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«Quelle différence y a-t-il entre un cèpe et un mousseron?»

Les lèvres de Warinka tremblèrent en répondant:

«Il n’y a de différence que dans le pied.» Tous deux sentirent que c’en était fait; les mots qui devaient les unir ne seraient pas prononcés, et l’émotion violente qui les agitait se calma peu à peu.

«Le pied du mousseron fait penser à une barbe noire mal rasée, dit tranquillement Serge Ivanitch.

– C’est vrai», répondit Warinka avec un sourire. Puis leur promenade se dirigea involontairement du côté des enfants. Warinka était confuse et blessée, mais cependant soulagée. Serge Ivanitch repassait dans son esprit ses raisonnements sur le mariage, et les trouvait faux. Il ne pouvait être infidèle au souvenir de Marie.

«Doucement, enfants, doucement», cria Levine voyant les enfants se précipiter vers Kitty avec des cris de joie.

Derrière les enfants parurent Serge Ivanitch et Warinka; Kitty n’eut pas besoin de questionner; elle comprit, à leur ton calme et un peu honteux, que l’espoir dont elle se berçait ne se réaliserait pas.

«Cela ne prend pas», dit-elle à son mari en rentrant.

VI

On se réunit sur la terrasse, pendant que les enfants prenaient le thé; l’impression qu’il s’était passé un fait important, quoique négatif, pesait sur tout le monde, et pour dissimuler l’embarras général on causa avec une animation forcée. Serge Ivanitch et Warinka semblaient deux écoliers qui auraient échoué à leurs examens; Levine et Kitty, plus amoureux que jamais l’un de l’autre, se sentaient confus de leur bonheur, comme d’une allusion indiscrète à la maladresse de ceux qui ne savaient pas être heureux.

Stépane Arcadiévitch, et peut-être le vieux prince, devaient arriver par le train du soir.

«Alexandre ne viendra pas, croyez-moi, disait la princesse: il prétend qu’on ne doit pas troubler la liberté de deux jeunes mariés.

– Papa nous abandonne; grâce à ce principe, nous ne le voyons plus, dit Kitty; et pourquoi nous considère-t-il comme de jeunes mariés, quand nous sommes déjà d’anciens époux?»

Le bruit d’une voiture dans l’avenue interrompit la conversation.

«C’est Stiva, cria Levine, et je vois quelqu’un auprès de lui, ce doit être papa; Gricha, courons au-devant d’eux.»

Mais Levine se trompait; le compagnon de Stépane Arcadiévitch était un beau gros garçon, coiffé d’un béret écossais avec de longs rubans flottants, nommé Vassia Weslowsky, parent éloigné des Cherbatzky et un des ornements du beau monde de Moscou et Pétersbourg. Weslowsky ne fut aucunement troublé du désenchantement causé par sa présence; il salua gaiement Levine, lui rappela qu’ils s’étaient rencontrés autrefois, et enleva Gricha pour l’installer dans la calèche.

Levine suivit à pied: contrarié de ne pas voir le prince, qu’il aimait, il l’était plus encore de l’intrusion de cet étranger dont la présence était parfaitement inutile; cette impression fâcheuse s’accrut en voyant Vassia baiser galamment la main de Kitty devant les personnes assemblées sur le perron.

«Nous sommes cousins, votre femme et moi, et d’anciennes connaissances, dit le jeune homme, serrant une seconde fois la main de Levine.

– Eh bien, demanda Oblonsky tout en saluant sa belle-mère et en embrassant sa femme et ses enfants, y a-t-il du gibier? Nous arrivons avec des projets meurtriers, Weslowsky et moi. Comme te voilà bonne mine, Dolly!» dit-il, baisant la main de celle-ci et la lui caressant d’un geste affectueux.

Levine, si heureux tout à l’heure, considérait cette scène avec humeur.

