Il leva les sourcils:
«C’est tout?
—Tu me donneras mon collier?
—Celui qui te plaira.»
Elle prit une voix très tendre.
«Celui qui me plaira? Ah! Voilà justement ce que je voulais te demander. Est-ce que tu me laisseras choisir mes cadeaux?
—Bien entendu.
—Tu le jures?
—Je le jure.
—Quel serment fais-tu?
—Dicte-le-moi.
—Par l’Aphrodite que tu as sculptée.
—J’en fais serment par l’Aphrodite. Mais pourquoi cette précaution?
—Voilà... Je n’étais pas tranquille... Maintenant je le suis.»
Elle releva la tête:
«J’ai choisi mes cadeaux.»
Démétrios redevint inquiet et demanda:
«Déjà?
—Oui... Penses-tu que j’accepterai n’importe quel miroir d’argent, acheté à un marchand de Smyrne ou à une courtisane inconnue? Je veux celui de mon amie Bacchis qui m’a pris un amant la semaine dernière et s’est moquée de moi méchamment dans une petite débauche qu’elle a faite avec Tryphèra, Mousarion et quelques jeunes sots qui m’ont tout rapporté. C’est un miroir auquel elle tient beaucoup, parce qu’il a appartenu à Rhodopis, celle qui fut esclave avec Æsope et fut rachetée par le frère de Sapphô. Tu sais que c’est une courtisane très célèbre. Son miroir est magnifique. On dit que Sapphô s’y est mirée, et c’est pour cela que Bacchis y tient. Elle n’a rien de plus précieux au monde; mais je sais où tu le trouveras. Elle me l’a dit une nuit, étant ivre. Il est sous la troisième pierre de l’autel. C’est là qu’elle le met tous les soirs quand elle sort au coucher du soleil. Va demain chez elle à cette heure-là et ne crains rien: elle emmène ses esclaves.
—C’est de la folie, s’écria Démétrios. Tu veux que je vole?
—Est-ce que tu ne m’aimes pas? Je croyais que tu m’aimais. Et puis, est-ce que tu n’as pas juré? Je croyais que tu avais juré. Si je me suis trompée, n’en parlons plus.»
Il comprit qu’elle le perdait, mais se laissa entraîner sans lutte, presque volontiers.
«Je ferai ce que tu dis, répondit-il.
—Oh! Je sais bien que tu le feras. Mais tu hésites d’abord. Je comprends que tu hésites. Ce n’est pas un cadeau ordinaire; je ne le demanderais pas à un philosophe. Je te le demande à toi. Je sais bien que tu me le donneras.»
Elle joua un instant avec les plumes de paon de son éventail rond et tout à coup:
«Ah!... je ne veux pas non plus un peigne d’ivoire commun acheté chez un vendeur de la ville. Tu m’as dit que je pouvais choisir, n’est-ce pas? Eh bien, je veux... je veux le peigne d’ivoire ciselé qui est dans les cheveux de la femme du grand-prêtre. Celui-là est beaucoup plus précieux encore que le miroir de Rhodopis. Il vient d’une reine d’Égypte qui a vécu il y a longtemps, longtemps, et dont le nom est si difficile que je ne peux pas le prononcer. Aussi l’ivoire est très vieux, et jaune comme s’il était doré. On y a ciselé une jeune fille qui passe dans un marais de lôtos plus grands qu’elle, où elle marche sur la pointe des pieds pour ne pas se mouiller... C’est vraiment un beau peigne... Je suis contente que tu me le donnes... J’ai aussi de petits griefs contre celle qui le possède. J’avais offert le mois dernier un voile bleu à l’Aphrodite; je l’ai vu le lendemain sur la tête de cette femme. C’était un peu rapide et je lui en ai voulu. Son peigne me vengera de mon voile.
—Et comment l’aurai-je? demanda Démétrios.
—Ah! ce sera un peu plus difficile. C’est une égyptienne, tu sais, et elle ne fait ses deux cents nattes qu’une fois par an, comme les autres femmes de sa race. Mais moi, je veux mon peigne demain, et tu la tueras pour l’avoir. Tu as juré un serment.»
Elle fit une petite mine à Démétrios qui regardait la terre. Puis elle acheva ainsi, très vite:
«J’ai choisi aussi mon collier. Je veux le collier de perles à sept rangs qui est au cou de l’Aphrodite.»
Démétrios bondit.
