. Camille n’avait jamais utilisé ce type d’arme. Elle pria pour que ça fonctionne.

Elle prit une grande inspiration, puis se présenta d’un coup sur le seuil de la salle de bains, le pistolet tendu devant elle. Nikolic était en train de se savonner. Il s’immobilisa dès qu’il l’aperçut.

— Putain, t’es qui, toi ?

Il se jeta dans sa direction, se sentant pris au piège. Camille appuya sur la détente. Le jet de capsaïcine l’atteignit en plein visage. L’homme vint tout de même la percuter et se mit à cracher, les mains sur les yeux. Il voulut hurler mais fut comme pris à la gorge, aux poumons, les sons transformés en un souffle aigu. En bonus, Camille lui colla un coup de genou dans l’entrejambe.

Il s’effondra, sentit quelque chose autour de ses poignets, puis de ses chevilles. Ses yeux pleuraient, il avait l’air de souffrir le martyre, mais la jeune femme était intraitable.

Elle lui avait attaché chaque poignet aux tuyaux du radiateur, serrant à fond. Le seul moyen d’ôter ces menottes était de les couper avec une pince. L’homme était assis, face à elle, nu, encore plein de savon, velu comme un grizzli et les bras écartés.

En attendant qu’il récupère, elle verrouilla la porte d’entrée et entreprit une fouille rapide. Elle savait où chercher dans ce genre de turne, aller à l’essentiel. Dessus de meubles, couvercle de hotte, intérieur de chasse d’eau… Elle découvrit un sachet plastique emballé dans le four. À l’intérieur, des liasses de billets, des montres de marque — Rolex, Breitling. Dans une vieille armoire, sur une planche en hauteur et derrière des cartons, des sacs Vuitton empilés et quelques bijoux. Nikolic vivait dans la crasse, dormait sur un matelas à même le sol, entouré de milliers d’euros.

Ce porc avait le sens du sacrifice.

Camille sentit la colère monter en elle. Elle se présenta face à lui et s’assit durement sur ses genoux, son visage à vingt centimètres de celui du Serbe.

— Parle-moi de Daniel Loiseau.

L’homme avait les yeux gonflés, rouges comme la braise. Camille n’y lut que de la haine. Il gesticulait à s’arracher la peau des poignets.

— T’es qui, bordel ?

Un lourd accent slave roulait dans sa gorge.

— Ton pire cauchemar. Je répète une fois : parle-moi de Daniel Loiseau.

— Va te faire foutre !

Il lui cracha au visage avant de s’étouffer avec sa bile. Camille s’essuya doucement et étira un sourire forcé.

— Tu veux jouer à ça…

Elle sortit sa lame de rasoir, noire, rectangulaire, et la promena sur le torse du Serbe. Elle la descendit vers les parties, qu’elle saisit sans ménagement de son autre main gantée.

— On dit que les gars de ton genre ne pensent qu’avec la queue. Qu’est-ce que tu vas devenir, si je te la coupe ?

— T’oseras pas. T’es flic, hein ? Les flics font pas ça, t’aurais trop d’emmerdes. Ils sont où, tes collègues, pouffiasse ?

Camille souleva son sweat, dévoilant la partie labourée de son torse : les taillades récentes, celles qu’elles s’étaient faites dans l’après-midi, après sa visite chez le photographe. Certaines saignaient encore. Le Serbe resta sans voix.

— Je ne suis pas flic, Ducon. Regarde ce que je suis capable de me faire avec ce genre de lame. Alors imagine seulement ce que je pourrais te faire, à toi. J’ai pas de collègue, pas de règles. Et crois-moi, je crèverai ton gros bide sans l’ombre d’une hésitation si tu ne me donnes pas mes infos.

Nikolic se raidit, son regard changea. Il secoua la tête quand Camille approcha franchement la lame de son pénis.

— Je connais pas de Loiseau ! Je te jure !

La jeune femme le fixa au fond des yeux, puis lui montra la photo sur laquelle Loiseau et lui discutaient.

— T’es bien certain ?

Nikolic scruta le cliché, puis revint sur Camille.

— C’est tout ce que t’as ? Ça prouve que dalle. J’ai rien fait, je comprends pas ce que tu veux.

— Je vais te rafraîchir la mémoire. Des cambriolages : côte d’Azur, Bretagne, Argenteuil… Des filles qui bossent pour toi, qui forcent les maisons avec des tournevis. (Elle songea à son cauchemar.) Elles disparaissent et se retrouvent enfermées, torturées. Recel, traite d’êtres humains, vol en bande organisée. Il y en a assez pour te faire prendre quinze ans, minimum.

Il hésita.

— Que je parle ou pas, c’est pareil, de toute façon tu vas…

— J’en ai marre de discuter.

Elle lui écrasa la main sur la bouche et lui entailla l’abdomen d’un coup de lame bien profond. Les yeux du Serbe se révulsèrent. Camille fut surprise de son propre geste, de sa pulsion de violence, mais elle s’interdit de réfléchir ou de s’apitoyer. Elle revint vers le sexe, présentant le tranchant sur la peau. Une pointe de sang apparut. Nikolic haletait.

— C’est bon ! C’est bon !

Camille ne bougea pas, serrant au contraire la queue plus fermement. Elle pendait comme une vieille cosse au bout de sa branche.

— Ce Loiseau, je le connais seulement sous le nom de Macareux. C’est un flic. Un ripou qui nous avait logés.

— Qui ça, nous ?

Nikolic fixait la lame sans ciller. Ses yeux puaient la peur, désormais. Le sang coulait de l’entaille sur le torse.

— Tu crois qu’on peut gérer un réseau pareil tout seul ? Tu sors d’où ?

Un silence. Nikolic essaya de calmer sa respiration avant de poursuivre :

— Ce poulet avait tout pour nous faire tomber. Des preuves, des photos, les adresses des caravanes où on loge les filles. Un jour, il s’est pointé ici, comme toi, avec ses lunettes de soleil et sa casquette. J’ai jamais vu sa gueule, il savait se protéger. Il a braqué un flingue sur ma tempe et m’a dit qu’il avait une proposition à me faire. Qu’en coopérant avec lui on pourrait se faire plus de pognon qu’avec les cambriolages.

— C’était quoi, le deal ?

— Il voulait nous racheter nos filles. Une ou deux par mois, qu’y disait.

Camille accusa le coup, mais ne le montra pas. Il fallait aller vite, rester dans le rythme.

— Elles venaient d’où, ces filles ?

Il ne répondit pas, alors Camille le rappela à l’ordre en enfonçant la lame.

— Arrête, bordel ! À ton avis ? Tu sais à quoi ressemble la vie des femmes Rom en Serbie ? Elles n’ont pas de papier, ne sont même pas enregistrées à la naissance. Des fantômes sans aucune éducation, sans aucun droit, des déchets. Leur propre famille les violente ou les fourgue dans des bordels. Le gouvernement n’en a rien à foutre. Alors nous, on les approche, on leur promet la France, la belle vie, on leur apprend à cambrioler et on les ramène ici, c’est aussi simple que ça.

Camille songea à tous ces réseaux organisés qui polluaient les grandes villes. Ces pilleurs de camions, ces enfants qui se jetaient aux vitres des voitures. Ces femmes qui soutiraient des signatures dans les grandes gares et réclamaient de l’argent. Les gamins qui dévalisaient les touristes dans le métro. Des réseaux, toujours des réseaux. Derrière, il y avait des pourritures de la trempe de Nikolic, un virus qui déferlait depuis l’Est de l’Europe.