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Stépane Arcadiévitch vint doucement lui parler à l’oreille, fit un signe à Levine, et se retira.

Le prêtre alluma deux cierges ornés de fleurs, et, tout en les tenant de la main gauche, sans s’inquiéter de la cire qui en dégouttait, il se tourna vers le jeune couple. C’était ce même vieillard qui avait confessé Levine. Après avoir regardé en soupirant les mariés de ses yeux tristes et fatigués, il bénit de la main droite le fiancé, puis, avec une nuance particulière de douceur, posa ses doigts sur la tête baissée de Kitty, leur remit les cierges, s’éloigna lentement et prit l’encensoir.

«Tout cela est-il bien réel?» pensait Levine jetant un coup d’œil à sa fiancée qu’il voyait de profil, et remarquant au mouvement de ses lèvres et de ses cils qu’elle sentait son regard. Elle ne leva pas la tête, mais il comprit, à l’agitation de la ruche remontant jusqu’à sa petite oreille rose, qu’elle étouffait un soupir, et vit sa main, emprisonnée dans un long gant, trembler en tenant le cierge.

Tout s’effaça aussitôt de son souvenir, son regard, le mécontentement de ses amis, sa sotte histoire de chemise, il ne sentit plus qu’une émotion mêlée de terreur et de joie.

L’archidiacre en dalmatique de drap d’argent, un bel homme aux cheveux frisés des deux côtés de la tête, s’avança, leva l’étole de ses deux doigts avec un geste familier, et s’arrêta devant le prêtre.

«Bénissez-nous, Seigneur», entonna-t-il lentement, et les paroles résonnèrent solennellement dans l’air.

«Que le Seigneur vous bénisse maintenant et dans tous les siècles des siècles», répondit d’une voix douce et musicale le vieux prêtre continuant à feuilleter.

Et le répons, chanté par le chœur invisible, emplit l’église d’un son large et plein, qui grandit pour s’arrêter une seconde et mourir doucement.

On pria, comme d’habitude, pour le repos éternel et le salut des âmes, pour le synode et l’empereur, puis aussi pour les serviteurs de Dieu, Constantin et Catherine.

«Prions le Seigneur de leur envoyer son amour, sa paix et son secours», sembla demander toute l’église par la voix de l’archidiacre.

Levine écoutait ces paroles et en était frappé. «Comment ont-ils compris que ce dont j’avais précisément besoin était de secours, oui de secours? Que sais-je, que puis-je sans secours?» pensa-t-il, se rappelant ses doutes et ses récentes terreurs.

Quand le diacre eut terminé, le prêtre se tourna vers les mariés, un livre à la main:

«Dieu éternel qui réunis par un lien indissoluble ceux qui étaient séparés, bénis ton serviteur Constantin et ta servante Catherine, et répands tes bienfaits sur eux. Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, à présent et toujours comme dans tous les siècles des siècles…»

«Amen», chanta encore le chœur invisible.

«- Qui réunis par un lien indissoluble ceux qui étaient séparés! Combien ces paroles profondes répondent à ce que l’on éprouve en ce moment! – Le comprend-elle, comme moi?» pensa Levine.

À l’expression du regard de Kitty, il conclut qu’elle comprenait comme lui; mais il se trompait: absorbée par le sentiment qui envahissait et remplissait de plus en plus son cœur, elle avait à peine suivi le service religieux. Elle éprouvait la joie profonde de voir enfin s’accomplir ce qui, pendant six semaines, l’avait tour à tour rendue heureuse et inquiète. Depuis le moment où, vêtue de sa petite robe brune, elle s’était approchée de Levine pour se donner silencieusement tout entière, le passé, elle le sentait, avait été arraché de son âme et avait fait place à une existence autre, nouvelle, inconnue, sans que sa vie extérieure fût cependant changée. Ces six semaines avaient été une époque bienheureuse et tourmentée. Espérances et désirs, tout se concentrait sur cet homme qu’elle ne comprenait pas bien, vers lequel le poussait un sentiment qu’elle comprenait moins encore, et qui, l’attirant et l’éloignant alternativement, lui inspirait pour son passé à elle une indifférence complète et absolue. Ses habitudes d’autrefois, les choses qu’elle avait aimées, et jusqu’à ses parents, que son insensibilité affligeait, rien ne lui était plus; et, tout en s’effrayant de ce détachement, elle se réjouissait du sentiment qui en était cause. Mais cette vie nouvelle, qui n’avait pas encore commencé, s’en faisait-elle une idée précise? Aucunement; c’était une attente douce et terrible du nouveau, de l’inconnu, et cette attente, ainsi que le remords de ne rien regretter du passé, allaient avoir une fin! Elle avait peur, c’était naturel, mais le moment présent n’était cependant que la sanctification de l’heure décisive qui remontait à six semaines.

Le prêtre, en se retournant vers le pupitre, saisit avec difficulté le petit anneau de Kitty pour le passer à la première jointure du doigt de Levine.

«Je t’unis, Constantin, serviteur de Dieu, à Catherine, servante de Dieu», et il répéta la même formule en passant un grand anneau au petit doigt délicat de Kitty.

Les mariés cherchaient à comprendre ce que l’on voulait d’eux, mais se trompaient chaque fois, et le prêtre les corrigeait à voix basse. On souriait, on chuchotait autour d’eux tandis qu’ils restaient sérieux et graves.

«Ô Dieu qui, dès le commencement du monde, as créé l’homme, continua le prêtre, et lui as donné la femme pour être son aide inséparable, bénis ton serviteur Constantin et ta servante Catherine, unis les esprits de ces époux, et verse dans leurs cœurs la foi, la concorde et l’amour.»

Levine sentait sa poitrine se gonfler, des larmes involontaires monter à ses yeux, et toutes ses pensées sur le mariage, sur l’avenir, se réduire à néant. Ce qui s’accomplissait pour lui avait une portée incomprise jusqu’ici, et qu’il comprenait moins que jamais.

V

Tout Moscou assistait au mariage. Dans cette foule de femmes parées et d’hommes en cravates blanches ou en uniformes, on chuchotait discrètement, les hommes surtout, car les femmes étaient absorbées par leurs observations sur les mille détails, pleins d’intérêt pour elles, de cette cérémonie.

Un petit groupe d’intimes entourait la mariée, et dans le nombre se trouvaient ses deux sœurs: Dolly et la belle madame Lwof arrivée de l’étranger.

«Pourquoi Mary est-elle en lilas à un mariage? c’est presque du deuil, disait Mme Korsunsky.

– Avec son teint, c’est seyant, répondit la Drubetzky. Mais pourquoi ont-ils choisi le soir pour la cérémonie? cela sent le marchand.

– C’est plus joli. Moi aussi, je me suis mariée le soir, dit la Korsunsky soupirant et se rappelant combien elle était belle ce jour-là et combien son mari était ridiculement amoureux! Tout cela était bien changé!

– On prétend que ceux qui ont été garçons d’honneur plus de dix fois dans leur vie, ne se marient pas; j’ai voulu m’assurer de cette façon contre le mariage, mais la place était prise», dit le comte Seniavine à la jeune princesse Tcharsky, qui avait des vues sur lui.

Celle-ci ne répondit que par un sourire. Elle regardait Kitty et pensait à ce qu’elle ferait quand, à son tour, elle serait avec Seniavine dans cette situation; combien elle lui reprocherait alors ses plaisanteries!

Cherbatzky confiait à une vieille demoiselle d’honneur de l’impératrice son intention de poser la couronne sur le chignon de Kitty pour lui porter bonheur.