«Ah! cette fois, c’est trop! tu ne te riras pas de moi jusqu’à la fin! Rien, entends-tu, rien! ni le miroir, ni le peigne, ni le collier, tu n’auras...»
Mais elle lui ferma la bouche avec la main et reprit sa voix câline:
«Ne dis pas cela. Tu sais bien que tu me le donneras aussi. Moi, j’en suis bien certaine. J’aurai les trois cadeaux. Tu viendras chez moi demain soir, et après demain si tu veux, et tous les soirs. À ton heure je serai là, dans le costume que tu aimeras, fardée selon ton goût, coiffée à ta guise, prête au dernier de tes caprices. Si tu ne veux que la tendresse, je te chérirai comme un enfant. Si tu recherches les voluptés rares, je ne refuserai pas les plus douloureuses. Si tu veux le silence, je me tairai... Quand tu voudras que je chante, ah! tu verras, Bien-Aimé! je sais des chants de tous les pays. J’en sais qui sont doux comme le bruit des sources, d’autres qui sont terribles comme l’approche du tonnerre. J’en sais de si naïfs et de si frais qu’une jeune fille les chanterait à sa mère; et j’en sais qu’on ne chanterait pas à Lampsaque, j’en sais qu’Élephantis aurait rougi d’apprendre, et que je n’oserai dire que tout bas. Les nuits où tu voudras que je danse, je danserai jusqu’au matin. Je danserai toute habillée, avec ma tunique traînante, ou sous un voile transparent, ou avec des caleçons crevés et un corselet à deux ouvertures pour laisser passer les seins. Mais je t’avais promis de danser nue? Je danserai nue si tu l’aimes mieux. Nue et coiffée avec des fleurs, ou nue dans mes cheveux flottants et peinte comme une image divine. Je sais balancer les mains, arrondir les bras, remuer la poitrine, offrir le ventre, crisper la croupe, tu verras! Je danse sur le bout des orteils ou couchée sur les tapis. Je sais toutes les danses d’Aphrodite, celles qu’on danse devant l’Ouranie et celles qu’on danse devant l’Astarté. J’en sais même qu’on n’ose pas danser... Je te danserai tous les amours... Quand ce sera fini, tout commencera. Tu verras! La reine est plus riche que moi, mais il n’y a pas dans tout le palais une chambre aussi amoureuse que la mienne. Je ne te dis pas ce que tu y trouveras. Il y a là des choses trop belles pour que je puisse t’en donner l’idée, et d’autres qui sont trop étranges pour que je sache les mots pour les dire. Et puis, sais-tu ce que tu verras qui dépasse tout le reste? Tu verras Chrysis que tu aimes et que tu ne connais pas encore. Oui, tu n’as vu que mon visage, tu ne sais pas comme je suis belle. Ah! Ah!... Ah! Ah! Tu auras des surprises... Ah! comme tu joueras avec le bout de mes seins, comme tu feras plier ma taille sur ton bras, comme tu trembleras dans l’étreinte de mes genoux, comme tu défailleras sur mon corps mouvant. Et comme ma bouche sera bonne! Ah! mes baisers!...»
Démétrios jeta sur elle un regard perdu.
Elle reprit avec tendresse:
«Comment! tu ne veux pas me donner un pauvre vieux miroir d’argent quand tu auras toute ma chevelure comme une forêt d’or dans tes mains?»
Démétrios voulut la toucher... Elle recula et dit:
«Demain!
—Tu l’auras, murmura-t-il.
—Et tu ne veux pas prendre pour moi un peigne d’ivoire qui me plaît, quand tu auras mes deux bras, comme deux branches d’ivoire autour de ton cou?»
Il essaya de les caresser... Elle les retira en arrière, et répéta:
«Demain!
—Je l’apporterai, dit-il très bas.
—Ah! je le savais bien! cria la courtisane, et tu me donneras encore le collier de perles à sept rangs qui est au cou de l’Aphrodite, et pour lui je te vendrai tout mon corps qui est comme une nacre entr’ouverte, et plus de baisers dans ta bouche qu’il n’y a de perles dans la mer!»
Démétrios, suppliant, tendit la tête... Elle força vivement son regard et prêta ses luxurieuses lèvres...
Quand il ouvrit les yeux elle était déjà loin.
Une petite ombre plus pâle courait derrière son voile flottant.
Il reprit vaguement son chemin vers la ville, baissant le front sous une inexprimable honte.