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Ici la conversation prit une tournure moins posée, sinon plus silencieuse, et Démétrios s’aperçut vite que ses scrupules n’étaient pas de mise auprès d’une petite personne déjà si bien renseignée. Elle semblait se rendre compte qu’elle n’était qu’une pâture un peu maigre pour un appétit de jeune homme, et elle déroutait son amant par une prodigieuse activité d’attouchements furtifs, qu’il ne pouvait ni prévoir, ni permettre, ni diriger, et qui ne lui laissaient jamais le repos d’une étreinte aimante. Le petit corps agile et ferme se multipliait autour de lui, s’offrait et se refusait, glissait, tournait, luttait. À la fin, ils se saisirent. Mais cette demi-heure ne fut qu’un long jeu.

Elle sauta du lit la première, trempa son doigt dans la coupe de miel et s’en barbouilla les lèvres; puis, avec mille efforts pour ne pas rire, elle se pencha sur Démétrios en frottant sa bouche sur la sienne. Ses boucles rondes dansaient de chaque côté de leurs joues. Le jeune homme sourit et s’accouda:

«Comment t’appelles-tu? dit-il.

—Melitta. Tu n’avais pas vu mon nom sur la porte?

—Je n’avais pas regardé.

—Tu pouvais le voir dans ma chambre. Ils l’ont tous écrit sur mes murs. Je serai bientôt obligée de les faire repeindre.»

Démétrios leva la tête: les quatre panneaux de la pièce étaient couverts d’inscriptions.

«Tiens, c’est curieux, dit-il. On peut lire?

—Oh! si tu veux. Je n’ai pas de secrets.»

Il lut. Le nom de Melitta se trouvait là plusieurs fois répété avec des noms d’hommes et des dessins barbares. Des phrases tendres, obscènes ou comiques, s’enchevêtraient bizarrement. Des amants se vantaient de leur vigueur, ou détaillaient les charmes de la petite courtisane, ou encore se moquaient de ses bonnes camarades. Tout cela n’était guère intéressant que comme témoignage écrit d’une abjection générale. Mais, vers la fin du panneau de droite, Démétrios eut un sursaut.

«Qui est-ce? Qui est-ce? Dis-moi!

—Mais qui? quoi? où cela? dit l’enfant. Qu’est-ce que tu as?

—Ici. Ce nom-là. Qui a écrit cela?»

Et son doigt s’arrêta sous cette double ligne:

ΜΕΛΙΤΤΑ .Λ. ΧΡΥΣΙΔΑ

ΧΡΥΣΙΣ .Λ. ΜΕΛΙΤΤΑΝ

«Ah! répondit-elle, ça, c’est moi. C’est moi qui l’ai écrit.

—Mais qui est-ce, cette Chrysis?

—C’est ma grande amie.

—Je m’en doute bien. Ce n’est pas cela que je te demande. Quelle Chrysis? Il y en a beaucoup.

—La mienne, c’est la plus belle. Chrysis de Galilée.

—Tu la connais! tu la connais! Mais parle-moi donc! D’où vient-elle? où demeure-t-elle? qui est son amant? dis-moi tout!»

Il s’assit sur le lit de repos et prit la petite sur ses genoux.

«Tu es donc amoureux? dit-elle.

—Peu t’importe. Raconte-moi ce que tu sais, je suis pressé de tout apprendre.

—Oh! Je ne sais rien du tout. C’est court. Elle est venue deux fois chez moi, et tu penses que je ne lui ai pas demandé de renseignements sur sa famille. J’étais trop heureuse de l’avoir, et je n’ai pas perdu le temps en conversations.

—Comment est-elle faite?

—Elle est faite comme une jolie fille, que veux-tu que je te dise? Faut-il que je te nomme toutes les parties de son corps en ajoutant que tout est beau? Et puis, c’est une femme, celle-là, une vraie femme... quand je pense à elle, j’ai tout de suite envie de quelqu’un.»

Et elle prit Démétrios par le cou.

«Tu ne sais rien, reprit-il, rien sur elle?

—Je sais... je sais qu’elle vient de Galilée, qu’elle a presque vingt ans et qu’elle demeure dans le quartier des Juives, à l’est de la ville, près des jardins. Mais c’est tout.

