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«À propos, dit un jour Stépane Arcadiévitch, après avoir tout organisé à la campagne, as-tu ton billet de confession?

– Non, pourquoi?

– On ne se marie pas sans cela.

– Aïe, aïe, aie! s’écria Levine, mais voilà neuf ans que je ne me suis confessé! Et je n’y ai seulement pas songé!

– C’est joli! dit en riant Stépane Arcadiévitch: et tu me traites de nihiliste! Mais cela ne peut se passer ainsi: il faut que tu fasses tes dévotions.

– Quand? nous n’avons plus que quatre jours!»

Stépane Arcadiévitch arrangea cette affaire comme les autres, et Levine commença ses dévotions. Incrédule pour son propre compte, il n’en respectait pas moins la foi d’autrui, et trouvait dur d’assister et de participer à des cérémonies religieuses sans y croire. Dans sa disposition d’esprit attendrie et sentimentale, l’obligation de dissimuler lui était odieuse. – Quoi! railler des choses saintes, mentir, quand son cœur s’épanouissait, quand il se sentait en pleine gloire! était-ce possible? Mais quoi qu’il fît pour persuader à Stépane Arcadiévitch qu’on découvrirait bien un moyen d’obtenir un billet sans qu’il fût forcé de se confesser, celui-ci resta inflexible.

«Qu’est-ce que cela te fait? deux jours seront vite passés, et tu auras affaire à un brave petit vieillard qui t’arrachera cette dent sans que tu t’en doutes.»

Pendant la première messe à laquelle il assista, Levine fit de son mieux pour se rappeler les impressions religieuses de sa jeunesse qui, entre seize et dix-sept ans, avaient été fort vives; il n’y réussit pas. Il entreprit alors de considérer les formes religieuses comme un usage ancien, vide de sens, à peu près comme l’habitude de faire des visites-, il n’y parvint pas davantage, car, ainsi que la plupart de ses contemporains, il était absolument dans le vague au point de vue religieux, et, incapable de croire, il l’était également de douter complètement. Cette confusion de sentiments lui causa une honte et une gêne extrêmes pendant le temps consacré à ses dévotions: agir sans comprendre était, lui criait sa conscience, une action mauvaise et mensongère.

Pour n’être pas en contradiction trop flagrante avec ses convictions, il chercha d’abord à attribuer un sens quelconque au service divin avec ses différents rites, mais, s’apercevant qu’il critiquait au lieu de comprendre, il s’efforça de ne plus écouter, et de s’absorber dans les pensées intimes qui l’envahissaient pendant ses longues stations à l’église. – La messe, les vêpres et les prières du soir se passèrent ainsi; le lendemain matin il se leva de meilleure heure, et vint à jeun vers huit heures pour les prières du matin et la confession. L’église était déserte; il n’y vit qu’un soldat qui mendiait, deux vieilles femmes et les desservants. Un jeune diacre vint à sa rencontre; son dos long et maigre se dessinait en deux moitiés bien nettes sous sa mince soutanelle; il s’approcha d’une petite table près du mur et commença la lecture des prières. Levine l’écoutant répéter à la hâte d’une voix monotone, et en les abrégeant, les mots: «Seigneur, ayez pitié de nous», comme un refrain, resta debout, derrière lui, cherchant à se défendre d’écouter et de juger, pour ne pas interrompre ses propres pensées. – «Quelle expression elle a dans les mains», pensa-t-il, se rappelant la soirée de la veille passée avec Kitty dans un coin du salon près d’une table. Leur conversation n’avait rien eu de palpitant; elle s’amusait à ouvrir et à refermer sa main en l’appuyant sur la table, tout en riant de cet enfantillage. Il se rappela avoir baisé cette main et en avoir examiné les lignes. «Encore ayez pitié de nous», pensa Levine faisant des signes de croix et saluant jusqu’à terre, tout en remarquant les mouvements souples du diacre qui se prosternait devant lui. «Ensuite elle a pris ma main et à son tour l’a examinée. – Tu as une fameuse main», m’a-t-elle dit. Il regarda sa main, puis celle du diacre aux doigts écourtés. «Maintenant ce sera bientôt fini. Non, voilà la prière qui recommence. Si, il se prosterne jusqu’à terre: c’est la fin.»

Le diacre reçut un billet de trois roubles, discrètement glissé dans sa manche, et s’éloigna rapidement en faisant résonner ses bottes neuves sur les dalles de l’église déserte; il disparut derrière l’autel après avoir promis à Levine de l’inscrire pour la confession. Au bout d’un instant, il reparut et lui fit signe. Levine s’avança vers le jubé. Il monta quelques marches, tourna à droite, et aperçut le prêtre, un petit vieillard à barbe presque blanche, au bon regard un peu fatigué, debout près du lutrin, feuilletant un missel. Après un léger salut à Levine il commença la lecture des prières, puis s’inclina jusqu’à terre en finissant:

«Le Christ assiste, invisible, à votre confession, dit-il se retournant vers Levine et désignant le crucifix. Croyez-vous à tout ce que nous enseigne la Sainte Église apostolique? continua-t-il en croisant ses mains sous l’étole.

– J’ai douté, je doute encore de tout», dit Levine d’une voix qui résonna désagréablement à son oreille, et il se tut.

Le prêtre attendit quelques secondes, puis fermant les yeux et parlant très vite:

«Douter est le propre de la faiblesse humaine, nous devons prier le Seigneur tout-puissant de vous fortifier. Quels sont vos principaux péchés?»

Le prêtre parlait sans la moindre interruption et comme s’il eût craint de perdre du temps.

«Mon péché principal est le doute, qui ne me quitte pas; je doute de tout et presque toujours.

– Douter est le propre de la faiblesse humaine, répéta le prêtre, employant les mêmes mots; de quoi doutez-vous principalement?

– De tout. Je doute parfois même de l’existence de Dieu, – dit Levine presque malgré lui, effrayé de l’inconvenance de ces paroles. Mais elles ne semblèrent pas produire sur le prêtre l’impression qu’il redoutait.

– Quels doutes pouvez-vous donc avoir de l’existence de Dieu?» demanda-t-il avec un sourire presque imperceptible.

Levine se tut.

«Quels doutes pouvez-vous avoir sur le Créateur quand vous contemplez ses œuvres? Qui a décoré la voûte céleste de ses étoiles, orné la terre de toutes ses beautés? Comment ces choses existeraient-elles sans le Créateur?» Et il jeta à Levine un regard interrogateur.

Levine sentit l’impossibilité d’une discussion philosophique avec un prêtre, et répondit à sa dernière question:

«Je ne sais pas.

– Vous ne savez pas? Mais alors pourquoi doutez-vous que Dieu ait tout créé?

– Je n’y comprends rien, répondit Levine rougissant et sentant l’absurdité de réponses qui, dans le cas présent, ne pouvaient être qu’absurdes.