Elle avait envie de lui fracasser le crâne. Il le lut dans ses yeux, son visage se crispa davantage.
— Macareux avait une condition, fit-il, c’était qu’on arrête les cambriolages pour pas se faire prendre. Il nous proposait des sommes qu’on pouvait pas refuser. Du cash. On n’avait plus besoin de receler, de s’exposer. Juste faire des allers-retours au pays pour ramener les filles quand il en voulait.
— Combien il payait ?
— Dix mille par fille. Parfois douze. Ça dépendait.
Camille se rappelait ce que Loiseau avait dit à son collègue : sa volonté de quitter le métier, de changer de vie.
— D’où venait l’argent ?
Le Serbe secoua vivement la tête.
— J’en sais rien, je te jure. Et je sais pas non plus ce qu’il faisait avec les filles. Il les prenait, elles disparaissaient, on ne les revoyait plus jamais. Ce type, il… il avait quelque chose dans le regard. Dans le comportement. Un chien fou, comme toi.
Parlait-il du Loiseau qu’avait décrit Martel ? Ce flic timide avec les filles ? Timide en société… Et peut-être le pire des pervers lorsqu’il les tenait à sa merci… Camille marqua une hésitation et réalisa, durant une fraction de seconde, qu’elle était vraiment prête à aller au bout avec ce type. Sa main qui tenait la lame tremblait à présent, ce qui ne rassura pas le Serbe.
— Pourquoi les sommes variaient d’une fille à l’autre ? demanda Camille.
— Ça dépendait de leur groupe sanguin.
— Sois plus clair.
L’homme hocha le menton vers l’armoire à pharmacie. Camille se leva et ouvrit la porte. À l’intérieur, entre des médicaments, des seringues et des tubes bouchonnés, vides.
— Ton Loiseau, là, il choisissait pas les filles au physique, il s’en foutait. Ce taré voulait qu’on lui file les filles avec le groupe sanguin de son choix. C’était ça, le critère. Seules les filles au sang rare, B et AB, l’intéressaient. Les AB, il les achetait plus cher que les B. Nous, on prélevait leur sang directement en Serbie, on faisait les tests là-bas sur des tas de filles pour trouver les bonnes. Quand ça fonctionnait, on ramenait les filles en France.
La jeune femme se frotta le visage. Encore une sinistre coïncidence, parce qu’elle aussi avait un groupe sanguin rare, le groupe B. C’était juste dément.
En quoi le sang de ces filles intéressait-il Loiseau ? À ses pieds, le Serbe grassouillet faisait pitié à voir.
— Tu continues à livrer des filles ? demanda-t-elle.
Il secoua la tête.
— Non. Un jour, j’ai appris qu’un flic s’était fait buter à Argenteuil. C’était lui, c’était Macareux, je l’ai reconnu dans le journal. Alors, je me suis tiré pour venir ici. Je sais rien d’autre. J’ai plus rien à voir avec ça.
Camille ricana.
— Plus rien à voir ? Et qu’est-ce que tu fous ici ? Tu profites du soleil ?
L’air circulait bruyamment dans sa trachée, tant elle respirait fort. Ses poings se serrèrent.
— Maintenant que Loiseau n’est plus là, t’as repris les cambriolages, hein ? Puis tu vas finir par te tirer ailleurs. Encore, et encore.
— Je suis clean, je te dis.
— En livrant ces filles à Loiseau, tu les as envoyées à la mort, et tu le savais.
Le Serbe replia ses jambes contre son torse autant qu’il ne put.
— Non, non. Je te jure que non. Ce qu’il faisait avec, c’était pas mon histoire.
— C’était pas ton histoire… T’as arraché ces filles à leur pays, t’en as fait de la matière première, des choses. Combien ? Combien de filles tu lui as livré ?
— Je sais plus, putain… Je…
Elle s’approcha. Quelque chose brûlait en elle. Une rage indicible.
— Combien !
— Une dizaine. Douze, je crois.
Le visage de Camille se déforma de colère. Les lèvres du Serbe se mirent à trembler.
— Loiseau va te tuer, murmura la jeune femme.
Il voulut hurler, mais Camille fondit sur lui comme une araignée se laissant tomber sur sa proie.
29
Pascal Robillard faisait les cent pas devant la maison isolée lorsqu’une voiture banalisée arriva.
Nicolas Bellanger se gara n’importe comment, sortit et rejoignit son subordonné. Il fixa les morceaux de toiture sur le sol, impressionné.
— Suis-moi, fit Robillard.
Les deux hommes pénétrèrent dans la demeure de Mickaël Florès par l’arrière, se glissant par la porte de véranda à la vitre fracassée. Ils se dirigèrent dans la chambre de l’étage, et le capitaine de police découvrit les marques de sang encore incrustées dans le parquet et sur le mur.
Il observa quelques secondes autour de lui, stupéfait.
— Explique-moi exactement ce qu’on fout ici et ce qui s’est passé.
— Tout s’est joué au commissariat d’Argenteuil, répliqua Robillard. J’ai voulu creuser l’histoire des cambriolages, j’ai travaillé ce Patrick Martel au corps, jusqu’à ce qu’il finisse par me confier deux éléments importants. Le premier, c’est que son collègue Daniel Loiseau n’était pas net. Il avait, semble-t-il, logé le réseau de cambrioleuses mais n’avait jamais rien dit à personne.
Il sortit son téléphone portable de sa poche.
— Franck vient de me laisser un message, juste avant que t’arrives. L’homme qu’on cherche, ce Macareux, c’est Daniel Loiseau. Il est notre kidnappeur, Nicolas. La pourriture qui était en possession d’un portefeuille en peau humaine et qui retenait ces filles dans la carrière était quelqu’un de la maison.
Bellanger écarquilla les yeux, tandis que Robillard lui tendait son téléphone pour qu’il écoute le message. Le jeune capitaine de police parut, pendant quelques secondes, dépassé par la succession des révélations. Il s’appuya contre un mur et se frotta le visage, comme s’il voulait en chasser la fatigue.
Il donna un léger coup de tête vers les marques de sang.
— Et ça ?
— Ça, c’est un meurtre. Quand j’ai découvert ces vieilles traces de sang, j’ai appelé la gendarmerie du coin. Mickaël Florès a été tué en février dernier. Ils l’ont retrouvé dans sa chambre, ligoté sur une chaise. Torturé, d’après les brûlures sur ses bras, son visage, et éventré du cou au sternum. On l’avait aussi énucléé. Les deux yeux reposaient sur le lit.
— Merde… Qui enquête ?
— Vu la nature du crime, c’est le groupement de gendarmerie départementale de l’Essonne et la SR[7] de Paris qui ont pris le dossier en main. Je t’attendais avant de me mettre en contact avec eux.
Nicolas Bellanger accusa le coup.
— Tu parlais de deux éléments importants.
— Le second truc, c’est qu’on n’était pas seuls à poser des questions sur Daniel Loiseau au commissariat d’Argenteuil. Deux autres personnes sont passées avant nous. Il y a lui, Mickaël Florès, venu à Argenteuil quelques semaines après le décès de Loiseau pour prendre des photos de son bureau et se rencarder sur le flic.
— Et l’autre ? fit Bellanger, impatient.
— L’autre ? Écoute bien parce que ça vaut son pesant de cacahuètes. Il s’agit d’une nana qui s’est présentée à Martel, pas plus tard que ce matin, sous l’identité de Cathy Lambres, un gendarme censé bosser à la caserne Richemont de Nantes. J’ai fait une vérif en route, elle n’existe pas. Identité bidon. Et pourtant, elle portait l’uniforme.