«Qui ces mêmes lèvres ont-elles embrassé hier, pensait-il, et de quoi Dolly est-elle si contente, puisqu’elle ne croit plus à son amour?» Il fut vexé de l’accueil gracieux fait à Weslowsky par la princesse; la politesse de Serge Ivanitch pour Oblonsky lui parut hypocrite, car il savait que son frère ne tenait pas Stépane Arcadiévitch en haute estime. Warinka, à son tour, lui fit l’effet d’une sainte nitouche, capable de se mettre en frais pour un étranger, tandis qu’elle ne songeait qu’au mariage. Mais son mécontentement fut au comble quand il vit Kitty répondre au sourire de ce personnage qui considérait sa visite comme un bonheur pour chacun; c’était le confirmer dans cette sotte prétention.

Il profita du moment où l’on rentrait en causant avec animation pour s’esquiver. Kitty, s’étant aperçue de la mauvaise humeur de son mari, courut après lui, mais il la repoussa, déclarant avoir affaire au bureau, et disparut. Jamais ses occupations n’avaient eu plus d’importance à ses yeux que ce jour-là.

VII

Levine rentra lorsqu’on le fit avertir que le souper était servi; il trouva Kitty et Agathe Mikhaïlovna debout sur l’escalier, se concertant sur les vins à offrir.

«Pourquoi tout ce «fuss» [5], qu’on serve le vin ordinaire.

– Non, Stiva n’en boit pas. Qu’as-tu, Kostia?» demanda Kitty, cherchant à le retenir; mais il ne l’écouta pas, et continua son chemin à grands pas vers le salon, où il se hâta de prendre part à la conversation.

«Eh bien, allons-nous demain à la chasse? lui demanda Stépane Arcadiévitch.

– Allons-y, je vous en prie, dit Weslowsky penché sur sa chaise et assis sur l’une de ses jambes.

– Volontiers; avez-vous déjà chassé cette année? répondit Levine s’adressant à Vassia avec une fausse cordialité que Kitty lui connaissait. Je ne sais si nous trouverons des bécasses, mais les bécassines abondent. Il faudra partir de bonne heure; cela ne te fatiguera pas, Stiva?

– Jamais; je suis prêt si tu veux à ne pas dormir de la nuit.

– Ah oui, vous en êtes capable, dit Dolly avec une certaine ironie, aussi bien que d’empêcher le sommeil des autres. Pour moi, qui ne soupe pas, je me retire.

– Non, Dolly, s’écria Stépane Arcadiévitch, allant s’asseoir auprès de sa femme, reste un moment encore, j’ai tant de choses à te raconter. Sais-tu que Weslowsky a vu Anna? Elle habite à 70 verstes d’ici seulement; il ira chez elle en nous quittant; je compte y aller aussi.

– Vraiment, vous avez été chez Anna Arcadievna?» demanda Dolly à Vassinka qui s’était rapproché des dames et s’était placé à côté de Kitty à la table du souper.

Levine, tout en causant avec la princesse et Warinka, s’aperçut de l’animation de ce petit groupe; il crut à un entretien mystérieux, et la physionomie de sa femme en regardant la jolie figure de Vassinka lui sembla exprimer un sentiment profond.

«Leur installation est superbe, racontait celui-ci avec vivacité, et l’on se sent à l’aise chez eux. Ce n’est pas à moi de les juger.

– Que comptent-ils faire?

– Passer l’hiver à Moscou, je crois.

– Ce serait charmant de se réunir là-bas. Quand y seras-tu? demanda Oblonsky au jeune homme.

– En juillet.

– Et toi? demanda-t-il à sa femme.

– Quand tu seras parti; j’irai seule, cela ne gênera personne, et je tiens à voir Anna; c’est une femme que je plains et que j’aime.

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[5] Mot illisible dans le fichier PDF Gallica. Dans une autre traduction, la phrase est la suivante: «Pourquoi tant de façons? qu’on serve le vin ordinaire.» (Note du correcteur – ELG.)