—Et sur sa vie, sur ses goûts? Tu ne peux rien me dire? Elle aime les femmes puisqu’elle vient chez toi. Mais est-elle tout à fait lesbienne?

—Certainement non. La première nuit qu’elle a passée ici, elle avait amené un amant, et je te jure qu’elle ne simulait rien. Quand une femme est sincère, je le vois à ses yeux. Cela n’empêche pas qu’elle soit revenue une fois toute seule... Et elle m’a promis une troisième nuit.

—Tu ne lui connais pas d’autre amie dans les jardins? Personne?

—Si, une femme de son pays, Chimairis, une pauvre.

—Où demeure-t-elle? Il faut que je la voie.

—Elle couche dans le bois, depuis un an. Elle a vendu sa maison. Mais je sais où est son trou. Je peux t’y mener, si tu le désires. Mets-moi mes sandales, veux-tu?»

Démétrios noua d’une main rapide les cordons de cuir tressé sur les chevilles frêles de Melitta. Puis il tendit sa robe courte qu’elle prit simplement sur le bras, et ils sortirent à la hâte.

Ils marchèrent longtemps. Le parc était immense. De loin en loin une fille sous un arbre disait son nom en ouvrant sa robe, puis se recouchait, les yeux sur sa main. Melitta en connaissait quelques-unes, qui l’embrassaient sans l’arrêter. En passant devant un autel fruste, elle cueillit trois grandes fleurs dans l’herbe et les déposa sur la pierre.

La nuit n’était pas encore sombre. La lumière intense des jours d’été a quelque chose de durable qui s’attarde vaguement dans les lents crépuscules. Les étoiles faibles et mouillées, à peine plus claires que le fond du ciel, clignaient d’une palpitation douce, et les ombres des branches restaient indécises.

«Tiens! dit Melitta. Maman. Voilà maman.»

Une femme seule, vêtue d’une triple mousseline rayée de bleu, s’avançait d’un pas tranquille. Dès qu’elle aperçut l’enfant, elle courut à elle, la souleva de terre, la prit dans ses bras, et l’embrassa fortement sur les joues.

«Ma petite fille! mon petit amour, où vas-tu?

—Je conduis quelqu’un qui veut voir Chimairis. Et toi? Est-ce que tu te promènes?

—Corinna est accouchée. Je suis allée chez elle; j’ai dîné près de son lit.

—Et qu’est-ce qu’elle a fait? un garçon?

—Deux jumelles, mon chéri, roses comme des poupées de cire. Tu peux y aller cette nuit, elle te les montrera.

—Oh! que c’est bien! Deux petites courtisanes. Comment les appelle-t-on?

—Pannychis toutes les deux, parce qu’elles sont nées la veille des Aphrodisies. C’est un présage divin. Elles seront jolies.»

Elle reposa l’enfant sur ses pieds, et s’adressant à Démétrios:

«Comment trouves-tu ma fille? Ai-je le droit d’en être orgueilleuse?

—Vous pouvez être satisfaites l’une de l’autre, dit-il avec calme.

—Embrasse maman,» dit Melitta.

Il posa silencieusement un baiser entre les seins. Pythias le lui rendit sur la bouche, et ils se séparèrent.

Démétrios et l’enfant firent encore quelques pas sous les arbres, tandis que la courtisane s’éloignait en retournant la tête. À la fin ils arrivèrent et Melitta dit:

«C’est ici.»

Chimairis était accroupie sur le talon gauche, dans un petit espace gazonné entre deux arbres et un buisson. Elle avait étendu sous elle une sorte de haillon rouge qui était son dernier vêtement pendant le jour et sur lequel elle couchait nue à l’heure où passent les hommes. Démétrios la contemplait avec un intérêt croissant. Elle avait cet aspect fiévreux de certaines brunes amaigries dont le corps fauve semble consumé par une ardeur toujours battante. Ses lèvres musclées, son regard excessif, ses paupières largement livides composaient une expression double, de convoitise sensuelle et d’épuisement. La courbe de son ventre cave et ses cuisses nerveuses se creusait d’elle-même, comme pour recevoir; et Chimairis ayant tout vendu, même ses peignes et ses épingles, même ses pinces à épiler, sa chevelure s’était embrouillée dans un désordre inextricable, tandis qu’une pubescence noire ajoutait à sa nudité quelque chose de sauvage, d’impudique et de velu.